mercredi 14 juin 2017

Colloque de Juin / d'hier à demain, poème

photo fruban







Colloque de Juin
                                     d'hier à demain



Des fois je suis seul avec moi-même  
je vis en libre promeneur 
je ne fais plus rien avec ce qui m'entoure 
une paresse non 
une mollesse non 
je reste dans ma tête
Pas la force de m'enfuir de rejoindre le monde 
tapi en moi j'écoute et je pense



Fenêtre ouverte un grand silence
et quelques chants d'oiseaux de nuit
Et lui dans le Sud  __  quel silence perçoit-il
quels murmures dans sa nuit
Sans moi sans nous
Ce soir juste avant la tombée de la nuit
un seul gros nuage rose dans un ciel encore bleu gris
Magie des reflets du couchant...


Au matin le jardin m'offre de belles senteurs d'herbe mouillée
mêlées à celles des roses du sureau des seringats du chèvrefeuille
Pluies abondantes et tout petit orage hier soir
arrosage salutaire pour la terre assoiffée
Un peu de soleil vite caché  nuages gris menaçants
Et moi je tourne mon regard vers le Sud... Mélancolique absence.



Il est dans la lune non 
il est chez lui il regarde transforme l'existence
Il est dans le soleil non  ___   il cherche l'ombre 
Il articule des mots en plein air dans le  silence
Il aimerait parfois faire des gestes semblables à ceux des autres 
non ses bras frôlent ses hanches
Il aimerait attendre encore un peu atteindre l'heure suivante
Il ne sait pas quand elle tombera...
il sait seulement qu'à ce moment là il s'écartera
Eviter le rebondissement du temps



Légère accalmie des éléments
le merle a repris son chant les hirondelles leur chorégraphie en folie
Elle a faim ça la fait sourire... ces mots qu'il lui dit si souvent
Ces mots qui lui manquent
Mots simples de tendresse protectrice mots de malice
qui n'appartiennent qu'à lui
Elle aimerait s'endormir jusqu'à son retour
Belle au bois dormant s'éveillant
au souffle caressant de ses baisers



J'équipe des équipages j'enselle mes chevaux
mes doigts rejettent ma tignasse en arrière
Je passerai dans la nuit.... j'ai envie de te voir
C'est en marchant à l'ombre dans le raidillon tout à l'heure
que j'ai pensé à toi... si fort
Je te regarde
Nous nous regardons
Nos lèvres bougent
Tes yeux
Ta voix


Samedi bien noir et agité
par intermittence le soleil revient
De nouveau ça gazouille au jardin
Alors elle aussi elle gazouille
Mélancolique et amoureuse mélodie
Comme celui du rossignol son chant s'envole et se perd ... vers là-bas
Il se pourrait qu'au détour d'un sentier serpentant les garrigues
quelques notes chatouillent son oreille éveillée.



Le 14 juin 2017

© à quatre mains, Toi et Moi

Tous droits réservés




Massif des Monges, Col de la Croix de Veyre
(photo du Net)

site, Transhumance Alpes de Hte Provence








mardi 13 juin 2017

Lettre d’Egon Schiele à Leopold Czihaczek



Egon Schiele, autoportrait à la physalis



1er septembre 1911

Tout ce qui est sorti de ma main ces deux ou trois dernières années, qu’il s’agisse de peinture, de dessin ou d’écriture, est censé « engager l’avenir ». Jusqu’à présent, je n’ai rien fait d’autre que de donner, et m’en trouve si enrichi que je suis obligé de continuer à faire don de moi-même. Si l’artiste aime son art par-dessus tout, il doit être capable de laisser choir son meilleur ami lui-même. Pourquoi suis-je resté loin de vous ? Certains, je le sais, donnent une réponse injuste à cette question, et vous devez croire que je fais la mauvaise tête. En réalité, je tâche de résister à toutes les agressions de la vie. J’aspire à tout connaître par expérience ; pour y parvenir, il faut que je sois seul, je n’ai pas le droit de me laisser amollir, mais je dois être dur, en me laissant guider par la seule pensée. — D’ores et déjà, je suis arrivé à différentes choses ; entre autres, certaines de mes peintures se trouvent à Hagen, en Westphalie, au musée Folkwang, ou chez Cassirer [un propriétaire de galerie] à Berlin, etc., ce qui me laisse froid, du reste. — Je sais que j’ai fait d’énormes progrès sur le plan artistique, je me suis enrichi de mille expériences, ai lutté sans trêve contre l’art « commercial ». […] Le peu que j’ai appris de psychologie au contact des « réalités » me permet d’affirmer ceci : les petits sont vaniteux, et trop petits pour pouvoir connaître la fierté, et les grands sont trop grands pour pouvoir être vaniteux. […] La chose la plus précieuse à mes yeux, c’est ma propre grandeur. — Suivent quelques aphorismes de mon cru :

Aussi longtemps qu’existent les éléments, la mort absolue sera impossible.

Qui n’est pas affamé d’art est proche de la décrépitude.

Seuls les esprits bornés rient de l’effet produit par une œuvre d’art.

Portez votre regard à l’intérieur de l’œuvre d’art, si vous en êtes capable.

Une œuvre d’art n’a pas de prix ; pourtant, elle peut être acquise.

Il est certain qu’au fond, les Grands étaient des hommes bons.

J’ai plaisir à le constater, ils sont rares, ceux-là qui ont le sens de l’art. — Signe constat de la présence du divin dans l’art.

Les artistes vivront éternellement.

Je sais qu’il n’existe pas d’art moderne, mais seulement un art, — qui est éternel.

Si quelqu’un demande qu’on lui explique une œuvre d’art, ce n’est pas la peine de répondre à son vœu : il est trop borné pour comprendre.

Je peins la lumière qui émane de tous les corps.

L’œuvre d’art érotique, elle aussi, a un caractère sacré !

J’irai si loin qu’on sera saisi d’effroi devant chacune de mes œuvres d’art « vivant ».

Le véritable amateur d’art doit avoir l’ambition de pouvoir détenir en sa possession aussi bien l’œuvre d’art la plus ancienne, que la plus moderne.

Une unique œuvre d’art « vivant » suffit à assurer l’immortalité à un artiste.

Les artistes sont si riches, qu’ils doivent se donner sans trêve ni relâche.

L’art ne saurait être utilitaire.

Mes tableaux devront être placés dans des édifices semblables à des temples.


Deslettres




Je peins la lumière, livre


« Enfant éternel que je suis. J’ai toujours suivi la voie des gens ardents sans vouloir être en eux, je disais – je parlais et ne parlais pas, j’écoutais et voulais les entendre fort plus fort encore et regarder en eux. Je me sacrifiais pour d’autres, ceux qui me faisaient pitié, ceux qui étaient loin ou bien ne me voyaient pas moi qui voyais. Bientôt quelques-uns ont reconnu le visage de celui qui voit au-dedans et alors ils n’ont plus posé de questions. »

Ce choix de textes pour l’essentiel inédits en français révèle la trajectoire d’un peintre aussi radical qu’impétueux, qui n’eut de cesse de s’élever contre l’académisme et l’esprit petit-bourgeois. Au travers de vingt-sept poèmes et vingt-et-une lettres adressées à ses proches, Schiele défend une vision de l’art offensive et révoltée.



Un très joli petit livre que je vous recommande

FR

dimanche 11 juin 2017

Le Phénix, Paul Eluard (1951)

Paul et Dominique Eluard, 1952






Le Phénix (1951) rend hommage à Dominique la troisième compagne de Paul Eluard. Grâce à elle, tel le phénix, le poète renaît de ses cendres après le départ de Gala et la mort prématurée de Nusch, ses deux premières muses. De très beaux poèmes, chantant la vie, la femme et l’amour renaissant


Air Vif

J’ai regardé devant moi
Dans la foule je t’ai vue
Parmi les blés je t’ai vue
Sous un arbre je t’ai vue

Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l’eau et du feu

L’été l’hiver je t’ai vue
Dans ma maison je t’ai vue
Entre mes bras je t’ai vue
Dans mes rêves je t’ai vue

Je ne te quitterais plus.



Certitude

Si je te parle c’est pour mieux t’entendre
Si je t’entends je suis sûr de comprendre

Si tu souris c’est pour mieux m’envahir
Si tu souris je vois le monde entier

Si je t’étreins c’est pour me continuer
Si nous vivons tout sera à plaisir

Si je te quitte nous nous souviendrons
Et nous quittant nous nous retrouverons.




Chanson

Dans l’amour la vie a encore
L’eau pure de ses yeux d’enfant
Sa bouche est encore une fleur
Qui s’ouvre sans savoir comment

Dans l’amour la vie a encore
Ses mains agrippantes d’enfant
Ses pieds partent de la lumière
Et ils s’en vont vers la lumière

Dans l’amour la vie a toujours
Un cœur léger et renaissant
Rien n’y pourra jamais finir
Demain s’y allège d’hier.




Dominique aujourd’hui présente

Toutes les choses au hasard
Tous les mots dits sans y penser
Et qui sont pris comme ils sont dits
Et nul n’y perd et nul n’y gagne

Les sentiments à la dérive
Et l’effort le plus quotidien
La vague souvenir des songes
L’avenir en lutte à demain

Les mots coincés dans un enfer
De roues usées de lignes mortes
Les choses grises et semblables
Les hommes tournant dans le vent

Muscles voyants squelette intime
Et la vapeur des sentiments
Le cœur réglé comme un cercueil
Les espoirs réduits à néant

Tu es venue à l’après midi crevait la terre
Et la terre et les hommes ont changé de sens
Et je me suis trouvé réglé comme un aimant
Réglé comme une vigne

A l’infini notre chemin le but des autres
Des abeilles volaient futures de leur miel
Et j’ai multiplié mes désirs de lumière
Pour en comprendre la raison

Tu es venue j’étais très triste j’ai dit oui
C’est à partir de toi que j’ai dit oui au monde
Petite fille je t’aimais comme un garçon
Ne peut aimer que son enfance

Avec la force d’un passé très loin très pur
Avec le feu d’une chanson sans fausse note
La pierre intacte et le courant furtif du sang
Dans la gorge et les lèvres

Tu es venue le vœu de vivre avait un corps
Il creusait la nuit lourde il caressait les ombres
Pour dissoudre leur boue et fondre leurs glaçons
Comme un œil qui voit clair

L’herbe fine figeait le vol des hirondelles
Et l’automne pesait dans le sac des ténèbres
Tu es venue les rives libéraient le fleuve
Pour le mener jusqu’à la mer

Tu es venue plus haute au fond de ma douleur
Que l’arbre séparé de la forêt sans air
Et le cri du chagrin du doute s’est brisé
Devant le jour de notre amour

Gloire l’ombre et la honte ont cédé au soleil
Le poids s’est allégé le fardeau s’est faire rire
Gloire le souterrain est devenu sommet
La misère s’est effacée

La place d’habitude où je m’abêtissais
Le couloir sans réveil l’impasse et la fatigue
Se sont mis à briller d’un feu battant des mains
L’éternité s’est dépliée

Ô toi mon agitée et ma calme pensée
Mon silence sonore et mon écho secret
Mon aveugle voyante et ma vue dépassée
Je n’ai plus eu que ta présence

Tu m’as couvert de ta confiance.




Et un sourire

La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager




Il faut bien y croire

Les jeux de ces curieux enfants qui sont les nôtres
Jeux simples qui leur font les yeux émerveillés
Pleins d’une fièvre qui les rapproche et les éloigne
Du monde où nous rêvons de faire place aux autres

Les jeux d’azur et de nuages
De gentillesses et de courses à la mesure d’un cœur futur
Qui ne sera jamais coupable
Les yeux de ces enfants qui sont nos yeux anciens

Nous eûmes plus de charmes que jamais les fées.





Je t’aime

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues
Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécus
Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas
Je t’aime pour aimer
Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas

Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd’hui
Il y a eu toutes ces morts que j’ai franchies sur de la paille
Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie

Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne
Pour la santé
Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion
Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n’es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.

1950



Marine

Je te regarde et le soleil grandit
Il va bientôt couvrir notre journée
Eveille-toi cœur et couleur en tête
Pour dissiper les malheurs de la nuit

Je te regarde tout est nu
Dehors les barques ont jeu d’eau
Il faut tout dire en peu de mots
La mer est froide sans amour

C’est le commencement du monde
Les vagues vont bercer le ciel
Toi tu te berces dans tes draps
Tu tires le sommeil à toi

Eveille-toi que je suive tes traces
J’ai un corps pour t’attendre pour te suivre
Des portes de l’aube aux portes de l’ombre
Un corps pour passer ma vie à t’aimer

Un cœur pour rêver hors de ton sommeil



Nous deux

Nous deux nous tenant par la main
Nous nous croyons partout chez nous
Sous l’arbre doux sous le ciel noir
Sous tous les toits au coin du feu
Dans la rue vide en plein soleil
Dans les yeux vagues de la foule
Auprès des sages et des fous
Parmi les enfants et les grands
L’amour n’a rien du mystérieux
Nous sommes l’évidence même
Les amoureux se croient chez nous




Printemps

Il y a sur la plage quelques flaques d’eau
Il y a dans les bois des arbres fous d’oiseaux
La neige fond dans la montagne
Les branches des pommiers brillent de tant de fleurs
Que le pâle soleil recule

C’est par un soir d’hiver dans un monde très dur
Que je vis ce printemps près de toi l’innocente
Il n’y a pas de nuit pour nous
Rien de ce qui périt n’a de prise sur toi
Et tu ne veux pas avoir froid

Notre printemps est un printemps qui a raison




Sérénité

Mes sommets étaient à ma faille
J’ai roulé dans tous mes ravins
Et je suis bien certain que ma vie est banale
Mes amours ont poussé dans un jardin commun
Mes vérités et mes erreurs
J’ai pu les peser comme on pèse
Le blé qui double le soleil
Ou bien celui qui manque aux granges
J’ai donné à ma soif l’ombre d’un gouffre lourd
J’ai donné à ma joie de comprendre la forme
D’une jarre parfaite



Le Phénix


Je suis le dernier sur ta route
Le dernier printemps la dernière neige
Le dernier combat pour ne pas mourir

Et nous voici plus bas et plus haut que jamais.

Il y a de tout dans notre bûcher
Des pommes de pin des sarments
Mais aussi des fleurs plus fortes que l'eau

De la boue et de la rosée,

La flamme est sous nos pieds la flamme nous couronne
A nos pieds des insectes des oiseaux des hommes
Vont s'envoler

Ceux qui volent vont se poser.

Le ciel est clair la terre est sombre
Mais la fumée s'en va au ciel
La ciel a perdu tous ses feux.

La flamme est restée sur la terre

La flamme est la nuée du coeur
Et toutes les branches du sang
Elle chante notre air

Elle dissipe la buée de notre hiver.

Nocturne et en horreur a flambé le chagrin
Les cendres ont fleuri en joie et en beauté
Nous tournons toujours le dos au couchant

Tout a la couleur de l'aurore.


La mort, l'amour, la vie

J’ai cru pouvoir briser la profondeur de l’immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m’a semblé plus vive que le sang
Je voulais désunir la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu’il n’y ait rien ni vire ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J’avais éliminé le glaçon des mains jointes
J’avais éliminé l’hivernale ossature
Du voeu de vivre qui s’annule

Tu es venue le feu s'est alors ranimé
L'ombre a cédé le froid d'en bas s'est étoilé
Et la terre s'est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J'avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J'avançais je gagnais de l'espace et du temps
J'allais vers toi j'allais sans fin vers la lumière
La vie avait un corps l'espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l'aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j'adorais l'amour comme à mes premiers jours.

Les champs sont labourés les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une houle énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n’est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent.
Les hommes sont faits pour s’entendre
Pour se comprendre pour s’aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.

Paul Eluard

Le Phénix,
éditions Seghers (1951)









Paul Eluard, 1895-1952