jeudi 22 septembre 2016

Sylvie Brès, Coeur troglodyte (Castor astral) - sur France Culture 2 novembre 2014


Sylvie Brès, crédit DR
Emission Ca rime à quoi, Sophie Nauleau, France Culture




**Sylvie Brès pour « Cœur troglodyte », éditions Le Castor Astral**

Sylvie Brès n'a cessé de s'interroger sur les pouvoirs rédempteurs de l'écriture. Ses textes ont déjà suscité l'attention, parmi d'autres, de Bernard Noël, de Marcel Moreau, de Zéno Bianu, d'André Velter et d'Yves Bonnefoy. Elle se bat depuis plusieurs années contre la «longue maladie», celle qu'on hésite toujours à nommer. Mais elle cherche précisément les mots pour la dire sous toutes ses facettes. En poète. Ambition singulière, on ne peut plus risquée, dont son livre témoigne au jour le jour.

« Et soudain le pas manque », écrit à l'hôpital, s'attache à faire comprendre dans toute son ampleur cette bascule qui, du jour au lendemain, renverse l'individu et ses valeurs, le suspend entre la vie et la mort, et le soumet à la conscience entière et désespérée de sa fragilité.
« Coeur troglodyte » marque le temps d'une rémission possible, d'un espoir entrevu, une voie pour dépasser la solitude, en quête de solidarité et de réémerveillement. La poésie redonne chair à l'image de soi que la maladie avait dévastée. Littéralement, et dans tous les sens, elle la re-vivifie.

« Au regard de tous les discours lénifiants à propos du cancer, qui touchent parfois au grand n’importe quoi, ce livre témoigne d’un immense désir : que cette souffrance puisse avoir une forme d’utilité à la fois tendre et révoltée à travers le langage poétique et qu’elle touche l’autre dans son humanité profonde. Cœur troglodyte réunit chronologiquement deux ensembles de poèmes : Et soudain le pas manque et Cœur troglodyte proprement dit. Et soudain le pas manque s’attache à dire, à faire comprendre dans toute son ampleur, cette bascule qui, du jour au lendemain, renverse l’individu et ses valeurs, l’oblige à une révolution copernicienne, le surprend, le suspend entre vie et mort, et le soumet à la conscience entière et désespérée de sa fragilité. C’est le temps de l’hôpital, un temps non pas de chien, mais de patient, qui enferre, enferme une vie devenue autre et suspendue aux traitements, une vie défigurée par l’ennemi intérieur. À cela, pour Sylvie Brès, à cette prison de mots, d’images, de conventions, seule la poésie peut résister. Cœur troglodyte marque le temps d’une rémission possible, d’un espoir entrevu, une voie pour dépasser cette solitude ontologique, en quête de moments de bienveillance, de solidarité, de ré-émerveillements. Une façon, malgré tout, de ressentir à nouveau et de rejoindre la vie au-delà de l’enfermement. Une vie désirable, qui ne serait plus assujettie au couperet des résultats d’analyses. La parole alors se refait chant pour tenter d’habiter le monde sans les entraves du lendemain. La poésie redonne chair à l’image de soi que la maladie avait dévastée. Littéralement et dans tous les sens, elle la re-vivifie. »

Musique

Babies de Colleen, extrait de l'album Everyone Alive wants Answers , paru chez Leaf (BAY31CD) en 2003

The Golden Morning Breaks de Colleen, extrait de l'album éponyme, paru chez Leaf (BAY48CD) en 2005

FRANCE CULTURE

Intervenants
Sylvie Brès : Poète
(1954-2016)

Lire ce très beau et émouvant recueil et écouter l'émission de France Culture (ci-dessous)







mercredi 21 septembre 2016

Aragon, Epilogue in, Les Adieux

photo du Net








La vie aura passé comme un grand château triste que tous les vents traversent
Les courants d’air claquent les portes et pourtant aucune chambre n’est fermée
Il s’y assied des inconnus pauvres et las qui sait pourquoi certains armés
Les herbes ont poussé dans les fossés si bien qu’on n’en peut plus baisser la herse
Quand j’étais jeune on me racontait que bientôt viendrait la victoire des anges
Ah comme j’y ai cru comme j’y ai cru puis voilà que je suis devenu vieux
Le temps des jeunes gens leur est une mèche toujours retombant dans les yeux
Et ce qu’il en reste aux vieillards est trop lourd et trop court que pour eux le vent change
J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Je vois tout ce que vous avez devant vous de malheur de sang de lassitude
Vous n’aurez rien appris de nos illusions rien de nos faux pas compris
Nous ne vous aurons à rien servi vous devrez à votre tour payer le prix
Je vois se plier votre épaule A votre front je vois le pli des habitudes
Bien sûr bien sûr vous me direz que c’est toujours comme cela mais justement
Songez à tous ceux qui mirent leurs doigts vivants leurs mains de chair dans l’engrenage
Pour que cela change et songez à ceux qui ne discutaient même pas leur cage
Est - ce qu’on peut avoir le droit au désespoir le droit de s’arrêter un moment
J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Songez qu’on n’arrête jamais de se battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien
Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable
Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables
Car il n’est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien
Et vienne un jour quand vous aurez sur vous le soleil insensé de la victoire
Rappelez vous que nous avons aussi connu cela que d’autres sont montés
Arracher le drapeau de servitude à l’Acropole et qu’on les a jetés
Eux et leur gloire encore haletants dans la fosse commune de l’histoire
J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Je ne dis pas cela pour démoraliser Il faut regarder le néant
En face pour savoir en triompher Le chant n est pas moins beau quand il décline
Il faut savoir ailleurs l’entendre qui renaît comme l’écho dans les collines
Nous ne sommes pas seuls au monde à chanter et le drame est l’ensemble des chants
Le drame il faut savoir y tenir sa partie et même qu’une voix se taise
Sachez le toujours le choeur profond reprend la phrase interrompue
Du moment que jusqu’au bout de lui même le chanteur a fait ce qu’il a pu
Qu’importe si chemin faisant vous allez m’abandonner comme une hypothèse
J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre.

Aragon Epilogue in, Les Adieux

Dans le jardin des simples, Angèle Paoli et Martine Cros





Revue Ce qui reste Dans le jardin des simples, Angèle Paoli et Martine Cros

Ce qui reste





Un sang ancien d'Emmanuel Merle, pastels de Cécile A.Holdban

Revue Ce qui reste