vendredi 13 février 2015

Article de Cristian Ronsmans, La Poésie

Moi qui écris des poèmes, j'aimerais soumettre à votre lecture, cet article de Cristian Ronsmans (déjà cité ici, pour le talent de critique à l'esprit vif et caustique, un tantinet malicieux). Ce qu'il dit de la Poésie me parle, résonne en écho au fond de moi.

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« Poésie », voilà un mot qui vient du grec ancien « poein » qui signifie « action de faire ou création ».
Le poète serait-il donc un créateur? Fichtre! Il se peut. Mais un créateur de quoi, au juste ?
Créateur de mots serait bien prétentieux! Par la "malepeste" les mots existaient déjà bien avant que les poètes ne s’en mêlent. Néanmoins ou nez en plus,l’opinion fortement répandue, encore aujourd'hui consiste à penser que le poète n’est qu’un habile créateur d’agencement des mots. Une sorte de décorateur en quelque sorte.
Mais si, d'aventure, la poésie ne se réduisait qu'à cela, alors on pourrait penser que quelques gens fort adroits dans le maniement des mots sont plus poètes que d’autres qui ne sont pas pourvus de cette sublime qualité qui enchante yeux et oreilles.
Et de fait, on connut, autrefois, bon nombre de poètes qui n’étaient autres que d’habiles versificateurs, maîtres en scansion, en rimes riches et autres tournures linguistiques et grammaticales qui donnent à rêver comme une jolie carte postale vous fait entrevoir de magnifiques paysages. Cela n'a pas complètement disparu. Que du contraire!
Certes, cela ne signifie pas pour autant, qu’à l’image d’un subtil décorateur la poésie, ne nous ait jamais donné à lire des œuvres magnifiques dans leur forme qui réussirent le pari de nous débarrasser quelque fois, souvent même, de nos affects refoulés et enfouis dans notre inconscient. Tel fut ainsi le cas des différentes épopées à écriture poétique, de la poésie lyrique, de la poésie moralisatrice jusqu’à la poésie d’avant-garde. Et, las, encore aujourd'hui!
Cependant, il existe, hé oui, j’en connais, des poètes qui n’ont pas besoin de mots pour être poètes.
Car, en vérité, c’est la richesse de ce qu’ils portent en eux, que les mots certes peuvent soutenir, pourquoi pas (et ils le font magnifiquement bien), qui fait d’eux de vrais poètes, authentiques.
Ces poètes là véhiculent des idées, des concepts qui traduisent des émotions de l'ordre de l'indicible et qui nous conduisent à une forme d’hermétisme.
De sorte que la poésie hermétique, au risque de paraître hérétique, j'ai bien envie de dire qu'en réalité elle n’existe pas. Car, pour moi, ce n'est pas cet agencement de mots qui hermétique, c’est la pensée véhiculée par le poète qui l'est et c’est à chacun de nous de l’interpréter. Il faut non s'approprier l’œuvre mais se laisser traverser par elle!! Elle n'est à personne et à tout le monde!
La poésie en ce sens n’est donc pas une affaire d’intellectuel ou de gens littérairement cultivés, et cela vaut, qu'on soit ’auteur ou lecteur.
Je citerais, à cet égard, l’exemple de l’un de mes amis poètes, extrêmement brillant par sa faculté à exprimer une grande spiritualité, un immense humanisme et qui, exerce dans sa vie professionnelle le métier…. de jardinier !
Mais cultiver la poésie ou des fleurs, où est la différence?
Le poète est donc quelqu’un qui a quelque chose à dire, quelque chose à transmettre. Cette chose peut être de l’ordre du ressenti, une émotion, un sentiment mais aussi un univers plus moral, éthique, spirituel, amoureux, un univers qui peut relever du métaphysique.
Il convient donc et j’espère qu’on l’aura compris qu’il ne faut pas prendre les mots que le poète peut dire pour des idées , comme une sorte de profération presque incantatoire. De sorte qu'il convient de se rendre au-delà du sens littéral que les mots nous proposent. Au delà de la littéralité.
La langue des mots doit faire sens, c’est tout ce qu’on lui demande. La langue du poète est d'un ordre quasi surnaturel!
Dans cette approche, un genre poétique, plus que toute autre, a retenu mon attention, c’est la poésie prophétique. Dans ce registre, le poète est « animé ».
Animé par une vision du monde où il joue le rôle de décodeur de l’invisible. Platon lui-même n’en pensait pas moins. De sorte, pardonnez-moi cet iconoclasme, qu’on aurait pu substituer à la phrase célèbre de Platon( "Nul n'entre ici s'il n'est géomètre")sur le frontispice de son école de Delphes, la phrase suivante : « Nul n’entre ici s’il n’est poète ». L'Idée, chère à Platon est là!
Mais cela ne signifie pas pour autant que si le poète est un créateur, il soit forcement un démiurge !
Comme au sens photographique du terme, les mots « créateurs de rêve, de Beau ou de Sagesse » peuvent servir de…révélateur, mais ne peuvent se substituer à eux seuls aux pouvoirs du Créateur. Le Poète n’a pas cette ambition car les mots n’ont qu’une importance relative. Le plus beau des poèmes ne serait-il pas, du reste, celui qui se passe de mots ? L’ambition du Poète est de l’ordre de la transmission. C'est un transmetteur!
Et j’en terminerai, avec cette phrase de Guillaume Apollinaire qui a mes yeux résume toute l'intelligence de la poésie : « On peut être poète dans tous les domaines : il suffit que l’on soit aventureux et que l’on aille à la découverte ».
Salut, Poète!
Cristian Ronsmans

le 12 février 2015

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lundi 9 février 2015

Quête, poème de Cristina Castello

                                       Quête

Les arbres tombent
Sous le poids de papillons vieillis
La mer figée fauche les vies
Et des ailes sans oiseaux
Nous pleuvent au travers des yeux
Dans cette nuit sans aurore
Le monde

Eclairs d'ombre
Ténèbres de lumière

Où ?
Le soleil abreuvé dans le ventre de l'ange
Où ?
Les murs foudroyés par des légions de pétales
Où ?
La rétine de la paix

Même pas ce lâcher d'oiseaux
Le sang insurgé des humbles
Enflammera-t-il la lumière ?

traduit de l'espagnol ( Argentine )
 par Pedro Vianna


                                            ***



Los árboles caen
Bajo el peso de mariposas envejecidas
El mar coagulado guadaña las vidas
Y alas sin pájaros nos llueven los ojos
En esta noche sin aurora
El mundo

Fulgores de sombra
Tinieblas de luz

Dónde
El sol abrevado en el vientre del ángel
Dónde
Los muros segados por legiones de corolas
Dónde
La retina de la paz

¿O quizás esta suelta de pájaros
—La sangre insurrecta de los mansos
Inflamará la Luz?

Cristina Castello, «Quête»
París, 14 de marzo de 2011

en mi libro «El canto de las sirenas»
Editions Chemins de Plume


http://0z.fr/FImoR
photo Cristina Castello

dimanche 8 février 2015

Ode et germinations, Pablo Neruda

II
Ces années, tes années, que j'aurais dû sentir
croître comme des grappes près de moi
pour que tu voies enfin comment soleil et terre
t'auraient destinée à mes mains de pierre,
toi qui, grain après grain, eus fait chanter
le raisin en vin dans mes veines.
Le vent ou le cheval
en s'égarant auraient pu me faire passer
par ton enfance,
tu as vu chaque jour le même ciel,
la même boue du sombre hiver,
les branches des pruniers, berceau sans fin,
avec leur violette douceur.
Un rien, quelques kilomètres de nuit,
les distances mouillées
de l'aurore champêtre,
une poignée de terre nous ont séparés, les murs
transparents
que nous n'avons pas traversés, pour que la vie
après cela mette entre nous
toutes les mers
et la terre, et pour que, malgré l'espace,
nous nous rapprochions, nous cherchant
pas à pas,
d'un océan à l'autre,
jusqu'à l'instant où j'ai vu le ciel s'embraser
tandis que tes cheveux volaient dans la lumière,
tu arrivais à mes baisers avec le feu
d'un météore déchaîné,
tu t'es fondue avec mon sang, ma bouche
a reçu, du prunier sauvage
de notre enfance, la douceur,
et je t'ai serrée sur mon coeur
comme si terre et vie étaient à nouveau miennes.
Pablo Neruda
Ode et germinations, in Les Vers du capitaine
trad Claude Couffion
Poésie / Gallimard p 265-267


crédit photo fruban