vendredi 16 mai 2014

Pour toi Camille

crédit photo The Guardian

Tu faisais ton métier
l'avenir te souriait
tu aimais la vie

C'était sans compter
sur les foudres de guerre
semant une terreur fratricide
sur les fous de dieu
répandant la haine et le mensonge
sur les puissances de l'argent
se partageant le monde

Tu faisais ton métier
tu étais belle et passionnée
ton regard disait l'amour

Ce jour-là en Centre Afrique
les foudres de guerre
les fous de dieu
les puissants de ce monde
t'ont arraché la vie
et maintenant
tu es là
entre quatre planches
sur le tarmac d'un aéroport

Tu faisais ton métier
tu aimais la vie
à jamais tes yeux
se sont fermés
sur la mort.

©F.R


le 16 mai 2014

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Protégé par copyright


http://www.theguardian.com/media/2014/may/13/french-photojournalist-camille-lepage-killed-central-african-republic

mercredi 14 mai 2014

Amers ( extrait strophe IX ) Saint-John Perse

crédit photo F.R



Et sur la grève de mon corps l'homme né de mer s'est allongé. Qu'il rafraîchisse son visage à même la source sous les sables; et se réjouisse sur mon aire, comme le dieu tatoué de fougère mâle… Mon amour, as-tu soif ? Je suis femme à tes lèvres plus neuve que la soif. Et mon visage entre tes mains comme aux mains fraîches du naufrage, ah !, qu'il te soit dans la nuit chaude fraîcheur d'amande et saveur d'aube, et connaissance première du fruit sur la rive étrangère.

mardi 13 mai 2014

C'est là ( Georges Moustaki )

C'est là que le monde commence
 C'est le début de l'infini
 Jardin secret couleur de nuit
 Royaume d'ombre et de silence
Terre promise île déserte
Refuge crypte ou oasis
 Jardin de nos plus doux délices
 Source toujours redécouverte
 C'est là le centre de la terre
 Où se rencontrent nos envies
 C'est là que se donne la vie
 Royaume d'ombre et de mystère
 C'est là que commence le monde
 Là ou ta main guide ma main
 Pour mieux lui montrer le chemin
 Au cœur d'une forêt profonde
 J'y découvre des paysages
 D'étranges fleurs d'étranges fruits
 Dans cette étrange galaxie
 Où me conduisent mes voyages
 C'est là le centre de la terre
 Le saint des saints le lieu précis
 Où de naguère à aujourd'hui
 Je me noie et me désaltère
 C'est là que l'extase commence
 C'est le début de l'infini
 Jardin secret couleur de nuit
 Où tu recueilles ma semence

Expo Claire Lindner


Ballade à la lune ( Alfred de Musset )

crédit photo F.R
Ballade à la lune

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?

Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?

N'es-tu rien qu'une boule,
Qu'un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?

Es-tu, je t'en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
Qui sonne
L'heure aux damnés d'enfer ?

Sur ton front qui voyage.
Ce soir ont-ils compté
Quel âge
A leur éternité ?

Est-ce un ver qui te ronge
Quand ton disque noirci
S'allonge
En croissant rétréci ?

Qui t'avait éborgnée,
L'autre nuit ? T'étais-tu
Cognée
A quelque arbre pointu ?

Car tu vins, pâle et morne
Coller sur mes carreaux
Ta corne
À travers les barreaux.

Va, lune moribonde,
Le beau corps de Phébé
La blonde
Dans la mer est tombé.

Tu n'en es que la face
Et déjà, tout ridé,
S'efface
Ton front dépossédé.

Rends-nous la chasseresse,
Blanche, au sein virginal,
Qui presse
Quelque cerf matinal !

Oh ! sous le vert platane
Sous les frais coudriers,
Diane,
Et ses grands lévriers !

Le chevreau noir qui doute,
Pendu sur un rocher,
L'écoute,
L'écoute s'approcher.

Et, suivant leurs curées,
Par les vaux, par les blés,
Les prées,
Ses chiens s'en sont allés.

Oh ! le soir, dans la brise,
Phoebé, soeur d'Apollo,
Surprise
A l'ombre, un pied dans l'eau !

Phoebé qui, la nuit close,
Aux lèvres d'un berger
Se pose,
Comme un oiseau léger.

Lune, en notre mémoire,
De tes belles amours
L'histoire
T'embellira toujours.

Et toujours rajeunie,
Tu seras du passant
Bénie,
Pleine lune ou croissant.

T'aimera le vieux pâtre,
Seul, tandis qu'à ton front
D'albâtre
Ses dogues aboieront.

T'aimera le pilote
Dans son grand bâtiment,
Qui flotte,
Sous le clair firmament !

Et la fillette preste
Qui passe le buisson,
Pied leste,
En chantant sa chanson.

Comme un ours à la chaîne,
Toujours sous tes yeux bleus
Se traîne
L'océan montueux.

Et qu'il vente ou qu'il neige
Moi-même, chaque soir,
Que fais-je,
Venant ici m'asseoir ?

Je viens voir à la brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Peut-être quand déchante
Quelque pauvre mari,
Méchante,
De loin tu lui souris.

Dans sa douleur amère,
Quand au gendre béni
La mère
Livre la clef du nid,

Le pied dans sa pantoufle,
Voilà l'époux tout prêt
Qui souffle
Le bougeoir indiscret.

Au pudique hyménée
La vierge qui se croit
Menée,
Grelotte en son lit froid,

Mais monsieur tout en flamme
Commence à rudoyer
Madame,
Qui commence à crier.

" Ouf ! dit-il, je travaille,
Ma bonne, et ne fais rien
Qui vaille;
Tu ne te tiens pas bien. "

Et vite il se dépêche.
Mais quel démon caché
L'empêche
De commettre un péché ?

" Ah ! dit-il, prenons garde.
Quel témoin curieux
Regarde
Avec ces deux grands yeux ? "

Et c'est, dans la nuit brune,
Sur son clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Alfred de Musset