samedi 1 octobre 2016

Portraits de l'air, Pierre Dhainaut et Isabelle Lévesque







« L’air se fait rare, il faudra bien que tombe
la pluie, « la pluie d’été », l’auteur d’Ensemble encore
est mort hier, premier juillet. Ces mots-là,
les siens propres, ne sont à vrai dire à personne,
il les retirait de l’exil des livres... »
Pierre Dhainaut



Ce qui reste




jeudi 29 septembre 2016

Sylvie Brès, poète (1954-2016)



Sylvie Brès


"Que dire dans une biographie qui ne griffe la vie de celui qu'elle décrit ? Je suis née en 1954 dans une petite ville de la Drôme ; l'essentiel de ma vie s'est passée dans ce département, hormis une incursion dans le Gard. La littérature a été un fruit défendu auquel j'ai vraiment mordu très tôt et qui m'a peut-être en partie jetée hors du Paradis de l'Enfance, précocement , si on le conçoit comme Éternité de l'Instant. J'ai fait des études littéraires et d'histoire de l'art et archéologie, et j'ai passé ma vie active auprès d'enfants très jeunes, prenant plaisir à découvrir et redécouvrir le Monde dans le partage du rire et de la connaissance, je dirais de la conscience à la fois naissante et entière. Que dire dans une biographie sans décrier l'étrangeté d'être-au-monde, sans banaliser et ternir la Merveille d'une vie ?" Sylvie Brès

dans la rumeur libre éditions

Quelques ouvrages

SYLVIE BRÈS
Affleure l'abîme
poésie


Patrick Laupin Dédicace à l'auteur
(à propos de Affleure l'abîme)

"Mon souhait est que tu adoucisses jusqu’au plein silence de ta voix, et tes ellipses et tes élans, ce grand cercle magique de tendresse visité par le génie de ta syntaxe. Ce sera un Livre de toi et de ton écriture que j’admire."



Yves Bonnefoy Lettre à l’auteur, 6 janvier 2010
(à propos de Affleure l'abîme)

"Je vous remercie de votre envoi-de cette belle méditation sur la vie, à laquelle vous savez donner un sens, par votre parole. Je suis très sensible à cet acte de lucidité, de courage, de foi, et forme des vœux pour vous et ce travail de poésie que vous menez et allez mener encore."








SYLVIE BRÈS
Une Montagne d'enfance
poésie
Une Montagne d'enfance (Sylvie Brès)









SYLVIE BRÈS
L'incertaine limite de nos gestes
poésie







Dans Revue Textures

Les critiques de Lucien Wasselin



Sylvie Brès : « L’incertaine limite de nos gestes »


C’est le troisième recueil de Sylvie Brès que je lis. Et j’avais relevé dans « Cœur troglodyte » ces vers : « Et quand viendra / notre dernier baroud d’honneur / contre la maladie de vivre - / que personne ne songe à critiquer / nos illusions et notre tentative ». Il est vrai que ces poèmes disaient crûment la maladie et la lutte contre cette dernière et cet appel à ne pas critiquer illusions et tentative était recevable lorsqu’on mettait en regard poèmes et maladie tant l’expérience de Syvie Brès méritait le respect. « L’incertaine limite de nos gestes » est à inscrire dans ce respect, non par décence mais par sa qualité d’écriture.
Ce livre est composé de 14 suites de poèmes, à moins qu’il ne s’agisse de longs poèmes tant leur proximité est forte. L’ensemble titré « Sanctification » est révélateur du travail qu’opère Sylvie Brès sur les mots : « Comment trouver le mot cherché ? / S’il n’a pas été éprouvé / un jour / dans la bouche / longuement mâché / un peu ânonné - sucé - mordillé - testé - ». Ce travail traduit la quête éperdue de connaissance qui est celle de Sylvie Brès qui se pose dans « Sanctification » la question : « et advient-il / le bonheur de nommer l’être / dans une conscience effrénée ? » Ce goût des mots, cette lutte acharnée à trouver le mot juste serait la métaphore du désir (vivre et aimer). Comme la rose est celle de la vie qui continue… Sylvie Brès pose plus de questions qu’elle n’exprime d’affirmations. Mais procédant ainsi, elle dit aussi sa révolte et accède à une certaine vérité : « Le Minotaure veille. / Elle est songe dans ses bras », sans que l’on sache si ce elle désigne l’auteur, la mélancolie, l’absence ou la présence. La présence au monde ?
L’oubli est impossible note-t-elle dès le début de " "L’incertaine limite de nos gestes " malgré la règle inflexible de l’éphémère : « Nous n’habiterons pas toujours / l’ébullition rêveuse / de nos pensées » avant d’écrire, plus loin, « Et l’éternité, pourtant quel non-sens ! / Y aurait-il prison plus absurde pour nous / qui ne savons nous débattre que dans la durée ? » Le lecteur a l’impression que ces poèmes ne sont écrits que pour lutter contre l’évaporation de la pensée ou pour conjurer l’inéluctable qui nous attend tous… En tout cas, Sylvie Brès fait mentir avec ce recueil exigeant André Gide qui écrivait qu’on ne faisait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. S’agit-il d’ailleurs de bons sentiments avec cette révolte ancrée au plus profond de la chair ? Car de « L’incertaine limite de nos gestes », elle tire une ode à la vie, elle dépasse « les tangentes du silence / pour humecter / les lèvres du monde ». Tant elle fait corps avec le monde.

(Sylvie Brès : « L’incertaine limite de nos gestes ». La Rumeur libre éditions, 96 pages. 15 €. Dans les bonnes librairies.)


Coeur troglodyte, Le Castor astral, 2014







éditions Le Castor astral

"Au regard de tous les discours lénifiants à propos du cancer, qui touchent parfois au grand n’importe quoi, ce livre témoigne d’un immense désir : que cette souffrance puisse avoir une forme d’utilité à la fois tendre et révoltée à travers le langage poétique et qu’elle touche l’autre dans son humanité profonde.

Cœur troglodyte réunit chronologiquement deux ensembles de poèmes : Et soudain le pas manque et Cœur troglodyte proprement dit.
Et soudain le pas manque s’attache à dire, à faire comprendre dans toute son ampleur, cette bascule qui, du jour au lendemain, renverse l’individu et ses valeurs, l’oblige à une révolution copernicienne, le surprend, le suspend entre vie et mort, et le soumet à la conscience entière et désespérée de sa fragilité. C’est le temps de l’hôpital, un temps non pas de chien, mais de patient, qui enferre, enferme une vie devenue autre et suspendue aux traitements, une vie défigurée par l’ennemi intérieur. À cela, pour Sylvie Brès, à cette prison de mots, d’images, de conventions, seule la poésie peut résister.

Cœur troglodyte marque le temps d’une rémission possible, d’un espoir entrevu, une voie pour dépasser cette solitude ontologique, en quête de moments de bienveillance, de solidarité, de ré-émerveillements. Une façon, malgré tout, de ressentir à nouveau et de rejoindre la vie au-delà de l’enfermement. Une vie désirable, qui ne serait plus assujettie au couperet des résultats d’analyses. La parole alors se refait chant pour tenter d’habiter le monde sans les entraves du lendemain. La poésie redonne chair à l’image de soi que la maladie avait dévastée. Littéralement et dans tous les sens, elle la re-vivifie."






Poèmes choisis (extraits de "Coeur troglodyte")



Comme la petite seiche jette son encre, fragile parade, écrire l’extrême de l’expérience
pour tromper la mort — cache-cache indécent peut-être et pourtant pudeur du partage avec
ceux qui sont touchés par la maladie, et ceux qui l’ignorent
— sauvegarde partielle et
dérisoire.
Revendiquer, pied à pied, terme à terme, cette humanité qui vacille et pourtant
qui résiste, me semble par-delà l’effeuillage absolu, une douceur octroyée, une irruption de conscience.
L’encre jetée, la limpidité revient…
Nous nous baignons dans la même mer.
Nous respirons le même air et le tissu de nos songes n’est pas si différent !
Les larmes n’ont-elles pas toujours ce goût salé à travers l’univers ?

Sylvie Brès

in, Coeur troglodyte p 126
éd Le Castor astral


Oui la vie
a pris des accents gris
depuis que j'ai basculé
dans la blancheur monotone
des draps amidonnés...
Oui, je ne sais
plus convoquer
l'hystérie de mes désirs
aux pointes acérées...
Je suis couturée
et cela suffit
au fauve tapi,
        barrières symboliques
        où il ébroue son ennui.

                     ibidem, p 45



Et si nous ne sommes pas
du côté du manche ? de quel côté ?
côté de la lame ?
de la cognée ?
Effiler nos pensées __
Aiguiser nos sens __  Affûter nos révoltes __
Ne pas nous blesser
__résister__


                            ib p 98



Tu les entailles
au diamant
tes mots
tu leur voudrais
tant d'éclat
mais les voilà qui saignent
et rien ne peut arrêter
cet épanchement.

                           ib p 124

mercredi 28 septembre 2016

Un étrange rêve, F. Ruban

Un étrange rêve

Il y a la mer et des images dignes de Turner. Dans les gris bleus rose mêlés. Je suis là à la regarder. Est-ce l'Océan ? Nul lieu défini dans ma mémoire. Je suis là, je regarde. Quelqu'un avait annoncé un phénomène inouï, jamais encore observé. D'énormes bateaux avançant à deux endroits seulement, sur un passage tracé comme deux rails. Comme si la mer s'était retirée juste sur ces rails. Tout autour, les vagues se déchaînent, un Océan en furie. Fascinée, éblouie, j'étais là, je regardais.
Un peu plus tard, je me retrouve sur une route qui grimpe. Un bistro où je m'attable.
Un homme pas très grand, très bien mis de sa personne. Pardessus chic, écharpe nouée négligemment. Il s'approche de moi. Nous bavardons. Rien de précis ne me revient. Il cherche à m'embrasser.
Je dois rentrer, je cherche un papier pour noter mes coordonnées. Je ne trouve que vieux relevés bancaires, papiers gribouillés. Je déchire un morceau, puis un autre, puis un autre. Je commence à écrire. Impossible de faire tenir une adresse, un numéro de téléphone. Je déchire. Je recommence. Il s'impatiente. Finalement, nous sortons, il m'a donné sa carte, je promets d'écrire.
Dehors, une nuit noire, des traces de boue comme neige fondue, un énorme embouteillage...camions, voitures, piétons badauds. Des lumières étouffées par un épais brouillard. L'homme me prend par les épaules (ou par la taille, je ne sais plus), il veut m'embrasser, je me dégage. Quelques personnes s'approchent de lui, un homme surtout. On lui raconte qu'un drame vient d'avoir lieu. Un enfant très jeune aurait été happé... par un camion ? On évoque les secours en mer partis à sa recherche. Des girophares un peu partout.
Et je me réveille.

Le 25 septembre 2016

mardi 27 septembre 2016

Verlaine d'ardoise et de pluie, de Guy Goffrette (éditions Folio Gallimard, 1996)







"La route est bonne et la mort est au bout" (Verlaine)

"Parce que, tout de même, un homme, c'est bien autre chose que le petit tas de secrets qu'on a cent fois dit. Bien autre chose, en deçà et au-delà de l'histoire qui le concerne, comme un pays sans frontières, et l'horizon ne tient la longe qu'aux yeux.
C'est un pays rêvé quand on ne rêvait pas encore, et c'est le rêve d'un pays qui vous mène quand tout dort, quand on est soi-même endormi. Au réveil, ça vous colle à la peau. Ca vous remplit et ça vous vide tour à tour. La plénitude et le manque, systole, diastole, flux, reflux, qui font aller l'homme comme la mer, d'un bord à l'autre de lui-même. L'égarent, le renversent, le relèvent.
Parce qu'un poète, c'est toujours un pays qui marche, boiteux parfois, cassé, cagneux, tanguant, tout ce qu'on voudra, mais debout, en avant, dressé comme une forêt, même si c'est son ombre toujours sur la terre qu'on voit, ou son reflet. L'illusion est complète pour qui croit le comprendre. Lui-même n'y comprend rien. Se laisser porter deçà, delà, / pareil à la feuille morte. Va, vit, vibre, hirsute, ivre de jouir. Fait la nique à son image ou s'y noie. Insatisfait toujours, quoi qu'il arrive, traînant dans sa langue un pays d'exil, un paradis d'échos.
Et tout le reste est littérature."
Guy Goffette in, Verlaine d'ardoise et de pluie
éd Gallimard 1996, Folio p 30-31


"Paul a dix-sept ans, de gros sourcils, un nez à la retroussette et une tête carrée au large front dégarni.
Dans la fumée du cabaret parisien où il boit attablé parmi les filles, on le prendrait sans peine pour le frère jumeau d'Henry-Joseph.Il vous lève le coude comme s'il avait fait cela toute sa vie, et vous épingle de ses petits yeux chinois comme un papillon.

C'est à peine pourtant s'il a entendu parler de l'aïeul. Il dira seulement Ma famille paternelle est de vieille souche ardennaise. C'est tout. Son capitaine de père, orphelin de trop bonne heure, ce qu'il lui en a dit tiendrait dans un dé à coudre. Et pour cause, ses seuls souvenirs sont des cris et les pleurs de sa mère.
La famille d'adoption a fait le reste : motus et bouche cousue, la grand-messe, les vêpres et le salut, amen. Et du sirop d'orgeat dans les grandes occasions. Avec ça, taiseux comme un Ardennais nature, le capitaine, on ne peut pas trouver meilleure école.

Heureusement d'ailleurs qu'il y avait des loups pour colorier les récits de la veillée, car le soir vient tôt sur l'Ardenne de schiste, et les soirées sont longues.
Des loups, il en courait aussi dans les bois autour de Paliseul. D'eux seuls, Paul se souviendra, et c'est peu dire qu'il en voit encore les ombres tourner autour de son lit d'agonie.
L'autre, le loup gris de la bergerie, le grand-père Henry-Joseph, est purement et simplement passé à la trappe. On le croyait mort et enterré : que nenni, il est ressuscité, et le revoilà, assis derrière la vitrine du Café du Gaz, à siroter sa verte en regardant la lune tanguer sur les arcades de la rue de Rivoli." p 70-71



"De plus en plus solitaire à mesure que les années passent, de plus en plus gauche et timide et laid, Verlaine s'enfonce dans la mélancolie, recherchant les lieux écartés, les sous-bois propices à la rêverie, et les demi-teintes des jours de brume et de pluie fine fréquents dans ces contrées du Nord et de l'Est, aux marches de l'Empire. Les eaux dormantes où le clair mêle à l'obscur toutes les nuances du vert, du bleu, du rouge, et l'or des feuilles déjà tombantes et embrasant les reflets du jour qui s'en va, voilà ce qui l'attire.
Ni le blanc criard ni le noir désolant, mais ce gris qui n'en finit pas d'être bleu. Ô les toits d'ardoise de l'Ardenne encalminée dans ses brouillards, et ces routes sous la bruine infiniment comme des lisières qu'on pousse devant soi.

Dans son exil parisien, parlez-lui donc de l'herbe, moite comme une main de femme, et luisante comme une promesse, parlez-lui de ce vert qui roule dans son nom et qu'il cherche en vain dans la lumière de l'absinthe, et tout en lui, en un instant, redevient doux comme la laine." p 129-130





Guy Goffette interviewé à Prague par Václav Richter

Radio Prague

Guy Goffette : «Verlaine apporte un petit supplément d’âme dont tous les êtres humains ont besoin.»


C’est grâce à la foire, Le Monde du Livre, que nous avons eu l’occasion d’accueillir à Prague Guy Goffette. Ce poète et romancier mais aussi enseignant, libraire et éditeur, est lauréat de nombreux prix littéraires dont le Grand Prix de poésie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Grand admirateur de Verlaine, il a écrit une biographie imaginaire de ce poète intitulée «Verlaine d’ardoise et de pluie». Ce livre ainsi que le rapport entre la poésie et la vie de Verlaine sont les thèmes principaux d’un entretien que Guy Goffette a accordé à Radio Prague.

Qu’est ce qui a été plus important pour vous quand vous avez décidé d’écrire un livre sur Verlaine, la poésie ou la biographie ? Les vers ou la légende de la vie de Verlaine ?

 «C’est d’abord la poésie. Il faut dire que pendant quarante-sept ans je n’ai pas connu Verlaine. A l’école on m’avait parlé de Verlaine et de Rimbaud, mais comme j’étais dans une école catholique et, comme vous le savez, à dix-sept ans on n’est pas sérieux comme disait Rimbaud, j’ai choisi plutôt Rimbaud que Verlaine. Et c’est ainsi que pendant des années, je n’ai pas lu Verlaine. Et puis à quarante-sept ans, au Québec, j’avais besoin d’entendre la voix, la poésie française et j’ai lu Verlaine. J’ai entendu à la radio un poème de Verlaine, je l’ai appris par cœur, et après, j’ai appris la biographie, je me suis passionné pour le personnage qui est meilleur qu’on ne le dit. On le présente toujours comme un vieil alcoolique violent. Et pourtant c’est un homme très bon, sauf quand il a bu.»

C’est justement ce que je voulais demander. Qui est-ce ? Qui est Verlaine pour vous. Est-ce ce poète lyrique, charmant et doux ou un poète maudit, un homme violent, un vieux satyre qui n’a reculé même pas devant la pornographie?

 «D’accord avec Jorge Luis Borges, je dirais que c’est un poète français par excellence. Ce n’est pas Victor Hugo, ce n’est pas Baudelaire, ce n’est pas Rimbaud, c’est Verlaine qui a su traduire dans la langue française avec une délicatesse de dentellière la beauté de la langue française. Il a inventé l’impair, il a rendu sa mélodie et sa musique à la langue française qui commençait à être lourde avec l’alexandrin qu’on connaissait depuis Racine. On dit que Verlaine est le poète le plus musical. Donc Verlaine pour moi c’est d’abord un poète. Sa vie vient après. Verlaine, poète érotique, est un mauvais poète. Dans les recueils ‘Hombres’ et ‘Femmes’, il n’y pas de très bons poèmes. C’est le poète de la fin, le poète alcoolique qui a perdu sa voix. Le grand Verlaine, c’est le Verlaine du début, des ‘Poèmes saturniens’, des ‘Romances sans paroles’.»

‘C’est un oeil avant toute chose,’ dites vous au début d’un des chapitres de votre livre, est c’est une évidente allusion au vers de Verlaine ‘De la musique avant toute chose’. Pouvez-vous expliquer cela ? Pourquoi l’œil?

 «Paul Claudel disait que l’œil écoute. C’est le titre d’un de ses livres. Effectivement, chez Verlaine il y a d’abord la perception visuelle avant la perception auditive. Et cette perception visuelle, le fait de voir, le fait entendre. Il entend la musique du paysage. Vous voyez des collines et vous les entendez dans ses poèmes. Par exemple ces vers : ‘Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L’inflexion des voix chères qui se sont tues.’ On entend le vallonnement. Verlaine écrivait en marchant. Il écrivait en regardant, parce que dès qu’il étais assis, il buvait et ne pouvais plus écrire. Donc c’est vraiment un poète qui voit d’abord. Et je crois que les poètes sont d’abord les gens qui regardent avant d’entendre parce que ce qu’ils entendent, n’est pas ce que tout le monde entend. Ils entendent ce qu’ils voient. C’est pour moi la poésie : entendre ce que l’on voit.»

Quand on dit Verlaine, on dit aussi Rimbaud. Cette rencontre avec Rimbaud, cette liaison avec Rimbaud, a-t-elle joué vraiment un rôle si important dans sa vie?

 «Je crois que cette rencontre a été très importante pour Verlaine. Elle a été même catastrophique puisqu’il a quitté sa femme, il a tiré sur Rimbaud, il s’est retrouvé en prison. Mais pendant quelques années, Verlaine est sorti de la petite vie qu’il menait à Paris, une vie d’employé à la Mairie de Paris, et il est allée sur les routes. Je crois que c’était son destin, c’était quelqu’un qui devait marcher sur les routes. Donc en rencontrant Rimbaud il a rencontré son destin, ce qu’il devait faire, ce qu’il devait être. Est-ce que Rimbaud a influencé Verlaine ou Verlaine Rimbaud ? Je pense que c’est Verlaine qui a influencé Rimbaud. Je crois même qu’il existe quelque part un texte d’un ami de Verlaine qui s’appelait Ernest Delahaye et qui dit qu’un jour Verlaine a demandé à Rimbaud pourquoi il était avec lui. Et Rimbaud lui a répondu : ‘Moi, je sais ce qu’il faut écrire, et toi, tu sais comment il faut l’écrire.’
Donc la différence entre Rimbaud et Verlaine c’est que Rimbaud est un visionnaire. Ayant beaucoup lu, il a le sens d’une vie qui est courte, il a une sorte de génie de précocité. Il doit tout dire tout de suite et sait ce qu’il doit dire, comme Mozart qui savait se qu’il devait écrire, tandis que Verlaine est plus l’homme du ‘comment écrire les choses’. D’ailleurs vous savez, on a peu de manuscrits de poèmes de Rimbaud, on a beaucoup de manuscrits de poèmes de Rimbaud écrits de mémoire par Verlaine vingt ans après. Donc dans quelle mesure les poèmes de Rimbaud ne sont-ils pas récrits par Verlaine? Je crois que cela a été une rencontre très importante mais très brève puisqu’elle a duré un peu plus d’un an. Je crois qu’elle les a marqués tous les deux. Je crois que Rimbaud a fait ce qu’il avait envie de faire. C’était un cancre, une espèce de voyou - même si j’aime Rimbaud. Et Verlaine était un lâche, un grand garçon, un grand gamin, un grand enfant, pas vraiment un homme. Et il a suivi l’autre qui était la mauvaise voie. »

Nous sommes au début du XXIe siècle. Lit-on Verlaine encore aujourd’hui ? Et pourquoi faut-il lire Verlaine ?

 «Si l’on le lit encore? Je pense qu’on le lit beaucoup. Même si Verlaine n’a pas une grande place à l’Université parce que Verlaine est impalpable. C’est très difficile de parler de Verlaine à l’Université. (…) Je pense que Rimbaud c’est James Dean de la poésie. C’est fulgurant et puis c’est fini. Tandis que Verlaine c’est quelqu’un qui a quand même écrit de bons poèmes pendant très longtemps. Il a tenu malgré tout. Je pense qu’il a le génie lent. Donc il est toujours lu.
Pourquoi devrait-on le lire aujourd’hui ? Il a le génie de la grâce, il a quelque chose de tellement important pour les gens. Quand il dit ces choses simples : ‘Le ciel est par-dessus les toits, si bleu, si calme…’, ces mots sont les mots de tous les jours, les mots les plus simples et il réussit à leur donner une musicalité qui fait du bien au cœur. Et vous savez, dans une société comme la nôtre, une société où seul l’argent est important, la vie de Verlaine et son oeuvre apportent ce qu’on appelle le petit supplément d’âme dont tous les êtres humains ont besoin.»




http://rebel.radio.cz/mp3/podcast/fr/literature/080503-guy-goffette-verlaine-apporte-un-petit-supplement-dame-dont-tous-les-etres-humains-ont.mp3




Article sur le site de Catherine Réault-Crosnier 




VERLAINE D’ARDOISE ET DE PLUIE



de Guy Goffette



aux Éditions Folio Gallimard, Paris, 1996, 158 pages





Guy Goffette, lecteur aux éditions Gallimard, a publié de nombreux livres de poésie dont « Verlaine d’ardoise et de pluie ». Quel titre poétique ! Il crée déjà à lui seul, l’ambiance de ce recueil.

La mémoire du poète fait ressurgir les souvenirs un peu à la manière de Marcel Proust. Ici l’ardoise, la pluie, les chemins sont des points de repère qui nous permettent d’avancer sur la route et de partir à l’aventure avec Verlaine.

Nous sommes tous en route vers un ailleurs et Guy Goffette a choisi de citer un vers de Verlaine, juste avant de débuter le premier chapitre intitulé « Un pays sur la route » :

« La route est bonne et la mort est au bout. » (p. 15)

Cette citation n’est pas anodine ; elle est la ligne directrice du cheminement du poète. Ici tout parle de grisaille, de mort. Verlaine a vécu avec l’empreinte indélébile de la mort à ses côtés. Guy Goffette sait très bien nous faire partager cette atmosphère par exemple dans le chapitre « Les bocals ». Verlaine est partagé entre la voix apaisante de sa mère à sa naissance et la voix des morts qui l’ont précédé, trois fœtus nés sans vie avant lui et qui le suivront toute son enfance puisque sa mère les avait conservés dans des bocaux posés sur une étagère ou rangés dans un placard. Sa mère qui l’a nourri, était hantée par la mort de ses trois autres enfants. Comment Verlaine ne pourrait-il pas lui aussi en être imprégné ? Guy Goffette nous fait partager le cri d’un enfant qui se sent perdu parmi tant de choses qu’il ne comprend pas ; c’est le cri du cœur du poète :

« Et qu’est-ce qu’une goutte de lait dans le sein d’une mère, si ce n’est pas déjà l’enfant qui appelle et qui crie ? » (p. 36)

« Il a perdu son prénom sur les routes comme Poucet ses cailloux de pain blanc. L’enfance lui a durci le cœur comme un poing et ses yeux sont de l’azur qui coupe, comme les vers qu’il a laissés. » (p. 50)

Oui, nous avons tous une mémoire, un chemin tracé qui se déroule et la vie ici bas a toujours une fin. D’avoir été trop choyé par sa mère, il a été étouffé. D’avoir vécu à côté des morts en bocaux, il a souffert et s’est senti responsable d’avoir pris la place dans le cœur de sa mère d’où l’émergence de son mal d’être :

« (…) Paul, l’enfant trop attendu et trop gâté, oubliera vite la cadence, et ses chemins à lui iront tout de travers à jamais. » (p. 67)


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