dimanche 14 juillet 2019

Je t'aime tant, Aragon et Ferré


Poème intégral (Ferré l'a coupé)

Mon sombre amour d’orange amère
Ma chanson d’écluse et de vent
Mon quartier d’ombre où vient rêvant
Mourir la mer

Mon doux mois d’août dont le ciel pleut
Des étoiles sur les monts calmes
Ma songerie aux murs de palmes
Où l’air est bleu

Mes bras d’or mes faibles merveilles
Renaissent ma soif et ma faim
Collier collier des soirs sans fin
Où le coeur veille

Dire que je puis disparaître
Sans t’avoir tressé tous les joncs
Dispersé l’essaim des pigeons
À ta fenêtre

(Sans faire flèche du matin
Flèche du trouble et de la fleur
De l’eau fraîche et de la douleur
Dont tu m’atteins)

Est-ce qu’on sait ce qui se passe
C’est peut-être bien ce tantôt
Que l’on jettera le manteau
Dessus ma face

Et tout ce langage perdu
Ce trésor dans la fondrière
Mon cri recouvert de prières
Mon chant vendu

(Je ne regrette rien qu’avoir
La bouche pleine de mots tus
Et dressé trop peu de statues
À ta mémoire)

(Ah tandis encore qu’il bat
Ce coeur usé contre sa cage
Pour Elle qu’un dernier saccage
La mette à bas)

Coupez ma gorge et les pivoines
Vite apportez mon vin mon sang
Pour lui plaire comme en passant
Font les avoines

Il me reste si peu de temps
Pour aller au bout de moi-même
Et pour crier – dieu que je t’aime
Tant

Aragon

in Elsa, 1959











Il y a cinquante ans, 1969, Louis Aragon

Louis Aragon (1897-1982)
06/07/2019



Louis Aragon devant sa maison à Moulin de Villeneuve, offerte à Elsa Triolet
Louis Aragon devant sa maison à Moulin de Villeneuve, offerte à Elsa Triolet• Crédits : William Karel / Sygma - Getty


Louis Aragon est l'auteur d'une oeuvre gigantesque, variée, à la durée exceptionnelle, entourée de controverses. Cette oeuvre dessine les contours d'un monument littéraire, guère comparable à Victor Hugo.

L'oeuvre de Louis Aragon est impressionnante. Son ampleur, sa variété, sa durée exceptionnelle dessinent les contours d'un monument littéraire. De plus, elle émane de l'un des derniers "grands écrivains" dont la France est si friande. Et pourtant l'oeuvre d'Aragon est encore souvent réduite à la simplification d'une légende. En effet il existe un "mythe Aragon" qui vient recouvrir les textes comme un voile et en fausser la lecture. Ce mythe, qui s'est élaboré du vivant du poète et s'est perpétué bien après sa mort, repose essentiellement sur deux facettes de l'oeuvre et de la biographie. D'une part le couple formé par Elsa Triolet et Louis Aragon, sensé incarner l'amour parfait, et d'autre part la dimension politique, l'engagement de l'homme et de son oeuvre.
















Requiem, Léo Ferré



Pour ce rythme inférieur dont t'informe la Mort
Pour ce chagrin du temps en six cent vingt-cinq lignes
Pour le bateau tranquille et qui se meurt de Port
Pour ce mouchoir à qui tes larmes font des signes
Pour le cheval enfant qui n'ira pas bien loin
Pour le mouton gracieux le couteau dans le rouge
Pour l'oiseau descendu qui te tient par la main
Pour l'homme désarmé devant l'arme qui bouge
Pour tes jeunes années à mourir chaque jour
Pour tes vieilles années à compter chaque année
Pour les feux de la nuit qui enflamment l'amour
Pour l'orgue de ta voix dans ta voix en allée
Pour la perforation qui fait l'ordinateur
Et pour l'ordinateur qui ordonne ton âme
Pour le percussionniste attentif à ton coeur
Pour son inattention au bout du cardiogramme
Pour l'enfant que tu portes au fond de l'autobus
Pour la nuit adultère où tu mets à la voile
Pour cet amant passeur qui ne passera plus
Pour la passion des araignées au fond des toiles
Pour l'aigle que tu couds sur le dos de ton jeans
Pour le loup qui se croit sur les yeux de quelqu'un
Pour le présent passé à l'imparfait du spleen
Pour le lièvre qui passe à la formule Un
Pour le chic d'une courbe où tu crois t'évader
Pour le chiffre évadé de la calculatrice
Pour le regard du chien qui veut te pardonner
Pour la Légion d'Honneur qui sort de ta matrice
Pour le salaire obscène qu'on ne peut pas montrer
Pour la haine montant du fond de l'habitude
Pour ce siècle imprudent aux trois quarts éventé
Pour ces milliards de cons qui font la solitude
Pour tout ça le silence