samedi 4 juillet 2015

Un livre, un auteur : Adrien de la vallée de Thurroch, de Denis Tellier (2012)

                 "Adrien de la vallée de Thurroch"

                                      Denis Tellier

                                                 éditions Lunatique




Une rencontre qui ne peut s'oublier

Artiste aux multiples talents, comme vous pourrez le découvrir sur le site des éditions Lunatique, Denis Tellier a croisé ma route fortuitement -mais je ne crois pas aux hasards- le 20 juin 2015.
Très vite, j'ai eu envie de découvrir ses écrits, notamment "Adrien de la vallée de Thurroch".
Ce premier roman de Denis est arrivé chez moi quelques jours plus tard.
Pénètrer dans cet univers m'a littéralement happée, et il m'a fallu le terminer le jour même ! Depuis, j'y retourne régulièrement. Il est là, à portée de ma main.

Voici quelques extraits de la lettre que je lui écrivis.

(Je vous écris de ma campagne bourguignonne où vrombissent les moiss'bat's dans la chaleur de la fin juin)

                        « Adrien de la vallée de Thurroch »

Première joie, recevoir puis ouvrir ce bel objet (corbeau freux en couverture), ce petit / grand livre !

Je commence par la quatrième de couverture, les quelques lignes en exergue, la dernière page... et c'est parti ! 

De suite, il m'a semblé entrer dans une langue, une écriture, autres que celles d'un romancier. Des images, des sonorités, un rythme qui sont ceux du Poète. Comme un long poème en prose. (p 14-16)

      Lorsqu' Adrien entre en scène, je me suis d'abord demandé qui il était... Croisements entremêlés des époques. Très vite, on apprend à le découvrir, on croit le connaître, et puis...
Ces corbeaux freux omniprésents qui planent sur vos mots, sur cette vallée. Oiseaux de mauvaise augure, mauvais présage ? La Mort rôde. (dernières lignes p 20)

On voit, on respire (ah ! les odeurs!!), on entend vivre cette campagne ardennaise. Les superstitions, le dur labeur. Des images saisissantes « les rideaux amidonnés à la fumée des âtres » « entretenir un bon voisinage croûte que croûte » ! Et tout au long, j'en découvrirai tant et tant...

Je me suis arrêtée plusieurs fois. Réfléchir à ce « Je »... Vous Denis, glissé dans la peau d'Adrien ?

La description de sa maison est plus vraie que si elle était là, sous mes yeux. Des souvenirs remontent en moi... Elle m'a rappelé la maison de Raoul, entre Creuse et Corrèze, début années 70. Chez lui, je me croyais des années en arrière, complètement hors du temps. Presque l'époque d'Adrien - « cela sentait l'homme seul, l'intérieur confiné et le rance ». La présence de la mère...morte.

On entre brutalement dans la Guerre. Déjà j'entrevois l'horreur « il bondissait sur les têtes, de casque en casque » ! Et tout au long de ce récit poétique, l'horreur sera là, progressivement atroce.

      Le Vieux, sa disparition mystérieuse, les rumeurs, ce que l'on pressent au fil des pages. Sorte d'énigme policière qui se mêle au destin d'Adrien, à la guerre. 
Le Vieux, le Sage, celui auquel il m'est arrivé de m'identifier (non que je sois sage!), de vouloir lui ressembler. Son intelligence de la Vie et de la Mort. De superbes passages (je les relirai).
Le Vieux, dont peu à peu on devine la fin... Pouvait-il en être autrement ?

Adrien mène l'enquête. Son intuition, son bon sens, opposés aux ragots, aux rumeurs (ah ! les vieilles femmes!). Là aussi des passages savoureux !


      Les notes d'Adrien. Autre langage, temporalité croisée... Il m'est arrivé de perdre le fil ! Mais votre écriture m'embarque Denis !
Quand la Guerre à proprement parler entre en scène, nous savons déjà tout d'elle, par les préparatifs, les conséquences de cette boucherie. Vos mots, la construction de votre récit, nous plongent progressivement dans un réalisme poétique dur, violent. Nous la sentons là, à chaque instant.

      La Grande Yvonne, énigmatique elle aussi, par les secrets qu'elle abrite, les drames aussi. Ce bébé mort dans d'atroces conditions . « le gamin de la petite bonne, « la Jeanine » et du grand betteravier....

Une femme que j'ai cru reconnaître... 

Le Meusien et sa femme trop belle, ceux-là aussi on les voit, on les reconnaît...

      L'église emportée par les eaux diluviennes. Comme une parabole. Un monde qui disparaît - «  les os des maîtres étant sous l'eau ». D'une terrifiante beauté ! Le Radeau de la Méduse !

     La vie des paysans, elle aussi décrite avec d'infinis détails réalistes. J'ai retrouvé des histoires que l'on me racontait enfant. J'ai revu la vie de mes grands-parents maternels, Berthe et Léon, paysans.La femme parfois pire qu'une bête de somme. Le portrait que vous en faites est pur chef-d'oeuvre ! Je ne peux tout relever...

        Denis, votre écriture m'a séduite absolument, totalement ! Le procédé narratif choisi, où se croisent, se rejoignent des narrateurs divers (un seul en réalité!)... Tout ! 
Je me suis laissée embarquée sur ces flots poétiquement dévastateurs. Vous m'avez dit « Je me suis déchiré à l'écrire... j'en avais besoin... » (je cite de mémoire). Cela se ressent dans la fougue, la passion, que vous mettez dans vos mots.

De tous ces personnages si attachants à des degrés divers, c'est définitivement vers le Vieux que va ma préférence. Je relirai ce livre pour lui, le connaître mieux. Mais c'est sûr, je relirai pour savourer la langue !

    Tout ceci est un peu décousu, mais je ne voulais pas trop attendre pour vous en parler. Ne m'en tenez pas rigueur !

Votre « Adrien de la vallée de Thurroch » a déclenché en moi mille et une émotions ! Bravo et merci, ami poète !

Françoise Ruban




Quelques retours et critiques, sur le site des éditions Lunatique


Mise à jour du 13 novembre 2016

"Adrien de la vallée de Thurroch" en vente chez Amazon


                                                          ***


Un artiste aux multiples visages


"Dessin, peinture, sculpture : autodidacte, Denis touche à tout avec un engouement qui le porte "hors les normes" et un talent qui le mène à l'Espace Cardin où il participe à la 30e édition du salon de la Jeune Sculpture (1978).
Depuis, il a pris part à des expositions marquantes (Nîmes, Marseille, Toulouse, Sedan, Nice) et à des chantiers spectaculaires (telle la restauration des boiseries précieuses du navire hollandais l'Oosterschelde, datant de 1918)."
                                    sur le site des éditions Lunatique












Sur Radio Dijon 

La Minute Livre – Chronique du 1er Octobre 2015

Date de publication :
1 octobre 2015



© photos Denis T

jeudi 2 juillet 2015

Vague déferlante, poème de Françoise Ruban

crédit photo fruban
                                         


Vague déferlante




Une vague  __  tendre violence  __   en mon cœur a déferlé
Pas un tsunami  ___  Elle ne détruit
n'abat ne ravage n'assassine ni le jour ni la nuit
Sur son dos de collines je suis emportée
  réchauffée
    caressée
enveloppée
    Elle me roule
          m'enroule
                  me tourneboule
me chamboule

      Ô me laisser capturer

Par elle la tempête est fête
en mon corps joyeux puissantes sensations
Etonnement bouillonnement foisonnement
Me laisser glisser glisser   __  entraîner
à en perdre les sens et la raison

Je tremble  
            __  Est-ce la lame vacillante déferlante

Petite Sirène haletante
tes lèvres muettes trouveront-elles les mots
Vas-tu desserrer l'étreinte   __  vas-tu t'enfuir au plus profond
vas-tu fière de tes nouvelles jambes
        ailes défroissées qui se déploient   __  vas-tu courir
sans un adieu à l'Île

            ses rivages enjôleurs
            son cœur menteur

     Ô capitaine tu as perdu le cap

Vas-tu aimer ce reflux aimant
qui te serre et t'enserre   __  violente tendresse

     collines vertes
     forêts profondes folie des mots
     en écho en écho    _____   en écho
     oeillets de poètes 
     enivrantes senteurs

que tu respires

qui t'attirent

qui t'attirent ...


© fruban

le 1er juillet 2015

Tous droits réservés
Protégé par copyright

in, Chorégraphie de cendres (2017) , édité chez ene






mercredi 1 juillet 2015

Poésie ,André Laude ( entretien et quelques poèmes)

photo des Amis d'André Laude



« …Nous sommes à jamais présents au monde
logiquement situés entre la mer et le soleil les nuages
et les moissons. »

cité par Gil Pressnitzer



Encre et sang

Je fais de ma vie de
nuit en nuit un tas d'ordures.
Je fais de ma vie une brumeuse chronique.
Je fais de ma nuit le carrefour des fantômes.
Je fais de mon sang un long fleuve
qui tape à mes tempes.

Je fais de ma peur un oiseau noir et blanc
Je fais d'un oiseau mort, pourri,
l'enfant que j'aurais pu être.

Je fais d'un enfant un feu fou, un bloc de cendres.
Je fais de ma mort à venir un festin de serpents.
Je fais d'un serpent la corde pour me pendre.
Je fais d'un long, acharné silence le testament
de tout ce qui fut désastres, horreurs, ennuis,
ruptures et interminables hurlements.

Je pisse de l'encre et du sang.
Je pisse de l'encre et du sang.

Je chante sur le bûcher des châtiments.

André Laude




André Laude par UniK_Production

Poésie urgente

Plus que jamais la poésie est urgente. Vitale comme le pain et le vin. Nécessaire comme la pluie et le soleil, les néons et les nuits polaires.
À l'heure où s'effondre définitivement le rêve révolutionnaire nourri d'octobre 17, à l'heure où l'abjecte massification, l'uniformisation dans le pire médiocre s'accélèrent, à l'heure où en dépit de certaines apparences, la « liberté » de l'individu - fondement incontournable de toute civilisation - rétrécit, à l'heure où les politiques s'épuisent, où les tyranneaux prolifèrent, où les nationalismes, les intégrismes se réveillent, où la pauvreté enflamme les têtes autant que les slogans stupides et simplistes, la poésie est, d'abord et avant tout, une « arme miraculeuse » (Aimé Césaire) pour la Résistance. Totale Irrécupérable Sur tous les fronts.
Résistance contre ce qui endeuille l'être, souille, mutile, brise, l'élan de l'individu vers le « Champ des possibles », l'immense continent de la Vie encore inconnu, qui attend son Christophe Colomb. La poésie ne relève pas des dogmes établis. Elle est cet outil pour l'homme qui lui permet de prendre la mesure de sa non-finitude, de sa majesté et de son mystère émouvant et inépuisable.
Elle est le vent qui le pousse dans le dos dans sa marche à l'étoile, l'éclair qui l'arrache à l'humus pour le projeter à hauteur d'astres de plomb et de feu.
Langages, étranges copulations de mots, bouleversements de syntaxes, volontés de dialogue, énoncés du monde sensible, fouillements des ténèbres, cris d'amour, d'humour surtout « noir », enracinements dans l'errance, la glèbe ou la « big city », explosions de désespoir qui s'ouvre curieusement sur quelque innommable espérance, la poésie est aussi, dans sa plus haute condensation, germination, acte.
Acte qui implique que tout poète authentique, fut-il élégiaque et soumis aux subtils secrets métaphysiques, est un réfractaire un vrai outlaw Hölderlin, Rimbaud, Maïakovski même combat !
Poètes Solitaires. Poètes Solidaires. Jusqu'au revolver, la jambe pourrie, la raison « saccagée ».
La poésie est ce dont l'homme - même s'il l'ignore ou feint de l'ignorer - a le plus besoin pour tracer au flanc du monde la cicatrice de sa dignité. La poésie : un vertige permanent entre la lune et le gibet.
Sans Poésie - libre, follement libre - l'univers serait boule morte. La poésie aux lèvres
rouges : la potion magique pour guérir, peut-être, l'angoisse électrique de l'inconnu qui écrivit une certaine heure de fièvre sur les murs de Mai 1968 : « Y a-t-il une vie avant la mort ? »

André LAUDE

Document fourni par l'Association les Amis d'André Laude

sur Esprits nomades



Les sites amis d’André Laude :

« les voleurs de feu » de Yann Orveillon
« Albatroz » de Manuel Vaz
« Esprits nomades » de Gil Pressnitzer
« L’esprit de la chouette » de Diane Meunier
« Décharges » de Claude Vercey
« Poézibao » de Florence Trocmé
« Poésie danger » d’André Chenet

Les amis d'André Laude  Poésie urgente

André Chenet      Poésie danger

Gil Pressnitzer     Esprits nomades

Florence Trocmé   Poézibao


dimanche 28 juin 2015

Aube, d'Arthur Rimbaud

crédit photo fruban



Aube


J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route
du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes
se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq.
A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre,
je la chassais.

En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu
son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.

Arthur Rimbaud, Illuminations