lundi 11 mai 2015

Le Fraudeur et A la cyprine d'Eugène Savitzkaya






Qu'en pense Cristian Ronsmans ?


"Eugène Savitzkaya signe « Le fraudeur », aux éditions de Minuit !
On ne me laissera donc jamais en paix ? Dans une sorte d’ignorance réconfortante ? Jamais on n’aura pitié de celui qui ne veut pas savoir la vie des autres, Moi !!!
En ce sens mon vieil ami Frédéric Baal (encore que souvent je me sente plus vieux que lui) ne m’épargne guère et je ne saurais trop lui avouer ma reconnaissance.
Or donc, me voilà ce soir, grâce à lui, en la librairie Tropismes, toutes ouïes orientées vers ce magnifique poète qu’il m’offre à découvrir, Eugène Savitzkaya.
Fraudeur ! In petto, je me dis du fraudeur au faussaire la frontière est ténue. Le fraudeur ne sera-t-il pas tenté, ipso facto, de jouer les contrefacteurs ? Avec ses airs lunaires, pape de la monnaie du Pape, de la fausse mornifle, de l’artiche de contre bande ? Poète, il va nous la jouer « Bonobo de la monnaie de singe », non ?
Et bien non !!!
En fait le seul qui ne fraude pas, c’est ce poète fou, qui est aussi le fou, dont je finis par être fou car il me rend fou. A force de ne rien frauder. Et dans ce monde qu’il dénonce (c’est pas bien ! Quoique !), un peu à la manière d’un Dali que la différence entre un fou et lui réside dans le fait qu’il n’est pas fou, on comprend très vite que le fraudeur ne triche pas !
Fraudeur d’une cohésion sociale qui s’appuie sur la fraude institutionnalisée lave de tout péché. Le seul qui ne triche pas et c’est à cela qu’on reconnaît un poète, c’est Eugène Savitzkaya. Il va jusqu’à pratiquer une ascèse qui le dépollue ! Rupture avec le monde « du spectacle » pour mieux comprendre le spectacle et apprendre à penser par soi-même.
C’est donc bien un homme au-delà du poète qui ne triche pas !
Là-dessus, je termine sur ce qui fit l’objet d’un petit débat concernant l’attente. On est avec Eugène Savitzkaya aux antipodes, qu’on se le dise, de l’attente Becketienne que certains évoquèrent. Pour une raison simple qui réside dans la non-fin de l’histoire te de l’aventure de Savitzkaya. L’arrivée de Godot, si elle devait arriver, sonnerait le glas de l’histoire et la mort de l’espoir.
Eugène Savitzkaya n’est pas dans la mort de l’espoir qu’il entretient depuis que la soupe attend le faucheux à moins que ce ne soit l’inverse.
Cette attente est d’un autre ordre. Difficilement définissable car de l’ordre du vécu. Une sorte d’utopie synchrone avec une u-chronie, une brèche dans l’inframonde où certes la disponibilité subjective existe mais sans en avoir la totale maitrise. Une sorte de monde imaginal, de l’entre deux où il y a de fait une attente où l’on attend rien !
Bref, on l’aura compris, j’aime ce poète-écrivain- romancier, ça c’est pour la forme. Authentique poète pour le fond ! Et pour la forme poétique, « A la Cyprine » hommage vulvaire et athanor poétique qui relève de la transcendance."

Cristian Ronsmans


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Eugène Savitzkaya
Rencontre à la librairie Tropismes, le jeudi 7 mai 2015, avec l'écrivain Eugène Savitzkaya à l'occasion de la parution de son nouveau roman "Fraudeur" et d'un recueil de poèmes inédits "A la cyprine", tous deux publiés par les éditions de Minuit.
Entretien mené par Philippe Dewolf, lectures par Eugène Savitzkaya et Frédéric Baal.


crédit photo Barbara Cortvrient


crédit photo Barbara Cortvrient



crédit photo Barbara Cortvrient













D'autres extraits sur la chaîne Youtube de Frédéric Baal

https://www.youtube.com/channel/UCTauazJ94hN7hj0iO60Behw

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http://www.liberation.fr/livres/2015/03/18/cours-y-vite_1223412

Cours-y vite
PHILIPPE LE GUILLOU 18 MARS 2015 À 18:36

LIBÉ DES ÉCRIVAINS Roman d’escapades, «Fraudeur» voit Eugène Savitzkaya retrouver les enchantements d’un «garçon léger»
Dix ans après Fou trop poli, sous la forme d’une reconstitution poétique, protéiforme, éclatée, c’est à une singulière exploration de l’enfance et de son territoire que nous convie Eugène Savitzkaya dans Fraudeur. Peu de noms, de personnes ou de lieux, on devine que l’on est en Belgique, un bel été, en août 1969, dans une campagne boisée, profuse, intacte, peuplée de bêtes, un «pays des délices» à l’abri du remembrement, de la reconfiguration destructrice. Une figure se détache et aimante tout le récit, celle d’un garçon sans nom, léger, «aux os légers», chaussé de fines baskets, porté à l’escapade nocturne, à l’immersion dans la nature, les prairies, les vergers, les taillis, les buissons d’orties, à l’errance aussi dans le parc déserté d’un château proche ou à la contemplation, plus prosaïque, d’un dépotoir où il guette les rats et médite «devant un tas de coquilles de moules sous des sureaux luxuriants». Cette figure jamais nommée, et dont les promenades tissent le roman, cet adolescent marcheur, attiré par les champs, les étangs et les bois, les fruits sauvages et le chaume, saisi par le mystère d’une nature remplie d’invisibles présences, c’est celle du fou, du «fraudeur», du garçon libre qui s’échappe du carcan familial, d’une fratrie composée d’un aîné, gardien comme lui des noisetiers pourpres, et d’un frère plus jeune, un enfant de 2 ans beau comme un bonze. La famille, la maison tiennent, en effet, une place importante dans cette évocation discontinue, faite de tableaux successifs, loin de tout asservissement réaliste ou chronologique. Le père, mineur, «père au charbon», explorateur souterrain piochant avec son pic la silice des charbonnages dans la région de Liège, apparaît çà et là mais celle dont la présence dormante, l’effacement progressif, avant l’absence, sature le texte, c’est la mère, russe d’origine, la mère disparue mais immortelle, toujours là, capable de commander aux éléments, la mère dont les gestes et la voix ne cessent de hanter le fraudeur ou le fou, l’enfant qui divague, celui qui se souvient - l’écrivain. D’elle, il ne reste pas grand-chose, un poème, des photographies, des recettes, mais elle est là, au cœur du paradis de bouleaux et de reines-claudes, dans le silence d’une chambre sentant les bananes et l’enfant grandit et chemine, «gardant dans ses narines sa fragrance intime, l’onctueuse douceur de sa peau, le son de sa voix voilée et un peu rauque, et la souplesse de ses doigts».
Philippe Guillou
Libération