vendredi 30 juin 2017

Tu vois, je reste là, humant, Denis Tellier

   
dessin Denis Tellier





                         
                                 Tu vois, je reste là, humant






Tu vois, j'ai en moi une petite chose sans valeur sans saveur, qui revient de temps en temps au-dessus de l'onde, brume qui envahit l'espace d'un étang. J'en profite pour en faire le tour dans ma tête... je me rends compte que j'ai cette possibilité d'être comme les autres, d'égaler des désirs, d'avoir des envies, non pour réussir, mais pour être en moi, à peu près bien.

J'ai pensé longtemps dans mon enfance, dans l'adolescence aussi, qu'il fallait dépasser un cap pour devenir adulte. Être grand nécessitait obligatoirement un examen de passage, des preuves et tellement d'assurance. J'avais peur de ce rendez-vous, de cette trajectoire vers des  chemins que je n'aimais pas.  C'est facile  quand on est petit de rester habillé en Indien toute la journée, les gens ne s'étonnent pas. Plus grand,   on vous montre du doigt, l'adulte ne rigole jamais quand il s'agit de « devenir un homme mon fils ».
Je n'avais pas une once de réflexion sur un métier choisi, alors, on me proposait à l'emporte pièce des boulots de manoeuvre, mécanicien, tôlier, chaudronnier, ferblantier, ajusteur - pour ajuster quoi ? - le manque d'ajustement, évidemment.
La réussite d'une vie n'appartenait-elle qu'aux personnes savantes ?

Tu vois, je ne me posais pas trop de questions. Heureusement  l'intérieur de ma tête était resté sauvage. En avançant je regardais reculer l'horizon.
Je n'étais pas à la hauteur ou seulement dans des travaux de soutien, des dépannages extrêmes, traire les vaches à la sortie des champs, couper du bois à l'entrée de l'hiver... Et puis le schéma de la réussite me laissait indifférent, le complot de l'échelle hiérarchique me gonflait les joues, à l'intérieur je ruminais une mauvaise haleine.
Les hommes progressaient les uns sur les autres, pataugeant dans des lois,  encore napoléoniennes pour certaines. Ils riaient aux éclats, bras dessus, bras dessous, pensant qu'avec tout ce retard, il fallait prendre de l'avance sur le temps.
C'est vrai qu'un bicorne écrasé  à s'y méprendre ressemble de loin à un béret posé.

Non, je voulais encore partager les cerises de l'arbre avec les oiseaux. Je voulais calmement parler de l'humanité avec des hommes au regard franc.  Me rappeler des premières tribus qui cherchaient sous la lune, sous les étoiles, une harmonisation. Je pensais comme un fou que l'on était capable de tout. Réunir l'essentiel  pour bien remplir la vie.
J'en avais ras-les-bottes des trajectoires obligatoires, des prototypes originaux, des propositions malhonnêtes pour un supposé équilibre.

Non, tu vois, je reste là... humant.


© Denis Tellier

Ventôse (Février-Mars) 2015

Tous droits réservés








photos Denis Tellier

mercredi 28 juin 2017

Le silence même n'est plus à toi, Asli Erdogan (Actes Sud,2016)







Le silence même n'est plus à toi

Dans l’un de ses derniers livres parus en France, Aslı Erdoğan évoquait déjà ce lieu effrayant entre tous, le “Bâtiment de pierre” – autrement dit la prison de Bakırköy à Istanbul. Or voici qu’en août 2016, à la suite de la tentative de coup d’État de juillet, la romancière turque est arrêtée et s’y trouve incarcérée. Son délit : avoir écrit dans un journal pro-kurde (Özgür Gündem) pour clamer son indignation et dénoncer toutes les atteintes à la liberté d’opinion. Depuis lors, la situation en Turquie s’aggrave et Aslı Erdoğan – entre autres intellectuels, journalistes et universitaires – encourt une condamnation aussi infondée qu’inacceptable.
Ce volume rassemble quelques-unes des chroniques qui lui ont valu cette accusation. Le lecteur y retrouvera l’exigence poétique d’Aslı Erdoğan, son amour de la liberté, sa lucidité et la beauté de sa langue.
Que ce livre puisse briser l’étau du silence : tel est désormais le voeu de ses éditeurs, en France et à l’étranger, partout où son oeuvre a droit de cité.

Actes Sud


Très belle note de lecture sur le site LITTERATURE par Alice Granger, le 17 janvier 2017

"Adrien de la vallée de Thurroch", de Denis Tellier


Adrien... le retour au bercail !

photo Denis

En juillet 2016, j'avais déjà consacré un article à Denis Tellier, écrivain de grand talent, à la plume originale. Ecrivain, sculpteur, peintre....mille cordes à son arc !
Si aujourd'hui, je reviens sur "Adrien de la vallée de Thurroch", c'est que pour acheter ce livre rare, lu et relu avec grand plaisir, il vous faut maintenant le commander directement à son auteur.

Où joindre Denis Tellier ?  ICI
Vous pouvez aussi laisser un message sur ce blog, il lui sera transmis.

Pour lire l'article que je lui avais consacré, c'est ICI

Un petit extrait

(...) "De suite, il m'a semblé entrer dans une langue, une écriture, autres que celles d'un romancier. Des images, des sonorités, un rythme qui sont ceux du Poète. Comme un long poème en prose. (p 14-16)

      Lorsqu' Adrien entre en scène, je me suis d'abord demandé qui il était... Croisements entremêlés des époques. Très vite, on apprend à le découvrir, on croit le connaître, et puis...
Ces corbeaux freux omniprésents qui planent sur vos mots, sur cette vallée. Oiseaux de mauvaise augure, mauvais présage ? La Mort rôde. (dernières lignes p 20)

On voit, on respire (ah ! les odeurs!!), on entend vivre cette campagne ardennaise. Les superstitions, le dur labeur. Des images saisissantes « les rideaux amidonnés à la fumée des âtres » « entretenir un bon voisinage croûte que croûte » ! Et tout au long, j'en découvrirai tant et tant...

Je me suis arrêtée plusieurs fois. Réfléchir à ce « Je »... Vous Denis, glissé dans la peau d'Adrien ?

La description de sa maison est plus vraie que si elle était là, sous mes yeux. Des souvenirs remontent en moi... Elle m'a rappelé la maison de Raoul, entre Creuse et Corrèze, début années 70. Chez lui, je me croyais des années en arrière, complètement hors du temps. Presque l'époque d'Adrien - « cela sentait l'homme seul, l'intérieur confiné et le rance ». La présence de la mère...morte.

On entre brutalement dans la Guerre. Déjà j'entrevois l'horreur « il bondissait sur les têtes, de casque en casque » ! Et tout au long de ce récit poétique, l'horreur sera là, progressivement atroce."(....)
FRuban, juillet 2016


Note de lecture de Marie-Flore Zannis


Il sait écrire Denis Tellier , il sait si bien écrire qu’on ne peut que tourner les pages de son roman jusqu’à la dernière, sans s’arrêter et qu’on le relit dès qu’il est terminé (et sans doute le relirai-je encore). Pourtant rien ne me rattache à ce pays des Ardennes mais combien m’a émue l’histoire d’Adrien, ce paysan revenu cabossé ,dehors et dedans, de la grande guerre , et prisonnier de ses souvenirs .
"C’est plus tard, en se couchant, dans le mâchonnement de l’étonnement , que les souvenirs de la journée, remontaient en tête"
Le récit est presque surréaliste et les mots si précis pour décrire la misère, les taudis, la solitude, le sang des tranchées , la rudesse
"il fallait voir, ces laboureurs, sur la toile de fond de l’horizon, sortir des champs dans le contre jour des guigois sur la pointe des pieds avec, posées sur leurs cous des têtes d’un autre âge " . 
Mais aussi les paysages, les arbres, les champs, les fleurs, les oiseaux, le vent du Nord ,
Son écriture est particulière, étonnants ces mots qu’il pose avec une douceur consumé puis à coup violent de burin mais toujours concise, épurée. La poésie court tout au long , car Denis est un artiste, sculpteur sur bois, c’est pourquoi ses mots sont sculptés comme on taille une pièce de bois et tout ce qu’il peut y ajouter pour éclairer sa vision (...)
MFZ, le 24 novembre 2017