vendredi 29 décembre 2017

Redessiner le monde, poème fruban




Redessiner le monde


Le monde est fou les gens sont fous
Moi j'ai froid partout
dedans surtout
Tout est gris
de ce gris qui jamais ne sourit
Mon cœur est cendre-gris

Et pourtant que de lumières
de guirlandes éblouissantes
Couleurs d'artifices clignotantes
Magie de la fée Carabosse
Ces illuminations m'en-grisent
le cœur et l'âme

Arborer la Madone palestinienne
un poème de Mahmoud Darwish
Relire écouter La petite fille aux allumettes
larmes aux paupières
Je me souviens
Noël dans le cœur de l'enfant que j'étais

Toi dans la chambre à côté tu ris
Tu ris et dessines allongé sous la table
Et on s'en fout des agapes et des lumières clinquantes
Juste une plume un crayon et
redessiner le monde
illuminer la Vie



Si au moins il pleuvait un petit peu dans ta main, je serais heureux 




© fruban

quelques jours en décembre 2017

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recueil en cours





photo du Net

jeudi 28 décembre 2017

Jacques Prévert parle de Robert Desnos


















Robert, Robert Desnos
Je suis devant un micro et je parle de toi
et tu es là toi aussi
et même si tu te tais, nous parlons tous les deux
tous les deux comme hier qu’il serait idiot
d’appeler déjà autrefois
Bien sûr le temps nous dépasse
nous impasse
nous trépasse
c’est l’impasse-temps
le trépasse-temps
Mais qu’il soit spatial
ou des cerises, ou perdu, ou gagné
le temps, Robert, dis-moi qui sait ce que c’est
le temps, Robert, dis-moi qui sait ce que c’est.
Il n’a pas de présent
le temps ne fait pas de cadeau
mais ce qu’ils appellent le souvenir
quand il est vrai il est vivant.
Et je parle avec toi  comme il y a des années
dans la rue Saint-Merri, au comptoir d’un bistrot
comme à la terrasse de Cyrano
un Cyrano de Montmartre et pas d’Edmond Rostand
comme à la radio pour Deharme
quand nous faisions des essais de publicité improvisée :
toutes les semaines, deux idiots parlent de la baleine
C’était peut être un projet pour une marque de savon
de parapluie ou de corset
est-ce que je sais ?
on disait des âneries immédiates
des absurdités instantanées
l’absurde n’était
pas encore à la mode
il n’était pas catalogué
on riait, on riait
et maintenant tu es mort
tu es mort
mais tu n’es pas mort à la guerre
tu es mort contre la guerre, la haine, la connerie.
Robert, mon ami
André Verdet m’a raconté qu’à Buchenwald
lorsqu’ arrivait un nouveau convoi de déportés, tu disais :
«Peut être que Prévert est là-dedans»
C’est une grande preuve d’amitié
qu’avoir envie, sans réfléchir, de retrouver un ami.
Et puis sur un grabat de liberté
le typhus t’a emporté.
Comme les hommes, les rats
font la guerre
et la guerre, comme pour les rats,
c’est bonne affaire
une valeur sûre et déclarée
mais on ne déclare jamais la paix
on en parle mais si la guerre est trop froide
au napalm on la fait réchauffer.
Enfin, au revoir, Robert
à la radio aussi le temps est compté
mais l’oiseau bleu couleur du temps
du temps du rêve
du temps de vérité
te salue et te chante amitié


Jacques Prévert



Couplets de la rue de Bagnolet


Le
Soleil de la rue de
Bagnolet
N'est pas un soleil comme les autres.
Il se baigne dans le ruisseau,
Il se coiffe avec un seau,
Tout comme les autres,
Mais, quand il caresse mes épaules,
C'est bien lui et pas un autre,
Le soleil de la rue de
Bagnolet
Qui conduit son cabriolet
Ailleurs qu'aux portes des palais,
Soleil, soleil ni beau ni laid,
Soleil tout drôle et tout content,
Soleil de la rue de
Bagnolet,
Soleil d'hiver et de printemps,
Soleil de la rue de
Bagnolet,
Pas comme les autres.

Robert Desnos




Jacques Prévert
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Robert Desnos
photo du Net



mardi 26 décembre 2017

Lettre de Paul Eluard à Joë Bousquet




20 décembre 1928

Mon cher ami,

Noël ? Je hais Noël, la pire des fêtes, celle qui veut faire croire aux hommes « qu’il y a quelque chose DE MIEUX sur la terre », toute la cochonnerie des divins enfants, des messes de suif, de stuc et de fumier, des congratulations réciproques, des embrassades des poux à sang froid sous le gui. Je hais les marchands de cochon et d’hosties, leur charcuterie, leur mine réjouie. La neige de ce jour-là est un mensonge, la musique des cloches est crasseuse, bonne au cou des vaches. Je hais toutes les fêtes parce qu’elles m’ont obligé à sourire sans conviction, à rire comme un singe, à ne pas croire, à ne pas croire possible la joie constante de ceux que j’aime. Le bonheur leur est une surprise.

Et puis, votre lettre me désole. Comment n’avez-vous pas pu vous procurer les disques que je vous indiquais. N’importe quelle maison un peu moderne de disques de Marseille, de Paris, vous les procurerait en quelques jours. Et j’y tenais tant. Enfin, dites-moi tout de suite si je dois vous les faire envoyer par des amis ? Si votre gros Dumont s’adresse à ses fournisseurs habituels, il est peu probable qu’on les lui procure. Il y a partout, dans les Cahiers du Sud, N.R.F., Variétés, etc., des annonces de marchands « à la page », comme on dit.

Mais je dois avoir ces jours-ci la visite d’une amie très au courant de ce genre de recherches et qui m’est très dévouée. Elle sera sûrement très heureuse de vous les trouver tous. Et très vite. Sinon, vous allez vous ruiner en achats au petit bonheur. Tous les petits marchands à la Dumont tiennent à se débarrasser de leur stock et laissent en panne, intentionnellement, les nouvelles commandes.

J’ai eu la visite ces jours-ci de Arp et de Max Ernst. Entendu pour votre tableau. Nelli m’a écrit. Il fait un froid solide.

Vous ne me dites pas si vous avez Les Malheurs des Immortels. Chantiers est bien long à paraître. J’en suis fort curieux.

Croyez-moi très affectueusement vôtre,

Paul ELUARD.

(En marge de la première page) :

Pourquoi faut-il que la joie des enfants soit pour ce jour-là et souvent ce jour-là seulement et souvent jamais.

Paul Eluard
in, Lettres à Joë Bousquet
Les Editeurs Français Réunis (1973)



Paul Eluard
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