Quatre saisons plus une, Alain Hoareau
Poésie, L'Harmattan
septembre 2016, 108 pages, 13 €
« Il sera déjà trop tard pour les larmes/ en dedans/ lieu de ta présence ». C’est l’évènement de la perte qui va motiver Alain Hoareau à oser la publication de ce recueil de poèmes, Quatre saisons plus une, lui qui pose ses mots depuis si longtemps sur la page. Ce livre est un hommage au temps qui passe au fil des saisons où l’ordre chronologique est bousculé. La mort du père, qui est pour chaque homme un moment inaugural, va conduire le poète à déployer ses ailes pour nous offrir cet envol vers des pays disparus.
L’auteur va tisser, pour un auditoire d’inconnus, une toile ténue et resserrée de sensations et de sentiments pour tenter, du bout des doigts, du bout de sa lyre, de nous permettre d’approcher au plus près de l’émotion et ainsi atteindre le cœur des évènements les plus infimes, les plus anodins, les plus essentiels.
Dans un murmure fragile, dans une traversée risquée, le poète esquisse des moments éphémères dans un cheminement intérieur, qui se dévoile au fil de l’eau, au fil de sa marche en alerte, au fil de sa flânerie, au fil de son parcours intérieur, au fil de ses Rêveries d’un promeneur solitaire. Toute assurance délaissée, il s’acharne à traquer l’ineffable pour suivre la lumière et le vent, les forêts d’ombres, le parfum des saisons.
Il tente de « lutter contre les ruses sournoises du temps » comme l’énonce si bien un autre poète, François Teyssandier, en nous offrant des éclats de vie qui susurrent à nos oreilles des vibratos d’existence, « une ombre sous le voile ».
Alain Hoareau va nous faire cheminer du plus sombre au plus lumineux, de l’automne à l’hiver, du printemps à l’été. Ses mots rythment son chant qui va s’avançant de la complainte à l’hymne à la vie, pour qu’ainsi « derrière l’oubli » vibrent ses mots « au lieu où la corde au silence rejoint/ L’ombre ».
Dans cette plongée impressionniste dans la nature, Alain Hoareau va entamer un « singulier voyage ». Il se laisse pénétrer par ses émotions, et c’est ainsi qu’il parvient à déchiffrer ses désarrois provoqués par cette musique de l’absence « à corps des mots ».
Sans cesse nous percevons le doute qui s’insinue en lui sur la capacité du poète à traduire ce qu’il ressent, toute assurance perdue, toute certitude délaissée. Et il nous avertit : « Les mains ne retiennent ni le sable ni le vent/ Mais les mains se souviennent les mains inventent/… Lorsque la nuit inspire l’abandon au vertige ».
Et pourtant, il réussit ce prodige de débusquer, dans les recoins reculés de son intuition, une expiration de mots ciselés, poignants, libres, qui révèlent une foisonnante palette sonore inscrite dans un temps suspendu, imprimant un souffle musical à un paysage intérieur qui peut faire songer à Debussy. Et il avance, sur son sentier, en toute liberté, se moquant éperdument des règles élémentaires de la versification, de la ponctuation.
Les énigmes des paysages mentaux qu’il traverse l’aident-elles à apprivoiser la mort, à trouver un passage vers la voie qu’il s’acharne à débusquer en lui pour énoncer ce qu’il n’a pas dit encore, à exprimer la déchirure « dans les petits discours du temps » ?
Et dans ce périple ce « Elle » si présente, si essentielle, qui est-elle ? « une ombre sous un voile », « la lèvre du chant laboureur » ? est-ce fruit/ est-ce bouche/ la lèvre qui s’ouvre la dent qui mordille/ et les perles claires d’un frisson près des jambes ». Mais, en fait, ne symboliserait-elle tout simplement la vie dans tout son foisonnement et son implacable finitude ?
Ces saisons qui vont bien au-delà des saisons. Alain Hoareau nous les donne en offrande. Il partage avec générosité ses émois qui se disent avec une grande pudeur, qui doivent s’éprouver avec la légèreté d’une aile de papillon, contre la pesanteur de certains moments de l’existence.
Son propre chemin croisera le nôtre si nous acceptons de nous laisser emporter dans ces vers qui remuent la profondeur sans limite de notre inconscient, l’opacité de tout ce qui y est enfoui comme dans une crypte. Il l’exprime dans ces vers : « Je n’entends pas les chants des morts/ la mort ne sait chanter ».
Que devient alors cette cinquième saison ? Serait-ce la porte secrète, celle qui introduit aux « couleurs clandestines » ? Serait-ce celle qui ouvre vers l’infini de nos possibles ? Ou vers le fini de notre impossible à dire ? Quatre saisons plus une ne traduirait-il pas « une mémoire en chemin », un culte à la vie telle qu’elle va lorsque « les voix résonnent de leur effacement » et « l’illusion est parfaite de pouvoir recommencer » ?
Et Alain Hoareau ouvre notre être à cette question brûlante : « Et toi, de quelle saison es-tu ? »
Alors laissons-nous absorber sans résistance par la grâce de ces vers avec recueillement comme on lit une prière même si on ne croit pas dans un au-delà. Car la poésie n’est-elle pas une nourriture nécessaire à l’âme « lorsque le ciel est à l’envers » dans les temps si troublés et si incertains que nous vivons ?
Pierrette Epsztein
La Cause littéraire