vendredi 12 juin 2020

Un monde unique, par Jean-Fran






Un monde unique

Lorsque l’on fait la fenaison, l’avenir est à trois jours. Nous avons le nez collé sur la météo, essentiellement trois sites : Pleinchamp, France agricole et Météociel. Le jour où on décide de faucher doit être suivi de deux jours de beau temps si on veut botteler du bon foin.

Cela faisait donc une dizaine de jours qu’on avait « le nez collé au guidon », des préoccupations à court terme. La fenaison est finie, il est temps de prendre du recul pour mieux préparer l’avenir. Deux événements survenus aujourd’hui permettent de prendre du champ.

Un événement majeur : le décès de la première propriétaire à m’avoir fait confiance et donné des terres en fermage. Cette femme qui dans sa jeunesse a été fermière et qui a quitté avec bonheur pour devenir professeur de lettres classiques et modernes. Une carrière d’enseignante prolongée après sa retraite par son attirance pour la Grèce, sa langue et sa culture. Ce qu’elle a su transmettre à ses enfants puisqu’aucun ne fut encouragé à reprendre l’exploitation, la réussite consistant plutôt à en sortir. De fort belles réussites, par ailleurs.

Un autre événement, mineur celui-ci : la livraison de blocs de sel et de seaux de minéraux à lécher. Ce sont pratiquement les seuls aliments achetés pour nos vaches. Le livreur effectue sa dernière livraison, en retraite à la fin du mois, il se laisse aller à ses souvenirs de jeunesse. Il faisait les foins, en petits ballots, chez un voisin qui avait l’âge de l’expérience sur une petite ferme de 40 ha et 20 vaches. Il garde de bons souvenirs et en parle comme si c’était hier.

Je rencontre beaucoup de personnes qui me parlent de bons souvenirs de vacances passées à la ferme.

Une génération, bien sûr !

Je crois quant à moi que ces deux mondes ne doivent pas être opposés. On ne peut se désintéresser ni de l’apprentissage du grec ancien, ni de la culture de la luzerne.

Nous vivons dans un monde unique

JFB

Ce texte est extrait du blog de mon ami Jean-fran. Le poème qui a été lu aux obsèques était "Ithaque" de Konstantin Kavafis. Lu d'abord en grec, par la petite-fille, helléniste elle aussi.

J'ajoute que l'on peut être paysan, aimer écrire et partager son travail, ses passions, ses difficultés.

FR

Jeudi 11 juin 2015




Quand tu partiras pour Ithaque,
souhaite que le chemin soit long,
riche en péripéties et en expériences.

Ne crains ni les Lestrygons, ni les Cyclopes,
ni la colère de Neptune.
Tu ne verras rien de pareil sur ta route si tes pensées restent hautes, 
Si ton corps et ton âme ne se laissent effleurer
que par des émotions sans bassesse.

Tu ne rencontreras ni les Lestrygons, ni les Cyclopes,
ni le farouche Neptune,
si tu ne les portes pas en toi-même,
si ton cœur ne les dresse pas devant toi.

Souhaite que le chemin soit long,
que nombreux soient les matins d'été,
où (avec quelles délices !) tu pénétreras
dans des ports vus pour la première fois.

Fais escale à des comptoirs phéniciens,
et acquiers de belles marchandises :
nacre et corail, ambre et ébène,
et mille sortes d'entêtants parfums.
Acquiers le plus possible de ces entêtants parfums.

Visite de nombreuses cités égyptiennes,
et instruis-toi avidement auprès de leurs sages.
Garde sans cesse Ithaque présente à ton esprit.
Ton but final est d'y parvenir,

mais n'écourte pas ton voyage :
mieux vaut qu'il dure de longues années,
et que tu abordes enfin dans ton île aux jours de ta vieillesse,
riche de tout ce que tu as gagné en chemin,
sans attendre qu'Ithaque t'enrichisse.

Ithaque t'a donné le beau voyage :
sans elle, tu ne te serais pas mis en route.
Elle n'a plus rien d'autre à te donner.

Même si tu la trouves pauvre, Ithaque ne t'a pas trompé.
Sage comme tu l'es devenu à la suite de tant d'expériences,
tu as enfin compris ce que signifient les Ithaques.

 Konstantin Kavafis

Traduction de Marguerite Yourcenar


© photo JFB 



dimanche 7 juin 2020

Gris le ciel en cendre, dit par Pascal Huvet











 Gris
                                                             ... le Ciel en cendre



Je n'y vois que du gris

Gris le ciel
gris mes mots
gris mon coeur
gris l'espace sans lueur
La cendre a tout pénétré
Le souffle s'est envolé
En silence je t'ai appelé
Le vent a refusé de porter ton prénom


Je n'y vois que du gris

Gris le monde
des hommes gris
gris tous ces morts qui jamais plus
ne verront se lever l'aube
grise la chape sur le sang séché
La noire barbarie s'est abattue
La Vie s'est arrêtée net
Des larmes des cris de peur d'horreur
Le silence m'assourdit


Je n'y vois que du gris

Gris ce petit con
grises les blessures infligées
à ton cœur pur petite princesse
gris ces gamins déboussolés
Violence absence de repères
Arrogance bestiale des mal-aimés
Domination ces morsures à l'âme
ces coups à l'autre portés
Hurlements de l'enfance confisquée


Je n'y vois que du gris

Et pourtant un matin gris
le soleil se lève le bleu resplendit
bleues tes caresses murmurées
bleu ton sourire de tendresse habillé
Ta main me conduit sur les sentiers
Empreintes chéries du passé
dans les pas des Hommes aimés
Compassion ou Amour fou
Mais surtout baisers sucrés dans le cou


© fRuban

5 décembre 2015

publié dans Chorégraphie de cendres (2017)
ene épingle à nourrice éditions