samedi 23 décembre 2017

Complainte de Vincent, Jacques Prévert



Complainte de Vincent

à Paul Eluard



 A Arles où roule le Rhône

Dans l'atroce lumière de midi

Un homme de phosphore et de sang

Pousse une obsédante plainte

Comme une femme qui fait son enfant

Et le linge devient rouge

Et l'homme s'enfuit en hurlant

Pourchassé par le soleil

Un soleil d'un jaune strident

Au bordel tout près du Rhône

L'homme arrive comme un roi mage

Avec son absurde présent

Il a le regard bleu et doux

Le vrai regard lucide et fou

De ceux qui donnent tout à la vie

De ceux qui ne sont pas jaloux

Et montre à la pauvre enfant

Son oreille couchée dans le linge

Et elle pleure sans rien comprendre

Songeant à de tristes présages

Et regarde sans oser le prendre

L'affreux et tendre coquillage

Où les plaintes de l'amour mort

Et les voix inhumaines de l'art

Se mêlent aux murmures de la mer

Et vont mourir sur le carrelage

Dans la chambre où l'édredon rouge

D'un rouge soudain éclatant

Mélange ce rouge si rouge

Au sang bien plus rouge encore

De Vincent à demi mort

Et sage comme l'image même

De la misère et de l'amour

L'enfant nue toute seule sans âge

Regarde le pauvre Vincent

Foudroyé par son propre orage

Qui s'écroule sur le carreau

Couché dans son plus beau tableau

Et l'orage s'en va calmé indifférent

En roulant devant lui ses grands tonneaux de sang

L'éblouissant orage du génie de Vincent

Et Vincent reste là dormant rêvant râlant

Et le soleil au-dessus du bordel

Comme une orange folle dans un désert sans nom

Le soleil sur Arles

En hurlant tourne en rond.


Jacques PRÉVERT

in, Paroles, 1946




Van Gogh, autoportrait




jeudi 21 décembre 2017

Désir / Deseo, de Federico Garcia Lorca





Désir

Rien que ton coeur brûlant,
Rien d’autre.

Mon paradis: un champ
Sans rossignols
Ni lyres,
Avec une fontaine
Et un filet d’eau vive.

Pas de vent qui éperonne
Les frondaisons
Ni d’étoile qui veuille
Se faire feuille.

Un jour immense
Y serait
Le ver luisant
D’un autre jour
Dans un champ de
Regards brisés.

Lumineux repos
Où tous nos baisers,
Grains de beauté sonores
De l’écho,
Iraient là-bas éclore.

Et ton coeur brûlant,
Rien d'autre.

Federico Garcia Lorca




Version originale




Deseo

Sólo tu corazón caliente,
Y nada más.

Mi paraíso, un campo
Sin ruiseñor
Ni liras,
Con un río discreto
Y una fuentecilla.

Sin la espuela del viento
Sobre la fronda,
Ni la estrella que quiere
Ser hoja.

Una enorme luz
Que fuera
Luciérnaga
De otra,
En un campo de
Miradas rotas.

Un reposo claro
Y allí nuestros besos,
Lunares sonoros
Del eco,
Se abrirían muy lejos.

Y tu corazón caliente,
Nada más.

Federico Garcia Lorca



Federico Garcia Lorca
photo du Net

mardi 19 décembre 2017

Des barreaux d'hier à l'éternité demain, poème fruban




Vivre c'est survivre à un enfant mort

  Jean Genet
in, Journal du voleur




Des barreaux d'hier à l'éternité demain




Il est étrange comme les mots font voyager
Entre le bleu de la Grèce la beauté de son alphabet
les barreaux de ta fenêtre ton soleil jaune
Une coïncidence devint vite connivence
Toujours ce fil qui relie deux esprits
A l'instant même j'eus le désir de t'offrir
le poème de Verlaine – Colloque sentimental -
Un déclic une impulsion subite
De barreaux en prisonniers
Me voici ici sous les nuages gris devant la page vierge

Je sais qu'au-delà de l'éternité nous continuerons 
à bavarder à rire comme ces deux spectres
Jamais je ne lâcherai ta main

Des milliers des millions de prisonniers
derrière les barreaux rêvent de s'évader
Barreaux des prisons barreaux de la Vie
Ce jour-là deux se sont croisés
Deux poètes blessés par l'Amour meurtris par la Vie
un troisième les a vite rejoints
Ce fut le rendez-vous des « poètes maudits »
Réunis tous les trois au mitan de nos plumes
Journal du voleur1 ou Voleur de poules1
Rebelles de petits ou grands chemins

Verlaine avait plaisir à dire que les barreaux 
à la fenêtre de sa geôle étaient en bois
Ce qui est vrai  __   l'anecdote est délicieuse

Ils s'appellent Paul Jean ou Roger
Tous les trois réunis là-haut -  tu sais
Trois spectres qui tiennent colloque
et qui se marrent de toute cette rigolade
dégoulinante  __  Fêtes de fin d'année qu'ils disent
Tandis que s'affairent les marchands du temple
Je sais qu'un jour nous les rejoindrons
et nous regarderons s'agiter les pantins
et nous rirons comme des fous.


© fruban

19 décembre 2017

Tous droits réservés

travail en cours

Journal du voleur, Jean Genet
   Voleur de poules, Roger Knobelpiess





Colloque sentimental


Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?

- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.

Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.

- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.


                                                     Paul Verlaine




Jean GENET

Roger KNOBELSPIESS


Photos du Net



lundi 18 décembre 2017

Poèmes , Denis Tellier

J'ai une fenêtre sur cour
qui me donne du gris
un gris pas comme les autres
un gris comme aujourd'hui
le soleil jaune est plus loin
il ne vient jamais par ici
il a peur de colorier mon gris
il a peur de donner de l'ombre
aux barreaux de ma fenêtre
et à ceux de mon lit
il a peur d'éclairer ma cellule
et la plume de mes écrits

                                   à Jean Genet

© Denis T

photo Denis T
manuscrit




Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara


© Denis T

Tous droits réservés



photo Denis T
manuscrit
décembre 2017


J'ajoute cette superbe collaboration entre un poète et une plasticienne, Denis Tellier et Anne-Marie Donain-Bonave



© Oeuvre Anne-Marie Donaint-Bonave
Tous droits réservés

le 26 décembre 2017







dimanche 17 décembre 2017

Octavio Paz, Pierre de soleil (extraits)





... Un saule de cristal, un peuplier d'eau,

Un haut jet d'eau arqué par le vent,

Un arbre bien planté quoique dansant,

un cheminement de rivière qui s'incurve,

avance, recule, vire et arrive toujours:

une démarche paisible d'étoile

ou de printemps sans hâte.



Eau avec les paupières fermées

dont sourdent toute la nuit des prophéties,

présence unanime en houle,

vague après vague jusqu'à tout recouvrir.

verte souveraineté sans crépuscule

comme l'éblouissement des ailes

lorsqu'elles s'ouvrent en plein ciel.



Une présence comme un chant soudain,

comme le vent chantant dans l'incendie,

un regard qui maintient suspendu

le monde avec ses mers et ses montagnes.



Corps de lumière filtré par une agate,

jambes de lumière, ventre de lumière,

baies, roc solaire, corps couleur de nuage,

couleur de jour rapide qui saute,

l'heure scintille et prend corps,

le monde est maintenant visible dans ton corps,

il est transparent dans ta transparence.



Je vais entre des galeries de sons,

Je flue entre les présences résonnantes,

comme un aveugle je vais à travers les transparences, un reflet m'efface,

je nais dans un autre,

ô forêt de piliers enchantés,

sous les arcs de lumière je pénètre

dans les corridors d'un automne diaphane...



                                                                    *


 ….

Vêtue de la couleur de mes désirs

comme ma pensée tu vas nue,

je vais par tes yeux comme dans l'eau,

je vais par ton front comme par la lune,

comme le nuage par ta pensée,

je vais suivant ton ventre comme dans tes rêves.



Tu es pluie toute la nuit, tout le jour,

tu ouvres ma poitrine avec tes doigts d'eau,

tu fermes mes yeux avec ta bouche d'eau,

sur mes os tu fais la pluie, dans ma poitrine

un arbre liquide plonge ses racines d'eau,



Je vais par ta taille comme par une rivière,

je vais par ton corps comme dans un bois,

comme dans la montagne,

sur un sentier qui aboutit soudain à un abîme
...


                                                                        *

Octavio Paz est né en 1914 dans le village de Mixcoac, au Mexique et est mort en 1998. Pierre de Soleil a vu le jour en 1957 et a été publié dans son recueil Liberté sur parole, qui rassemble ses poèmes écrits entre 1935 et 1957.
En 1990, Octavio Paz reçoit le Prix Nobel de littérature.




Octavio Paz
photo du Net