Tu peux m'ôter le pain,
M'ôter l'air, si tu veux :
Ne m'ôte pas ton rire.
Ne m'ôte pas la rose,
Le fer que tu égrènes
Ni l'eau qui brusquement
Éclate dans ta joie
Ni la vague d'argent
Qui déferle de toi.
De ma lutte si dure
Je rentre les yeux las
Quelquefois d'avoir vu
La terre qui ne change
Mais, dès le seuil, ton rire
Monte au ciel, me cherchant
Et ouvrant pour moi toutes
Les portes de la vie.
À l'heure la plus sombre
Égrène, mon amour,
Ton rire, et si tu vois
Mon sang tacher soudain
Les pierres de la rue,
Ris : aussitôt ton rire
Se fera pour mes mains
Fraîche lame d'épée.
Dans l'automne marin
Fais que ton rire dresse
Sa cascade d'écume,
Et au printemps, amour,
Que ton rire soit comme
La fleur que j'attendais,
La fleur guède, la rose
De mon pays sonore.
...
"Ton rire", Les vers du capitaine, Pablo Neruda, Traduit par Claude Couffon et Christian Rinderknecht, Éditions Gallimard
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