mercredi 15 novembre 2017

Lettre post-mortem de Gérard Depardieu à Barbara


Chère Barbara,

Je viens juste de raccrocher. Ta voix n’est pas près de me quitter. Il y a une pépite d’or aux creux de mon oreille pour le reste de la journée. Un coup de fil, c’est une lettre sonore. Sans cet appareil, nous serions restés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, toi au Japon et moi à Bougival. Il faut savoir souffrir d’une absence, mais un petit coup de fil, comme on avale un cachet pour apaiser l’angoisse, cela ne fait pas de mal.

Ta voix m’a toujours paru s’élever vers le ciel. Ton âme est un son, une mélodie. Tes mots, par miracle, se matérialisent. Il y a cette rime que j’adore : « Notre amour aura la fierté des tours de cathédrales. » Je te le jure, ta cathédrale, je la voyais, elle s’élevait dans l’air, juste devant moi. La chanson avait un pouvoir, une force incroyable pour le petit vagabond échappé de Châteauroux, elle ma ramenait toujours dans les moments les plus sombres sur l’île aux mimosas.

Toi que j’ai souvent cherché

À travers d’autres regards

Et si l’on s’était trouvé

Et qu’il ne soit pas trop tard

Pour le temps qu’il me reste à vivre

Stopperais-tu ta vie ivre

Pour venir vivre avec moi

Sur ton île aux mimosas.

J’avais comme ça, quelques phrases, sur moi, des rimes revigorantes, aussi efficaces qu’une giclée de prune.

Dis, quand reviendras-tu

Dis, au moins le sais-tu

Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère

Que tout le temps perdu ne se rattrape plus


À douze ans, j’avais l’impression d’avoir tout perdu :

Mais j’avais une maison

Avec presque pas de murs

Avec des tas de fenêtres

Et qui fera bon y être

Et que si c’est pas sûr

C’est quand même peut-être

Tu te rends compte, « si c’est pas sûr, c’est quand même peut-être. » Avec un truc pareil, je crois qu’on peut continuer à marcher longtemps. J’adorais le lyrisme naïf de Jacques Brel. Mais c’est ta voix qui rythmait mes fugues. Je marchais comme un forcené avec tes chansons dans ma tête. C’était mon baluchon et je t’assure que je n’avais pas besoin de walkman !

Tout à l’heure, au téléphone, j’ai deviné ta voix trembler. Tu as souvent peur qu’elle s’évanouisse comme dans ces contes où une fée capricieuse vous prête un don provisoire et fragile. Et parfois, c’est vrai qu’elle fout le camp, que tu ne peux plus chanter. Tu cesses d’être en harmonie. Quand on perd sa voix, cela provient d’une audition brouillée. Tu dois sourire : je parle comme un plombier. Mais c’est bien quand on a trop de rumeurs, de parasites à l’intérieur de soi que tout se brise, se fracture. À quinze ans, lorsque j’ai commencé à suivre des cours de comédie, je ne comprenais rien à ce que je lisais. Emmerdant. Mon professeur, Jean-Laurent Cochet, nous a conduits chez un spécialiste pour des tests de sélection auditive. Il s’appelait Alfred Tomatis. Il s’est rendu compte que j’entendais plein de sons, beaucoup plus que les autres. Cette longueur d’écoute m’empêchait d’émettre. Mon oreille gauche était moins sensible que mon oreille droite, et j’étais beaucoup trop réceptif aux sons aigus. J’étais mal réglé quoi ! Avec trop de bruits et de fureur dans le buffet. Au bout de quelques séances, j’ai pu à l’aide d’un micro me corriger, retrouver au fur et à mesure l’usage de la parole ! Il me suffisait alors de lire une seule fois un texte pour le réciter aussitôt par cœur… J’ai l’impression que tu n’es pas convaincue, que tu attribuerais tes problèmes de voix à des phénomènes magiques, des rites d’envoûtement, à la fatalité. Mais tu es une femme fatale ! Avec ta belle solitude, ta robe noire, entre le deuil et la nuit. Tu vis avec ta voix. Ce sont des rapports de couple. Elle te quitte, puis elle revient, elle revient toujours. Personne ne pourra s’immiscer entre vous. Tu vis dans une chasteté élective, retirée du monde, pour éviter que ta vois s’abîme ou… ou… qu’elle soit « emportée par la foule » qui nous roule, et qui nous fouille…etc. Tu as une vision de medium sur les êtres, au-delà des jugements, plus vive que l’instinct, une sorte d’intuition supérieure. Tu me fais penser à une mère, mais à une mère des compagnons, celle qui donne à boire et à manger à l’ouvrier d’élite pendant son tour de France. Elle ne met pas au monde, elle reçoit le voyageur.

Avec Lily Passion, tu as été cette fois enceinte d’un enfant rêvé à deux. Pendant trois ans, je t’ai assistée, presque accouchée ? Tu me demandais souvent s’il fallait garder une scène, raccourcir un dialogue, si tout cela était vraisemblable. À chaque fois, je t’ai répondu qu’il ne fallait rien jeter, tout oser car tout est jouable. François Truffaut me confiait que s’il n’avait pas assez d’argent, il trouvait un bon acteur. Si l’on ne pouvait pas s’offrir une gare avec trois mille figurants, il suffisait de lui demander de sa vie sur un quai de gare au milieu d’une foule indifférente, entre deux trains. Et le miracle s’accomplissait. Jean-Pierre Léau aurait fait économiser beaucoup d’argent à Cécil. B. De Mille.

Grâce à toi, à Lily Passion, j’ai pu m’échapper, quitter l’autoroute pour un chemin de fortune, une petite départementale oubliée, truffée de nid de poules. Pendant des mois nous avons promené notre spectacle à travers toute la France. Nous étions à nouveau des gens du voyage, des baladins débarquant à grands cris sur la plage du village pour y dresser leur chapiteau. Viens voir les comédiens… Il n’y en plus de journées de tournage à respecter, seulement le bonheur d’interpréter tous les soirs notre histoire.

J’ai appris à connaître ta patience, cette forme silencieuse de la tolérance et de ton talent. Certains après-midi, devant tous ces beaux vignobles qui me faisaient de l’œil, ma nature reprenait le dessus. Je me sentais ensuite un peu coupable, j’avais peur de ne pas être à la hauteur, mais toi, quel que soit mon état, tu ne doutais jamais. Et à l’heure de la représentation, rassuré, je te rejoignais sur l’île aux mimosas.

Gérard Depardieu, après la mort de Barbara

Publié par Deslettres



photo Rtbs


Sur Agoravox

Barbara honorée par Depardieu
par Sylvain Rakotoarison (son site) 

vendredi 10 novembre 2017




lundi 13 novembre 2017

Commémoration du 11 novembre, Denis et Françoise



MAUDITE SOIT LA GUERRE

Monument aux morts de Gentioux-Pigerolles (23340)



© photo fruban
Le 10 novembre 2017, je m'entretenais avec Denis Tellier, écrivain ami, très concerné par la "Grande Guerre 14-18".
Famille des Ardennes, quatre de ses grands-oncles périrent, les Quatre Frères Tellier
En 2012, il publia "Adrien de la Vallée de Thurroch", dont j'ai parlé sur ce blog, à plusieurs reprises (voir le lien plus bas), récit à la fois hyperréaliste et poétique sur ce conflit meurtrier.

Françoise
Demain, 11 novembre...je me souviens toujours, ma grand-tante veuve de 14-18 et mon grand-père Léon (son frère), m'avaient emmenée à Verdun, au Fort de Douaumont....j'entendais la sonnerie aux morts pour la première fois...putain, quelle émotion, dans le froid et le brouillard ! J'étais une ptiote gamine, vraiment impressionnée aux larmes, sans vraiment tout comprendre

Denis
Oui
Je comprends

Françoise
ça m'a marquée

Denis
C'est dingue

Françoise
d'autant plus que Lucienne, ma grand-tante, n'a jamais su où son Maximin était mort

Denis
Oui, le corps là-bas, plus loin, derrière...

Françoise
Jamais elle ne s'est remariée, ils s'étaient aimés et connus un peu plus d'un an...son bel amoureux aux moustaches si dignes !

Denis
Oui souvent , elles restaient veuves et en noir

Françoise
Oui, c'est dingue.... quelle connerie la guerre !

Denis
Ah oui alors...

Françoise
Elle s'habillait de gris, elle travaillait aux champs avec son frère,
comme un homme

Denis
C'est dingue et en silence, les souvenirs de joie remontaient rarement

Françoise
C'est elle qui m'a élevée jusqu'à mes 6 ans
Elle ne voulait pas en parler...un peu plus, lorsque j'ai grandi
Il était beau Maximin Villiers !

Denis
Oui je me souviens aussi de ma grand-mère
des bribes qu"elle lâchait comme madame Eugénie dans "Adrien"

Françoise
C'est elle qui t'a élevé avec tes autres frères et soeurs, je crois
Ah Madame Eugénie.... je t'en avais parlé !

Denis
Oui en plus  de ses filles et fils

Françoise
Nos enfances...comme chante Barbara dans sa si belle et émouvante chanson

Denis
Oui
Les déchirements

Françoise
On n'en guérit jamais tout à fait

Denis
Non, je le sais

Françoise
et pourtant, la mienne fut beaucoup plus heureuse que la tienne, mais pesait sur moi ce lourd secret...qui me bouffait
Raconter tout cela, un jour...

Denis
L'écrire

Françoise
oui
l'écriture peut être un exutoire, une thérapie

Denis
Elle l'est souvent pour moi

Françoise
Je le sais Denis...
Il est arrivé que tu me le dises par écrit ou de vive voix

Denis
Oui

Françoise
c'est resté en moi

Denis
Crier pour sortir les mots

Françoise
Oui, et sortir les mots pour crier
L'écriture me paraît un cri, cri de colère, d'amour, de douleur...de joie

Denis
J'aime beaucoup  ce refuge

(extraits)

© photo Denis Tellier


Site des amis du Monument aux morts de Gentioux


Le monument a été érigé en 1922 à l’initiative du maire de la commune, Jules COUTAUD, membre de la SFIO (section Française de l’Internationale Ouvrière) qui exerçait la profession de maréchal-ferrant. Jules COUTAUD était un ancien combattant lui même gazé sur le front pendant la Première Guerre mondiale. A ce titre sa parole, quand il dénonçait les méfaits de la guerre, avait une véritable légitimité. Son autorité morale était telle que Jules COUTAUD a été maire de GENTIOUX pendant 45 ans de 1920 à 1965. Au regard de cette belle longévité au service de ses concitoyens, on peut mesurer a quel point le monument de GENTIOUX n’est pas né des exubérances d’un esprit fantaisiste.
Trois projets ont été présentés au conseil municipal et c’est celui de Monsieur DUBURGT, conseiller municipal et ébéniste de profession, qui sera retenu. Encore une fois on se rend compte que le choix de ces élus a été le produit d’une véritable volonté et d’une grande détermination.
Une maquette en bois, toujours visible à la mairie, a été construite par monsieur DUBURGT. Ce sont ensuite des artisans locaux qui réaliseront le monument. La sculpture de l’écolier, en fonte, est de Jules Pollacchi. Elle sera fondue par E. Guichard, et c’est l’entrepreneur Émile Eglizeaud, de la commune voisine de Faux la Montagne, qui procédera à l’assemblage des différents éléments du monument. Le coût de l’opération sera de 11 640 francs, couvert avec 3 909 francs de souscription publique, 6 169 francs pris sur le budget communal et 1 562 francs de subvention de l’Etat.
 Le monument de Gentioux, est composé d’un socle et d’une colonne de granit sur laquelle sont gravés les noms des cinquante huit morts de la commune pendant la première guerre mondiale. Sous les noms est gravée l’inscription « Maudite soit la guerre »
Au pied de la colonne se dresse la statut en bronze d’un jeune écolier revêtu de sa blouse, la casquette tenue par sa main gauche dans une posture de respect pour les morts, et le poing droit dressé en direction du monument en signe de révolte contre toute cette souffrance. Nul doute que ce poing dressé a à voir avec la lutte des peuples contre les oppressions dont ils sont les victimes. Nul doute que l’on est là sur le terrain de la lutte des classes, celle des ouvriers, des paysans, des employés, contre les marchands de canons d’hier et d’aujourd’hui, toujours avides de dividendes même au prix de la plus grande barbarie.
L’œuvre sera inaugurée en 1922 par les élus locaux et la population. La préfecture refusera d’être représentée en ces temps où le patriotisme était de rigueur notamment du fait de puissantes organisations d’anciens combattants arc boutées sur ce dérisoire et mortifère sentiment. Ainsi le monument ne fut jamais officiellement inauguré. On raconte que lors du passage des troupes à sa hauteur, lorsque celles-ci rejoignaient le camp militaire de La Courtine, ordre était donné aux hommes de détourner la tête de cet objet sacrilège.
Le monument de Gentioux est inscrit à « l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques au titre des lieux de mémoire », depuis le 9 février 1990 et la mention « Maudite soit la guerre  » est maintenant inviolable et rien ne peut être modifié.


Article Le Monde, 1994

Les pierres rebelles (extrait)

Le quotidien Le Monde a publié, dans son édition du 6-7 novembre 1994, cet article sur le monument de Gentioux

“Elles sont rares. Une dizaine, tout au plus. Une dizaine de pierres sur trente-six mille. Une dizaine, qui disent la révolte et le dégoût de la guerre. Le 22 janvier 1922. le conseil municipal de Gentioux (Creuse), dirigé par un maire SFIO, Jules Coutaud, adopte son projet de monument aux morts. Il prévoit, à côté de la stèle qui porte les patronymes des soixante-trois victimes regroupées par hameaux, la statue en fonte peinte d’un enfant montrant d’un geste les noms des morts regrettés de la commune et l’apostrophe: Maudite soit la guerre ! », inscrite à même le socle de pierre. Le geste sera un poing brandi …/…”

A lire ICI aussi

Les monuments aux morts, Monument à Gentioux-Pigerolles (23340)


"Adrien de la Vallée de Thurroch" mon article ICI
      de Denis Tellier (éditions Lunatique, 2012)