lundi 26 janvier 2015

La Grèce me blesse, Georges Seferis, interprété par Melina Mercouri

Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse



Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse.
A Pilion, parmi les oliviers,
la tunique du centaure
glissant parmi les feuilles
a entouré mon corps,
et la mer me suivait pendant que je marchais.
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse.

A Santorin en frôlant
les îles englouties,
en écoutant jouer une flûte parmi les pierres ponces
ma main fut clouée à la crête d’une vague
par une flèche subitement jaillie
des confins d’une jeunesse disparue.
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse.

A Mycènes,
j’ai soulevé les grandes pierres
et les trésors des Atrides.
J’ai dormi à leur côté à l’hôtel de "La Belle Hélène".
Ils ne disparurent qu’à l’aube lorsque chanta Cassandre
un coq suspendu à sa gorge noire.
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse.

A Spetsai, à Poros et à Myconos
les barcarolles m’ont soulevé le coeur.
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse.

Que veulent donc ceux qui se croient à Athènes
ou au Pirée,
l’un vient de Salamine
et demande à l’autre
s’il ne viendrait pas de la place Omonia.
"Non, je viens de la place Syndagma"
répond-il satisfait,
"j’ai rencontré Yannis
et il m’a payé une glace".
Pendant ce temps la Grèce voyage
et nous n’en savons rien, nous ne savons pas que,
tous, nous sommes marins sans emploi
et nous ne savons pas combien le port est amer
quand tous les bateaux sont partis.
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse.

Drôles de gens,
ils se croient en Attique
et ne sont nulle part.
Ils achètent des dragées pour se marier
et il se font photographier.
L’homme que j’ai vu aujourd’hui
assis devant un fond de pigeons et de fleurs
laissait la main du vieux photographe
lui lisser les rides creusées
sur son visage
par les oiseaux du ciel.
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse.

Pendant ce temps, la Grèce voyage,
voyage toujours.
Et si la mer Egée se fleurit de cadavres,
ce sont les corps de ceux qui voulurent rattraper à la nage
le grand navire.
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse.

Le Pirée s’obscurcit
les bateaux sifflent, ils sifflent sans arrêt
mais sur le quai nul cabestan ne bouge,
nulle chaîne mouillée n’a scintillé dans l’ultime éclat
du soleil qui décline.
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse.

Rideaux de montagnes, archipels,
granite dénudé ...
le bateau qui s’avance s’appelle
Agonie ....

G. Séféris (1936), traduction J. Lacarrière et E. Mavraki


Interprété par Mélina Mercouri (Si Mélina m’était conté, 1974)









dimanche 25 janvier 2015

Article de Michel Koutouzis

Devant le Parthénon, à Athènes, le 20 janvier 2015 photo Alkis Konstantinidis / Reuter

"Le monde entier se tourne à nouveau vers la Grèce avant le scrutin de dimanche 25 janvier, pour lequel le parti de gauche radicale Syriza est favori."
Le Monde.fr


Cinq heures du matin, dans une heure les urnes ouvrent en Grèce. Un calme euphorique qui détend tout mon corps me surprend.Le jour se lève, les premières lueurs de l’aube sont là, quand je sors au jardin pour chercher une nouvelle bûche pour un feu de cheminée qui brûle déjà. C’est donc le jour tant attendu en Grèce par où un nouveau message va titiller l’Europe. Tout se paie dans ce monde, et pas seulement la dette. Ce peuple humilié, fatigué, démuni, va chercher aujourd’hui, au plus profond de lui même, la réponse de ses malheurs en envoyant un message universel qui dépasse de loin les frontières grecques : c’est pas aux leviers économiques et comptables de déterminer la politique, c’est à celle-ci de juguler la finance se déclarant apolitique. Le dernier mot appartient au citoyen, sinon, comme l’affirme Aristote, celui ci devient inutile. Pendant plus de cinq ans les tenants de l’Europe ne font pas autre chose que de répéter à leurs peuples qu’ils ne servent à rien. Quoi que vous pensiez, quoi que vous disiez, vous devez subir les lois incohérentes et liberticides du marché. En dépit de tout sentiment de justice, de toute rationalité, vous autres gueux et misérables vous devez rembourser les dettes des puissants, des banquiers, des gouvernants. Ils se sont plantés, mais vous devez payer à leur place. Pourquoi ? Par ce que la loi du plus fort est toujours la meilleure. Soyez les Danaïdes, soyez Tantale et taisez vous. Vous n’êtes rien, on vous prend tout. Un point, c’est tout. Et bien, aujourd’hui, les Grecs veulent être utiles. Exister. Décider. Et ils le feront pour tous les peuples d’Europe. Avec la détermination et le courage de ceux qui n’ont rien à perdre…
Michel Koutouzis


Article paru sur le blog de Michel Koutouzis, le 25 janvier 2015

http://blogs.mediapart.fr/blog/michel-koutouzis/250115/grece-des-citoyens-utiles