jeudi 5 juillet 2018

Des jours de pleine terre, de Pierre Perrin



Qu’est-ce qu’un ami, sinon celui qui brise le silence le premier ? S’il échoue, le silence ne l’arrête pas. Il appelle encore, incrédule, par une foi fichée au cœur, il vit. Un tel ami tient dans la main, les doigts de la main, tant s’évapore la poésie que nul ne lit.
P.Perrin





Sophie Brassard, 2018  (couverture)








Naissance

Qui sait quand la vie commence ? Si souvent, la beauté en ravive le souffle. Au secret, pourtant, depuis des semaines, une voix d’entre la peau si douce au cœur berce ma vie d’inconscience.
Quel trait de feu me frappe ? Que font, tout à coup, ces doigts, ces mains à m’agripper, à m’arracher ? La lumière pleut à verse. Fœtus à demi-défunt que je fais, c’est pendu par les pieds qu’on m’établit, sur terre, pour vivre avec les hommes. J’entends mal ; je crie à crever mes tympans.
J’ai froid, où brûlent ma narine et ma glotte. J’ai les plus grands maux à trouver la gorge, déjà de glace, de ma mère, au plus beau jour de sa vie.
On nous a séparés.
Pire qu’un drôle d’air tombé du ciel, sans paroles ni partition, un vers luisant juste bon à crisper les doigts, je cherche le bonheur.





Premier de corvée

Aux premiers de corvée, les meilleurs, qui ne pensent qu’à bondir, de la luzerne vers la mer, tellement la caresse n’a pas de nom, les proverbes tiennent lieu d’apprentissages. La détente lourde, chacun titube à l’abreuvoir. On entend déjà la raison égarée, l’époque abrutie. Les insolents accrochent des boîtes de hannetons aux queues des chats. Ils pissent debout par la bonde des barriques.
Quand on s’élance, dans l’aube et la rosée, l’ombre est de trop. Quand les poires et puis les noix gaulent l’étrange cortège des absents, la Toussaint venue, les prières tues, nul ne distinguant personne sous les dalles de marbre, on s’efface derrière une ardoise neuve. On suppute, à la façon de se taire, la violée et les benêts saisis au pantalon. On recule derrière ses nerfs, dans une danse qu’on imagine unique ; elle l’est le temps de reprendre pied, le rêve en morceaux.
Quelle plainte effacerait ce sifflement noir des jours noirs, cette cendre dans la bouche, cette crucifixion du lit défait, quand la pluie enivre debout et que la solitude siffle encore et tire par la manche ?



Confiance

Où va l’humble, le vent se tait, la lune brille. Des oiseaux dans le ciel, au ventre affamé, plein d’ardeur, d’autres amours chevauchent des trous noirs.
Trop de mystères attisent la cécité, la suffisance.
Certains, de ferme assurance, crèvent sous eux tout ce qu’ils grimpent et dévalent. Du cri levant l’aube aux frappes de l’atome, rien ne peut leur échapper.
Ils comptent, mieux que l’enfant ses billes, les milliards d’années-lumière que la vie leur doit ; et ils formatent le monde à l’aune de leur désir.
Ils chargent et déchargent, peu importe quoi. Ils enjambent, fouissent, déchaussent à peine les lunettes pour dormir, bouffent à crever d’aise.
Qu’ils vibrent, explosent et se recomposent ! Ils se font un honneur de tout écraser !
L’espoir en écharpe, le fol écolier se prend au jeu des mille et un cercles de l’abandon. Son bonheur est de croiser près d’une source, en forêt, une biche, la folle peur à la beauté jointe, qui s’enfuit, hélas !
Va pour tout perdre – mais le don d’amour, mais la plénitude ?



Pierre Perrin, Des jours de pleine terre






D'autres très beaux poèmes dans ce recueil en ligne, mais aussi extraits de recueils publiés.
Le plan du site vous permet de naviguer. Non seulement à travers les écrits de Pierre, mais de très nombreux poètes, écrivains, qu'il nous permet de découvrir ou de relire.
Notamment sur la revue Possibles qui paraît en ligne tous les mois.





Vous pouvez lire les autres poèmes sur le site de Pierre Perrin ou sur Calaméo ci-dessous








J'ai consacré sur ce blog un article au roman de Pierre Perrin, Une mère- le cri retenu (Cherche midi éditeur)



Quelques livres de Pierre Perrin


ICI


lundi 2 juillet 2018

Facebook Park





Facebook Park........ ceci n'est pas un poème


..................... mieux que Philae et Rosetta




Planète mystérieuse, prometteuse, délicieuse, trompeuse, menteuse

où je débarquai en 2009, pour l'amour d'un groupe de rock

Noir Désir... eh oui ! Pour Ferré aussi, hé hé !

Repliée dans ma douleur de mère orpheline, fuir une réalité injuste et cruelle,

fermer ma porte et mon coeur à ma vie d'hier.

Et je naviguai je naviguai dans une galaxie inconnue, parmi les trous d'ombres et de lumières.

Des rencontres et des découvertes fabuleuses, malicieuses, délicieuses, amoureuses,

trompeuses, vicieuses, menteuses.

Des portes s'ouvraient, d'autres se refermaient,

de cavernes d'Ali Baba, de Charybe en Scylla.

Et je naviguais je naviguais, de zones lumineuses en gouffres noirs.

Que d'hypocrisies, de mensonges, de faux-semblants, de paroles convenues, d'exclamations et de cris

d'amour !

Aussi fougueux que pernicieux !

Que d'avatars trompeurs, manipulateurs !

J'ai souri, poussé des cris, versé des larmes,

naïve et sotte que j'étais !

Trop vraie, trop confiante, trop authentique,

pour ces chorégraphies acrobatiques !

Je me suis égarée

bien des fois,j'ai voulu quitter le vaisseau intersidéral.

Mais je naviguais je naviguais...

Pour la Poésie et les poètes rencontrés au bout de chaque tunnel.

Pour les Amis qui aujourd'hui encore, accompagnent mes errances,

fidèles, chaleureux, généreux.

Avec eux je voyage jour après jour, entre la Terre et la planète du Net.

Chaque silence est habité, les coeurs purs et aimants.

Les passants passent,

les voyeurs voient,

les tricheurs trichent,

les menteurs mentent,

les affabulateurs écrivent leurs fables...

Et je navigue je navigue, évitant les zones d'ombres et les trous noirs,

préférant le gris qui sourit

me méfiant du blanc qui ment.

Je sais que sur cette planète vivent des petits princes aux yeux clairs ou mélancoliques, aux coeurs purs,

de merveilleuses fées à la baguette magique qui créent la Beauté

Ils savent frapper à ma porte pour mieux m'ouvrir la leur.

Leurs sourires, leurs cris de colère, leurs craintes, leurs révoltes,

sont pétris dans la chair et le sang, bien vivants, tout puissants.

Pour eux, je remercie cette galaxie mystérieuse !

Je sais que demain et après-demain, je naviguerai je naviguerai...

Je partagerai mes jardins secrets avec tous les petits Poucets rêveurs

qui sèment, ici ou là, leurs petits cailloux poétiques, parfois véritables diamants,

qui tissent des fils de couleurs aux reflets d'arc-en-ciel,

lorsque le Monde devient lourd,

que le ciel se fait sombre.

Avec eux demain, nous peindrons ta galaxie Facebook,

sur les sentiers escarpés, loin des autoroutes usurpées.


                                                                          Commediante, tragediante !


© fruban













dimanche 1 juillet 2018

Rainer-Maria Rilke, Les Fenêtres





I

Il suffit que, sur un balcon
ou dans l’encadrement d’une fenêtre
celle que nous perdons
en l’ayant vue apparaître.

Et si elle lève les bras
pour nouer ses cheveux, tendre vase:
combien notre perte par là
gagne soudain d’emphase
et notre malheur d’éclat !

II

Tu me proposes, fenêtre étrange, d’attendre;
déjà presque bouge ton rideau beige.
Devrais-je, ô fenêtre, à ton invite me rendre ?
Ou me défendre, fenêtre? Qui attendrais-je ?

Ne suis-je intact, avec cette vie qui écoute,
avec ce cœur tout plein que la perte complète
Avec cette route qui passe devant, et le doute
que tu puisses donner ce trop dont le rêve m’arrête ?

III

N’es-tu pas notre géométrie,
fenêtre, très simple forme
qui sans effort corconscris
notre vie énorme?

Celle qu’on aime n’est jamais plus belle
que lorsqu’on la voit apparaître
encadrée de toi; c’est, ô fenêtre,
que tu la rends presque éternelle.

Tous les hasards sont abolis. L’être
se tient au milieu de l’amour,
avec ce peu d’espace autour
dont on est maître.

IV

Fenêtre, toi, ô mesure d’attente,
tant de fois remplie,
quand une vie se verse et s’impatiente
vers une autre vie.

Toi qui sépares et qui attires,
changeante comme la mer, –
glace, soudain, où notre figure se mire
mêlée à ce qu’on voit à travers ;

échantillon d’une liberté compromise
par la présence du sort;
prise par laquelle parmi nous s’égalise
le grand trop du dehors.

V

Comme tu ajoutes à tout,
fenêtre, le sens de nos rites:
Quelqu’un qui ne serait que debout,
dans ton cadre attend ou médite.

Tel distrait, tel paresseux,
c’est toi qui le mets en page:
il se ressemble un peu,
il devient son image.

Perdu dans un vague ennui,
l’enfant s’y appuie et reste;
il rêve…Ce n’est pas lui,
c’est le temps qui use sa veste.

Et les amantes, les y voit-on,
immobiles et frêles,
percées comme les papillons
pour la beauté de leurs ailes.

VI

Du fond de la chambre, du lit, ce n’était que pâleur qui sépare,
la fenêtre stellaire cédant à la fenêtre avare
qui proclame le jour.
Mais la voici qui accourt, qui se penche, qui reste:
après l’abandon de la nuit, cette neuve jeunesse céleste
consent à son tour!

Rien dans le ciel matinal que la tendre amante contemple,
rien que lui-même, ce ciel, immense exemple:
profondeur et hauteur!
Sauf les colombes qui font dans l’air de rondes arènes,
où leur vol allumé en douces courbes promène
un retour de douceur.
(Fenêtre matinale.)

VII

Fenêtre, qu’on cherche souvent
pour ajouter à la chambre comptée
tous les grands nombres indomptés
que la nuit va multipliant.

Fenêtre, où autrefois était assise
celle qui, en guise de tendresse,
faisait un lent travail qui baisse
et immobilise….

Fenêtre, dont une image bue
dans la claire carafe germe.
Boucle qui ferme
la vaste ceinture de notre vue.

VIII

Elle passe des heures émues
appuyé à sa fenêtre,
toute au bord de son être,
distraite et tendue.

Comme les lévriers en
se couchant leurs pattes disposent,
son instinct de rêve surprend
et règle ces belles choses

que sont ses mains bien placées.
C’est par là que le reste s’enrôle.
Ni les bras, ni les seins, ni l’épaule,
ni elle-même ne disent: assez !

IX

Sanglot, sanglot, pur sanglot !
Fenêtre, où nul se s’appuie!
Inconsolable enclos,
plein de ma pluie !

C’est le trop tard, le trop tôt
qui de tes formes décident:
tu les habilles, rideau,
robe du vide !

X

C’est pour t’avoir vue
penchée à la fenêtre ultime,
que j’ai compris, que j’ai bu
tout mon abîme.

En me montrant tes bras
tendus vers la nuit,
tu as fait que, depuis,
ce qui en moi te quitta,
me quitte, me fuit….

Ton geste, fut-il la preuve
d’un adieu si grand,
qu’il me changea en vent,
qu’il me versa dans le fleuve ?






Van Gogh – La Charcuterie – 1888






Ce soir mon cœur fait chanter
des anges qui se souviennent...
Une voix, presque mienne,
par trop de silence tentée,

monte et se décide
à ne plus revenir ;
tendre et intrépide,
à quoi va-t-elle s'unir ?

«C'est le premier poème de Vergers, écrit autour du 1er février 1924 ; il dit, avec une espèce de joie étonnée et reconnaissante, que la poésie recommence, que l'excès du silence est rompu ; en fait, pour Rilke comme pour beaucoup d'autres poètes, que le souffle, que la vie vous sont rendus. Parce que l'on a cessé d'être enfermé en soi-même. [...]»
Philippe Jaccottet.


GALLIMARD


Vergers suivi de Quatrains valaisans, Les Roses, Les Fenêtres et de Tendres impôts à la France
Préface de Philippe Jaccottet

Collection Poésie/Gallimard (n° 121), Gallimard
Parution : 02-02-1978