jeudi 4 septembre 2014

Pierre Soulages, par Cristian R

crédit photo tourisme grand rodez (lien ci-dessous)



J’avoue avoir été longtemps soumis à l’autorité du préjugé concernant ce créateur, ne m’appuyant que sur ce que j’en avais vu dans des catalogues, des livres, des reproductions sur le net et sur les propres déclarations nombreuses (il est prolixe) de l’intéressé.
Je dédie ce texte et cette modeste analyse à mon ami Alain B. en souhaitant qu'il prenne autant de plaisir et d'envie de rire que j'en eus en l'écrivant.


Pierre Soulages : Le trou noir.


Je vous avais promis un commentaire sur Pierre Soulages, son musée et ses créations. Le voici.



Or donc, il me fallait, c’est un minimum d’intelligence que je me rendisse sur place à Rodez dans le Debir du Maître pour en mon âme et conscience, non pas juger, mais, livrer mon sentiment, mes impressions, mon ressenti, mon analyse à la lumière de mon logos personnel, et ce n’est pas le plus simple, au vu de l’engouement populaire, en toute sérénité et indépendance d’esprit.


Aussi, avant d’entrer dans le vif du sujet, autrement dit de la critique (concept toujours considéré, hélas,comme négatif par la communauté) je tiens à dire que j’ai non seulement été intéressé par certaines créations mais, qui plus est, je les ai trouvées belles. Et je ne dis pas cela, car ce n’est pas mon genre, pour m’attirer les faveurs bienveillantes de tel ou tel. La preuve vous en sera donnée dans la suite de mon propos.


Commençons donc, si vous le voulez bien, par l’arrivée sur les lieux.


Le temps était au beau et Rodez resplendissait, comme de coutume, de cette magnificence affectée des villes mortes depuis des lustres , sans qu’elles en soient conscientes.

Les rayons du grand blond cuivraient les façades de la Cathédrale, à la sévérité défensive des forteresses moyenâgeuses, lui conférant cet air de vieille casserole gothique dans lesquels on confectionne les meilleurs brouets mystiques. « Croyant, à genoux, l’Eglise a un œil sur toi ! ».

Je connais bien la ville et comme je m’en doutais le musée était aux alentours du Foirail. Quelques panneaux indicateurs en indiquaient la direction.


Et même la direction d’un parking.


Soudain plus rien. Comme bien d’autres automobilistes, compagnons à 4 roues provisoires, je m’engageai dans le premier parking venu, non loin d’une immense bâtisse moderne, cubique et rouillée qui selon moi devait constituer l’antre du Maître.

De fait, quittant mon véhicule, le parking donnait sur un bâtiment quelconque baptisé « Carrefour » le long duquel je vis quelques paniers de ménagère à roulettes (les paniers, pas les ménagères !) et j’en conclus, à la lecture de cette enseigne, que le musée était bel et bien bunkerisé, expression architecturale de la « Lingua Quintae Reipublicae », fort à la mode aujourd’hui.


Nous (ma compagne et moi) n’étions pas bien loin du Temple Soulagien.

Un peu comme on gravit la butte du Lion à Waterloo, il nous fallu grimper tout un long escalier, lequel, au fur et à mesure de l’ascension nous permettait de découvrir les contreforts d’une succession de 6 à 7 blockhaus dont un seul, en fait, abritait les œuvres.


De mon point de vue, il me parait difficile de faire plus hideux. Des cubes d’acier calaminés jusqu’à l’os du métal. C’est à la mode, certes. J’avais, en effet, déjà vu cela dans le village du Broc en Auvergne, comme parure de la salle des fêtes. Ce calamiteux et calaminé décor faisait l’orgueil du Maire car cela valait son pesant de cacahouètes généreusement versées par les contribuables, hostiles aux arachides qui avaient tant fait grossir leur porte monnaie. Le « corten » puisque c’est de cela qu’il s’agit (c’est le nom de la ferraille) se vend à prix d’or !

A ce sujet, le Maître ruthénois qui ne peut résister (suffit de voir son expression pour s’en convaincre) à balancer une bonne vanne, n’hésite pas sur le prospectus qui vous est remis à l’entrée de s’exprimer sur son architecture oxydée en ces termes : « Plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte ».


Ce premier contact, extérieur avec le musée, franchi, on pénètre enfin dans le lieu où, ne soyez pas trop gourmand, le Maître n’occupe qu’un seul niveau sur les 6 de ce seul blockhaus.


Cela étant, incontestablement l’intérieur de la casemate est infiniment plus sympathique que sa gueule de façade rébarbative. A priori, on peut se demander si les parois ne sont pas constituées du même acier qu’à l’extérieur mais pour le coup, lavé, nettoyé, rapproprié. Bref un métal nickel si j’ose dire avec de joli reflets bleutés, mâtinés de gris renvoyant une image un peu austère mais apaisante, sans agressivité. Assez neutre somme toute et cela va parfaitement convenir à l‘exposition du travail.

Et venons-y.

Qu’est ce que je fais, je parle de l’œuvre ou du bonhomme ?

Allons-y pour l’œuvre, je préfère garder le meilleur pour la fin.

Nous avons fait 2 fois et demi le tour du rez-de-chaussée de la casemate ce qui me semblait un minimum pour se faire une opinion.


Celui-ci est divisé en 6 thèmes. En gros, la période du noviciat, suivie, des œuvres de tâtonnement du style, puis les fameux brous de noix, dans la foulée, les cartons des vitraux de Conques, ensuite nous avons les exercices de styles (lithos etc..) et enfin l’apothéose du noir avec l’inénarrable (qu’on ne peut raconter) Outrenoir.


Le noviciat.

De mémoire, je n’ai pas de mal, c’est court ! ( et on comprend aisément pourquoi). On découvre 3 petites toiles ridicules de taille, d’inspiration et de technique, représentant quelques arbres maigrichons et rabougris. Trois « œuvres » du niveau d’un peintre amateur qui se serait initié à la méthode Bordas : « J’apprends à peindre », avant d’intégrer la première année d’académie.

Mais passons. On se dit qu’il fallait bien que cet élève, à priori peu doué, se fasse la main et le pinceau.


On en arrive, ensuite, à ce que j’appelle le tâtonnement de style qui se distingue par une approche d’une abstraction tragique, avec quelques relents de pointes cubistes. Une approche assez simple dans le fond tant pour l’artiste profane que pour le spectateur profane cultivant des allures de fidèle inspiré par ce monisme pictural !


Ca sent le Mondrian décoloré par l’Oréal et recoloré par l’adepte du brou à la noix. Vous savez ce Mondrian dont Dali disait dans une interview célèbre : Piet ! Piet ! Piet ! Niet !

Mais on ne peut s’empêcher de penser au ténébreux Mal est vitch arrivé avec son carré de chocolat (on se croirait dans Candy crunch) sur fond blanc gélatineux. On pense aussi à un André Beaudin saisi par un coup de blues cubiste dans un Temple protestant. Bref pas de quoi s’émouvoir.


Cependant, tout en cheminant dans ce dédale abstrait, je tombai enfin sur une toile qui retint mon attention. De larges bandes noires, tantôt horizontales, tantôt verticales dans un funèbre enchevêtrement se dessinaient à grands coups de spalter sur un fond grisâtre. Je restai bien évidemment insensible, sans la moindre émotion devant l’œuvre du Maître, quand soudain j’eus une vision. Je dis bien une vision, et non une émotion.


Une réminiscence vénitienne d’un moment vécu revint à la surface de ma conscience.


Avec une bonne dose d’imagination, à force de me torturer les méninges pour donner du crédit aux barbouillages abstraits, mais je ne manque pas d’imagination, s’imposât à moi l’image soudaine de mon déplacement sur la lagune de nuit dans une atmosphère aporétique et un épais brouillard d’où seuls émergeaient de fantomatiques « briccole » que je croyais retrouver chez Soulages.


Me voilà donc à cet instant entre une vision hallucinatoire et une trouble réminiscence d’un moment qui fut en effet un moment d’émotion dans un lointain passé.

Car c’est ce moment précis qui fit émotion. La toile ne fit que me la rappeler. Un peu comme le visage d’un inconnu vous rappelle soudain celui, émouvant, d’un être aimé.

Bref, je dis « in petto » merci à Soulages mais je m’en fichais éperdument. Je n’eus pas eu cette vision, que cela n’eut aucune incidence d’interpellation de mon vécu à l’insu de mon plein gré.

Mais peu m’importât


Et lancés dans notre inexorable parcours, ma compagne et moi avions déjà franchi le seuil de la salle suivante.

Là nous entrâmes dans le vif du sujet. La salle est impressionnante de proportions, mais cela se justifie en raison des dimensions qui avoisinent aisément celles des « Tintoretto » exposés au Palais des Doges dans la Sérénissime.


Ici le pompeux s’installe dans sa plus pure radicalisation immanente !


Au centre ce que je prenais pour un paravent rapporté par un voyageur égaré au pays de Gargantua, était en fait une toile recto/verso épaisse en couches noires diversement étendues. On m’avait, du reste, pour bien comprendre Soulages, invité à entrer dans « l’épaisseur de sa peinture ».


L’occasion se présentait.


Je tournais donc autour du monstre plat comme un allien passé au laminoir. Je le reniflais, flairais cherchant le moindre interstice qui me permettrait de me glisser entre les couches noires jetées à la truelle comme un vulgaire enduit de rebouchage.


Stupéfiant ! Pas la moindre faille. Plus abrupt que le mur de Fontainebleau, y a pas ! La paroi est infranchissable. Varape interdite et varape oustra aussi !!


Déconfit comme une vieille cuisse de canard usagée, je regardai en direction du mur est, sur le côté de la baie vitrée.


Face à moi une immense toile coupée en deux volets comme un dyptique, un pan tout noir et un pan noir hachuré horizontalement de blanc. Sur le côté, les mêmes toiles en formats plus petits. Sans doute les ébauches, les études comme faisaient les Delacroix, Géricault et autres artistes.

Je regardai cela, un moment, l’œil morne, impavide, sans ressenti particulier. Je ne trouvai cela ni beau ni moche. Je me souvins, soudainement, à cet instant des propos sentencieux du Maître : « Je ne dépeins pas, je peins »


Ce qui en dit long sur sa suffisance compensatrice de son insuffisance dans l’Art. Car bien sur qu’il ne dépeint pas. Ca se verrait. Mais étaler de la couleur avec quelques zébrures n’est pas peindre non plus. Ces « œuvres » de son aveu même ne représentent rien mais là, en l’occurrence, elles ne ressemblent à rien non plus.


Normal car il ne dépeint pas plus qu’il ne peint.


J’en étais là de mes ruminations, quand m’étant imperceptiblement approché du monument acrylo-glycérophtalique, j’eus l’illumination. Ce que je prenais à distance pour du noir était du brou de noix ! Sabre de bois ! Ah le coquin ! Le brou de noix, couleur brou de noix donc, astucieusement appliqué renvoyait à distance l’illusion de voir du noir et je n’y avais vu que du feu.


Ah l’habile bonhomme !!!


C’est incontestable, j’en avais la preuve sous le nez, ce Soulages est très fort.


En habile technicien, en artisan consommé, il arrivait à me faire prendre un AVC pour des lanternes. Il est à la peinture ce que Bernard Bilis, magicien connu est à l’émission de Sébastien « Le plus grand cabaret du monde ».

Et bien, moi je le dis haut et fort : Bravo Monsieur Soulages.

En dépit de vos allures de gentleman frimeur vous êtes la fierté de l’illusion humoristique de la France.

Fi des éternels ronchonneurs, des aigris et autres ramollis du bulbe car vous êtes un formidable technicien de la pâte à modeler !


Mais, bon, ce n’est pas tout ça. Ma compagne et moi allions à la découverte d’autres œuvres sidérantes. Un moment je crus découvrir, et m’en extasiais, une bien belle imitation de parquet de lames, au noir bien patiné par les ans, et je me disais que cela serait du plus bel effet pour lambrisser les murs de ma salle de bains.

Cruelle déconvenue. Une fois encore l’illusionniste m’avait bluffé. Tout était dans l’épaisseur (enfin la voilà) de la couleur sur une toile soigneusement marouflée !

Bien joué Soulages !!

Et enfin toujours dans la même salle, je découvris une grande, comment dire, « toile-sculpture », coupée en deux dans l’horizontalité cette fois. On aurait dit deux panneaux longs dans leur horizontale, l’un au dessus de l’autre, chacun ornementé de baguettes fines gainées de métal bleuté ou gris. Chaque baguette étant dans le prolongement exact de celle qui la surplombe et inversement.


Mais, non gros bêtas ! Ce ne sont pas de fines baguettes de métal ! Ce sont des coulures de peinture qui imitent le métal.


Visiblement Maître Soulages, Maître Jacques de la Couche et joyeux compagnon proposait une fois encore une création qui pour l’un des panneaux eut constitué un joli soubassement mural dans ma bibliothèque que j’aurais augmenté d’une belle moulure, ton sur ton, et rehaussé d’une toile de riz au teint mordoré de jaspes cuivrés.


Mais je n’étais pas venu, en dépit des talents incontestables de décorateur de notre hôte, pour ré envisager la déco de my sweet home.

Nous continuâmes donc notre visite par la salle des pas perdus (pour tout le monde) où s’exhibaient ce que je pris pour des Tofolli de jeunesse et qui en vérité constituait une partie du fond lithographique, sérigraphique etc… du Maître.


Entre temps, j’ai oublié de vous le dire, nous avions visité la salle la plus marrante car la plus exhibitionniste. Celle des cartons des fameux vitraux. Je reviendrai plus loin et avec prudence sur l’affaire des vitraux. Cela étant, le narcissisme de la salle des cartons vaut le déplacement pour ceux qui s’intéressent aux spécificités psychanalytiques liées aux postures que peut prendre « l’artiste qui s’y croit » ou finit par s’y croire.


C’est un point, par ailleurs et de façon générale, où je m’inscris en faux contre mon ami Ferry « boite » (comme dirait Pagnol) quand il parle de « blague ». Non, Luc, c’est de l’humour et de la provoc ! Faut dire, à ton corps défendant, que même Dagen, dont les jugements ne valent pas un pruneau, sauf pour quelques constipés de l’art « du même temps que », ne s’en était pas rendu compte !


Nous allions quitté les casemates et sa foule bigarrée qui vient des quatre coins de l’hexagone à pointe cubique quand ma compagne me signalât qu’il y avait peut-être bien une autre salle que nous n’aurions vue, plutôt dissimulée et qu’en somme il faut mériter.


Et combien nous aurions eu grand tort de ne pas y pénétrer pour y admirer le clou du spectacle.


La salle est grande, majestueuse. Elle contraste par la blancheur immaculée de ses murs avec les autres salles et rend un effet des plus pompeux par la mise en valeur du noir des grandes fresques enténébrées avec ce regard glacial du couteau mortel trempé dans l’encre de seiche !

Ici cela sent bon le jansénisme.


Ce n’est pas une cathédrale d’artiste. O non !! C’est l’abbaye de Port Royal du Pierre Lescot de l’outrenoir.


Grandiloquent, certes mais beau !


L’outrenoir n’a rien d’outrancier aux yeux de l’outre quiévrain, comme moi, qui par atavisme, se serait réjouit pour une fois qu’une toile portasse un nom, celui-ci fut : « Ceci n’est pas du noir ».

Mais chez les jansénistes on ne rigole pas.


Cela étant si ma compagne crut, dans une œuvre, distinguer une plage caribéenne avec ses cocotiers sous un soleil couchant, terre de Sienne, personnellement je ne vis dans l’ensemble général que l’aile protectrice de la divinité Hybris exhibant ses coursiers funèbres issus de l’effroyable Erèbe.


Coursiers funèbres que l’on verrait davantage hanter les sièges de sociétés bancaires dans Zurich la froide, ennoblir le catalogue de la Ligne Roset, ou encore meubler les palais défraîchis et poussiéreux des antiques pouvoirs chancelants d’une République en ruine. Fantômes d’une liberté disparue.

Voilà pour la visite. Venons en maintenant au personnage.

Au fond, il ya peu de choses à en dire, tant Soulages est son propre agent de communication. L’homme est un véritable Maître en scène.


Et je conseille vivement de regarder le petit film qu’il s’est consacré à lui-même. Où l’on découvre une sorte de hobereau ruthénois tel le faucon éponyme, esquissant tantôt un sourire ambigu, coulissant du regard, condescendant à lâcher une bribe de phrase à quelque ouvrier de Saint Gobain en blouse blanche qui atteste de sa condition médiocre d’agent de maîtrise devant le Maître.


Et l’on voit aussi dans ce petit film combien le Maître en scène est bigrement intelligent et use de toutes les mises en valeurs possibles de sa personne. Jusqu’à sa taille par exemple. Il en joue à merveille. Il est grand, très grand. Ce qui lui permet de toiser le commun des mortels. Tellement intelligent, est-il, qu’il se grandit sans cesse. A 92 ans, il mesure 1m92 et on peut, dès lors gager, que centenaire il fera deux mètres.


Cette taille renforce en outre sa psychorigidité naturelle liée au rigorisme de sa pensée froide, implacable, dénuée de sensibilité liée à un jansénisme impitoyable. Soulages fait un peu peur à beaucoup et c’est bien son but.


Soulages est une sorte de Christ, chenu, un vieillard roide, vêtu de noir, qui s’avance lentement sur les eaux sombres du Léthé. Il est ce Charon, psychopompe au pourpoint funèbre qui vous fera traverser l’Achéron pour vous déposer sur les berges mortes de l’Hadès de l’art « du même temps que ». Psychopompe et psychopompeux, tel est ce cobra désincarné !


Et tout cela en vous faisant avaler son ultime couleuvre, l’abstraction gestuelle. Oui, je sais, il est assez difficile de ne pas s’esclaffer mais essayons de rester dignes.

Car il serait injuste de lui faire le procès de ne pas posséder un certain savoir-faire à défaut d’avoir quelque chose à faire savoir. Ce qu’en effet il ne revendique pas.

C’est un bel artisan, habile technicien, il a réussi en effet à partir de son outrenoir à créer une certaine luminosité qui n’a rien à voir avec la Lumière. Son refus métaphysique est assez clair, du reste.


Aussi pour quel motif vouloir transfigurer un bon artisan d’excellente facture, un bon communicant en l’artiste français vivant le plus prodigieux que nous possédions ?


Qu’est ce que cette icônerie ?

Je ne vous ferai pas l’injure de citer quelques peintres français vivants qui eussent pu aisément faire l’affaire, tel Gérard Garrouste, au hasard. Enfin presque !


J’ajouterais que s’il ne faut pas prendre les mots pour des idées, et chercher l’Idée sous le symbole (car l’Art est une voie royale d’initiation, pratiquée en solitaire) de la même façon il ne faut pas prendre une vision, pire une hallucination pour une émotion.


D’autant plus que l’émotion doit être traduite. Ce que je m’en vais vous expliquer.


Aussi je crois qu’il est grand temps de faire un cours succinct de l’histoire non de l’art mais de l’esthétique et de son positionnement dans l’histoire de l’Art. Il est du reste un livre « Le sens du Beau » de Luc Ferry « boite » que je conseille vivement et en particulier à Philippe Dagen, qui ne brille guère dans l’obscurité de ses pensées, pas plus que ses amis du marché de l’art, les Chalumeau, et consort.


Succinctement, il fut un temps où l’artiste était ni plus ni moins qu’un intercesseur entre le Divin et les hommes.

Déjà à cette époque il y avait un marché de l’art où on se disputait les grands artistes.

La concurrence entre les Sforza et les Médicis sous cet angle était rude à l’époque.

Mais à la différence de nos Pinault et Arnault d’aujourd’hui les artistes n’étaient pas côtés à Sotheby’s pas plus que les richissimes acquéreurs côtés en bourse.

L’œuvre d’art n’avait pas encore atteint les sommets de vénalité que l’on connait.

Certes il y avait des boutiques ou Ateliers avec les Maîtres et petits Maîtres mais non des écuries comme disent les galeristes, maquignons qui se paient en peau de peintre.

Avec le temps, l’artiste commença à comprendre sous l’influence de la réforme combien sa position avait évoluée au regard de son génie propre. Et d’avoir fait trop longtemps un grand écart entre une œuvre qui réponde aux nécessités de l’harmonie cosmique et au besoin impérieux du génie humain.


Je vais assez rapidement car toute cette genèse lente trouva une première étape décisive aux alentours de 1750 avec la querelle des Anciens et de Modernes. Littéraire d’abord, elle n’allait guère tarder à gagner le monde de l’Art.

C’est à peu près à la même époque qu’allait survenir deux évènements majeurs :

1. La publication de l’Aesthetica de Gottlieb Baumgarten (d’où le concept d’esthétique)

2. L’arrivée du sentencieux Emmanuel Kant


Baumgarten va mettre en évidence la logique impérieuse du confus qui doit dominer chez l’artiste pour accéder à une logique du sensible. Et donc conduire à une connaissance par le sensible et connaissance du sensible.

Ce qui revient à dire que pour Baumgarten cette esthétique doit produire une émotion émanant du champ du sensible et être traduite en une connaissance. On y est.


Seulement voilà. Il y eut Kant. !

Kant est un problème et avait un problème.

Comme tout bon philosophe du Siècle des Lumières, Kant souhaite, veut, exige que la philosophie soit globalisante. Une « philosophie du tout » en somme qui embrasse toutes les disciplines scientifiques comme artistiques.

Rien ne doit lui échapper.

C’est ainsi pour l’exemple, que la philosophie allait aliéner la métaphysique à sa théorie globalisante quand précisément la métaphysique eut une part non négligeable et même importante dans la genèse de la philosophie.

Bref, tout fonctionnait bien jusqu’à ce que le père de la « Cripure de la raison Tique » (voir Louis Guilloux et « Le sang noir ») se heurtât à l’Art.

Kant se montra incapable de conceptualiser l’Art pour mieux se différencier de son antique concurrent, Platon, qui professait le Beau comme l’Idée de la Vérité.

Que faire pour Kant ? Face à cette impasse, il ne lui restait plus qu’à se faire hara-kiri. Rendre à l’Art son indépendance et mieux d’aller jusqu’à en défendre farouchement son indépendance (fort bien) au prix inique, cela étant, pour retrouver une forme d’autorité intellectuelle, de définir, lui Kant, ce qui relève de l’Art ou non à l’aune de sa « Critique du jugement de goût ».


Ah, le goût. « Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Sauf qu’on ne cesse d’en parler ! ». Nietzsche.


Premier axiome kantien : Le goût dicte le beau. Il en est le juge en vertu du plaisir esthétique. Il commence quand il se détache du simple plaisir sensuel qui dicte le jugement de goût.


Deuxième axiome : Le goût n’est pas de ce fait affaire de sensualité et moins encore de sensiblerie, mais de jugement.


Troisième axiome : Il faut rechercher un élément d’universalité dans le jugement de goût. Autrement dit, si nous sommes plusieurs, sans pouvoir conceptualiser le beau, à l’instar de Kant (in ne faut pas défier le Maître) que l’ensemble de nos jugements face consensus qui de fait devient principe d’universalité.

Quatrième axiome : « On ne dispute pas du goût, on en discute ».

Pour illustrer sa théorie, Emmanuel ne recule devant rien.

En voici un exemple :

Si je dis : « L’odeur de cette rose m’est agréable », il s’agit d’un jugement subjectif, lié à ma sensualité, ma sensibilité.


Idem si je dis que cette rose est rouge. C’est purement sensuel car un daltonien la verra verte et éternelle.

En revanche, et il ne manque pas d’air le Manu Kant, si je dis « la rose est belle », mon jugement est un jugement de goût indépendant de ma sensibilité qui prétend à l’Universel. Universel, si il se trouve un nombre suffisant de gens qui ont autant de « mauvais goût » que vous et moi pour confirmer mon jugement. Il peut arriver qu’on découvre un nombre aussi important de gens qui ont « bon goût » comme vous et moi.


C’est ainsi, au nom de cette sotte prétention d’un philosophe incapable de conceptualiser, d’objectiver l’Art, d’en dégager l’Idée que la porte fut grande ouverte aux imposteurs de l’Art qui ne craignaient pas grand-chose si ce n’est de se retrouver sur le marché juteux de l’Art au motif qu’un tas de gens étaient en accord d’universalité.

Et une grande porte ouverte aussi à une joyeuse bande d’experts, de spécialistes, tant amateurs effrénés que de critiques professionnels pas moins sectateurs du nouvel art, l’art « du même temps que », décrypteurs de l’impossible décryptage (à se demander pourquoi ils n’ont pas encore décrypter le « code Voynich »), tantôt thuriféraires de ces créations d’ artistes « du même temps que » où trop souvent, la surenchère à une pseudo originalité et l’imposture généralisée sont de mise et tantôt contempteurs violents de ces foutus réactionnaires nostalgiques probablement de l’art mussolinien, qui ont pour seule faute tout en appréciant l’art « du même temps que » d’en dénoncer les innombrables « foutages de gueule » d’une part et l’inculture généralisée, d’autre part et dont, pour un peu on m’accuserait volontiers avec une rage indescriptible. Indescriptible ? Pas pour Soulages, sans doute.

Mais on voit bien, dans ce court exposé, tout le décalage idiot qu’il y a entre Kant qui a ouvert la boite de Pandore et ces centaines de milliers de gens qui se bousculent aux expositions.


Car au nom de quel critère prétendent-ils que je dois avec eux m’extasier devant le génie de pseudos artistes, sous le prétexte qu’ils détiennent la vérité par la force du nombre dans leur critique commune du jugement de goût ? Au nom de cette émotion qui serait universellement ressentie ou de cette émotion qu’il convient de ressentir quoiqu’on en pense en réalité?


Or Kant a bien expliqué que l’émotion n’a rien à voir là dedans ! Et ça c‘est un premier hiatus !

Or, si je ne suis pas d’accord avec Kant au motif, mais je suis platonicien (on l’aura compris) que si pour moi l’émotion est prépondérante, elle n’est qu’un point d’appui.


Un point d’appui pour transformer cette émotion en Connaissance. Ce que Platon appelait « l’Idée » dans sa théorie du Beau.

Or le public dont il est question ne se gène pas pour s’appuyer sur le consensus émotionnel (que réfute Kant) pour mieux l’universaliser. Deuxième hiatus.


Diable ! Ou, mon Dieu ! Qu’il est difficile de supporter l’inculture généralisée. Je n’irai pas plus avant sur ce sujet de l’inculture, j’en aurais pour un bon moment et vous n’en auriez pas eu la patience. C’est très polémique comme sujet et je n’aime guère les polémiques !


Pas de polémique, Victor !


Déjà que si vous en êtes, de cette lecture, arrivés ici, sans m’avoir agoni d’injures, vous bénéficiez d’une extraordinaire faculté d’équanimité.


Aussi et pour clore, revenons à Soulages.

Soulages n’est pas un imposteur ! Une partie de son public, oui !!!

Bien sûr son travail est profondément ennuyeux car s’il est un remarquable technicien qui peut faire avancer le travail des peintres dans une approche différente de la technique et dont la cible est, par conséquent, les professionnels de l’Art, cela n’a aucun intérêt patent pour un public peu averti. Qui aurait envie de suivre les cours de solfège dispensés par Alexandre Tharaud ou Aldo Ciccolini ?


Pour être plus clair, Soulages n’est pas un immense artiste. Même pas un artiste au sens où on l’entendait quand on développât le concept de classification des Beaux-Arts.


On peut à la limite le considérer comme un artiste si on indexe son œuvre à celle d’un habile manœuvrier qui ne serait autre qu’un habile artisan. Et j’ai du respect pour les artisans.


J’en finirai provisoirement sur ce chapitre consacré à Pierre Soulages avec l’affaire des vitraux. Je ne les ai pas vus. J’avoue ! Cela étant, j’ai connu Conques avant les vitraux.


Je n’en ai vu que des photographies. Et je regrette de n’avoir pas eu le temps nécessaire de les voir. Pour le peu, les photos, de ce que j’ai vu cela me semble être d’un profond ennui et d’une épouvantable tristesse, une tristesse janséniste au sein d’un fleuron de l’art roman, si brillant, si émouvant, si humain entre ciel et terre.


J’ai lu quelques déclarations de Soulages sur son approche du vitrail.

Ainsi annonce-t-il, entre autre, sa volonté de faire entrer la lumière naturelle dans l’édifice. Qu’est ce que c’est que cette plaisanterie ?


Primo le meilleur moyen de faire entrer la lumière naturelle consiste à ne lui opposer aucun obstacle. Ce fut souvent le cas dans les églises et abbayes romanes, temples de paix et de sérénité en harmonie avec le cosmos à la différence du gothique qui avait pour but , non de montrer la puissance du divin, mais celle de l’Eglise.


Secundo, quand il y a des vitraux, ceux-ci répondent à un objectif précis. Il y est, en effet, c’est vrai, question de lumière. Mais plus exactement de « Lumière ».


Le vitrail est une parabole qui exprime la Parole, le Verbe divin. Il s’agit donc ici, ni plus ni moins, de la Lumière qui n’est autre que le Verbe.


Rien à voir avec la lumière du petit matin blême.


C’est pourquoi, à priori, je préfère largement chez les artistes de notre temps, l’œuvre d’un Marc Chagall ou encore celle d’un Georges Rouault.


Mais je retournerai un jour à Conques.

Au revoir Monsieur Soulages.



Cristian R

le 4 septembre 2014


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