samedi 2 décembre 2017

Lhasa de Sela, Concert à Reykjavik (2009)

Pour mon fils Fabrice, mon amour absent

C'est toi qui me l'avais fait connaître. Vous êtes partis à quelques mois d'intervalle. Je te l'offre et je l'écoute avec toi.









Près de huit ans après le décès de la chanteuse, un cadeau inattendu : un album réunissant les meilleures prises de deux spectacles donnés en Islande en mai 2009.

Sur ce disque posthume, on entend une Lhasa de Sela en totale communion avec ses musiciens, comme si ces cinq humains respiraient avec le même poumon. On entend la chanteuse d’origine américano-mexicaine parler timidement au public, rire. On a aussi conservé les applaudissements nourris et chaleureux des spectateurs, puis un silence d’église dès les premières notes. Tout, ici, fait l’éloge de la lenteur et de la douceur, et c’est beau.

Au moment où Lhasa de Sela offrait ces prestations, elle se savait déjà malade. Elle allait chanter les compositions de son troisième album, tout neuf, accompagnée du guitariste Joe Grass, du contrebassiste Miles Perkin, du batteur Andrew Barr et de la harpiste Sara Pagé. La chanteuse s’est éteinte à Montréal six mois après ce voyage à Reykjavik, le 1er janvier 2010.

Retrouvez l’authenticité et la douceur de Lhasa

Quelle authenticité. Quand Lhasa de Sela est apparue comme un lever de soleil en 1998, dépeignant une Amérique latine entre le réel et l’imaginaire, on savait qu’on avait affaire à une artiste d’exception. Elle semblait vouloir mettre un baume sur nos âmes avec son chant doux. Une berçante, qui mariait des récits mélancoliques à des musiques légères, comme en traînent les gens du voyage pour qui le bagage est avant tout immatériel. Lhasa ne semblait même pas se soumettre aux percussions, si fines soient-elles, de ces musiques suaves, comme si elle volait au-dessus de ses propres chansons.

Au fil de ses trois albums, jamais la chanteuse n’a succombé aux modes. Il en faut de la générosité pour offrir une musique autre, sans se soucier du marché. Être en marge tout en douceur.

Après une existence trop brève et un départ dans la discrétion, la voici qui repasse avec ce cadeau inattendu : 14 plages qui pigent majoritairement dans son troisième disque, mais aussi dans La Llorona (De cara a la Pared) et dans The Living Road (Con Toda Palabra, La confession). Aussi, une superbe version de A Change Is Gonna Come de Sam Cooke, en duo avec l’as de la guitare Joe Grass, aujourd’hui très en demande.

Ces chansons, par leur qualité intime, se nicheront au creux du public fidèle de Lhasa, ici comme à Reykjavik, ou ailleurs sur cette planète qui l’a vu briller le temps d’un vol trop court.

Ici Musique ca



Lhasa
photo du Net


Extrait de l'album










Lhasa sur Fip radio



https://www.fip.fr/player/reecouter?play=30706


vendredi 1 décembre 2017

Poème Denis Tellier




Il s'éloigna de quelques pas
Il se retourna
Il avait les bras ballants
De sa main droite du bout des doigts
Il pressa très fort son pouce sur son index, il se toucha une dernière fois
Il regarda devant très vite où mettre son prochain pas
Ils lui tirèrent dans le dos, je sais cela ne rime pas trop
Il vacilla et il tomba
Tu le vois

© Denis T

le 1er décembre 2017



manuscrit Denis T






Anna Akhmatova chantée par Svetlana Loukine














Extraits de Requiem



VIII

 À la mort

 Tu viendras, de toute façon –

         Pourquoi pas maintenant ?

C’est trop difficile pour moi –

         Je t’attends.

J’ai éteint la lampe, je t’ai ouvert la porte.

À toi, si simple, si merveilleuse ;

Prends pour l’occasion, la forme

Que tu voudras ; Engouffre-toi

Comme un obus meurtrier, ou

À la légère, comme une canaille avisée,

Ou comme un virus –

         Le typhus.

Ou comme cette histoire

         Que tu as inventée,

Que nous connaissons tous jusqu’à la nausée,

Qui me fait revoir les chapkas bleues

Et aussi le gardien, blême de peur.

Maintenant, tout m’est égal.

         L’Iénisséi

Tourbillonne. L’étoile polaire

Brille. Et l’éclat bleu

Des yeux bien-aimés s’osbscurcit

D’une terreur dernière.



Maison de la Fontanka, été 1939




LA PORTE EST ENTROUVERTE

La porte est entrouverte.
Les tilleuls frémissent…
Oubliés sur la table :
Une cravache, un gant.

La lampe fait un cercle de clarté.
Il y a des bruits que j’entends.
Pourquoi es-tu parti?
Je ne comprends pas.

Demain matin la lumière
Sera pleine de joie.
Cette vie est brève.
Sois sage, mon coeur.

Tu es à bout de force,
Tu bats plus sourdement.
Tu sais, je l’ai lu quelque part:
Les âmes sont immortelles.


Requiem d'Anna Akhmatova sur RTS



Composé en 1940 par la grande poétesse russe Anna Akhmatova, "Requiem", "le poème de tous", le "poème épique dʹun grand peuple martyr", comme le qualifie Paul Valet, est une œuvre unique, constituée de poèmes écrits entre les années 1930 et 1957. Nicolas Bouvier qualifiait cet ensemble qui dit la terreur stalinienne de "testament superbe". Née le 23 juin 1889 à Odessa, Anna Akhmatova, proche du poète Ossip Mandelstam, passa sa jeunesse à Tsarkoïé Sélo. Ses premiers poèmes sont lyriques et pouchkiniens. Quand la guerre de 1914 éclate la réalité la rattrape et transforme sa poésie en profondeur. En octobre 1917, elle reste en Russie contrairement à nombre de ses amis. Cʹest son choix, elle en paiera le prix fort avec la mort de son mari, Nicolas Goumilev, en 1921, fusillé pour activités antisoviétiques. Puis, cʹest son fils qui est arrêté en 1938. Sʹensuit la guerre et la privation à Leningrad. En 1946, sa poésie est taxée dʹoccidentalisme. Elle ne peut plus publier. En 1956 son fils est enfin libéré. Anna Akhmatova meurt le 5 mars 1966 à lʹâge de 77 ans après une longue et douloureuse existence.

Le labo, 08.10.2017, 19h03


jeudi 30 novembre 2017

"L'Âme des marées", édition bilingue français-grec


J'ai la grande joie d'apprendre que "L'Âme des marées", édition bilingue français-grec, vient de partir chez l'imprimeur ! Il devrait paraître vers le 15 décembre.
Mes amis grecs et hellénistes pourraient avoir une idée de cadeau pour les fêtes de fin d'année !
Je remercie tout particulièrement mon ami traducteur Athanase Athanassiou, et les éditions épingle à nourrice, sans lesquels ce projet n'aurait jamais vu le jour. Merci du fond du coeur !

fruban, le 30 novembre 2017



Couverture ene



livres, extraits et auteurs ene


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mardi 28 novembre 2017

Etat de siège, Mahmoud Darwich


Etat de siège 


Un poème inédit de Mahmoud Darwich.
Ramallah, janvier 2002
Par Mahmoud Darwich



Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps
Près des jardins aux ombres brisées,
Nous faisons ce que font les prisonniers,
Ce que font les chômeurs :
Nous cultivons l’espoir. * * *

Un pays qui s’apprête à l’aube. Nous devenons moins intelligents
Car nous épions l’heure de la victoire :
Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage.
Nos ennemis veillent et nos ennemis allument pour nous la lumière
Dans l’obscurité des caves. * * *

Ici, nul « moi ».
Ici, Adam se souvient de la poussière de son argile. * * *

Au bord de la mort, il dit :
Il ne me reste plus de trace à perdre :
Libre je suis tout près de ma liberté. Mon futur est dans ma main.
Bientôt je pénètrerai ma vie,
Je naîtrai libre, sans parents,
Et je choisirai pour mon nom des lettres d’azur... * * *

Ici, aux montées de la fumée, sur les marches de la maison,
Pas de temps pour le temps.
Nous faisons comme ceux qui s’élèvent vers Dieu :
Nous oublions la douleur. * * *

Rien ici n’a d’écho homérique.
Les mythes frappent à nos portes, au besoin.
Rien n’a d’écho homérique. Ici, un général
Fouille à la recherche d’un Etat endormi
Sous les ruines d’une Troie à venir. * * *

Vous qui vous dressez sur les seuils, entrez,
Buvez avec nous le café arabe
Vous ressentiriez que vous êtes hommes comme nous
Vous qui vous dressez sur les seuils des maisons
Sortez de nos matins,
Nous serons rassurés d’être
Des hommes comme vous ! * * *

Quand disparaissent les avions, s’envolent les colombes
Blanches blanches, elles lavent la joue du ciel
Avec des ailes libres, elles reprennent l’éclat et la possession
De l’éther et du jeu. Plus haut, plus haut s’envolent
Les colombes, blanches blanches. Ah si le ciel
Etait réel [m’a dit un homme passant entre deux bombes] * * *

Les cyprès, derrière les soldats, des minarets protégeant
Le ciel de l’affaissement. Derrière la haie de fer
Des soldats pissent - sous la garde d’un char -
Et le jour automnal achève sa promenade d’or dans
Une rue vaste telle une église après la messe dominicale... * * *

[A un tueur] Si tu avais contemplé le visage de la victime
Et réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre
A gaz, tu te serais libéré de la raison du fusil
Et tu aurais changé d’avis : ce n’est pas ainsi qu’on retrouve une identité. * * *

Le brouillard est ténèbres, ténèbres denses blanches
Epluchées par l’orange et la femme pleine de promesses. * * *

Le siège est attente
Attente sur une échelle inclinée au milieu de la tempête. * * *

Seuls, nous sommes seuls jusqu’à la lie
S’il n’y avait les visites des arcs en ciel. * * *

Nous avons des frères derrière cette étendue.
Des frères bons. Ils nous aiment. Ils nous regardent et pleurent.
Puis ils se disent en secret :
« Ah ! si ce siège était déclaré... » Ils ne terminent pas leur phrase :
« Ne nous laissez pas seuls, ne nous laissez pas. » * * *

Nos pertes : entre deux et huit martyrs chaque jour.
Et dix blessés.
Et vingt maisons.
Et cinquante oliviers...
S’y ajoute la faille structurelle qui
Atteindra le poème, la pièce de théâtre et la toile inachevée. * * *

Une femme a dit au nuage : comme mon bien-aimé
Car mes vêtements sont trempés de son sang. * * *

Si tu n’es pluie, mon amour
Sois arbre
Rassasié de fertilité, sois arbre
Si tu n’es arbre mon amour
Sois pierre
Saturée d’humidité, sois pierre
Si tu n’es pierre mon amour
Sois lune
Dans le songe de l’aimée, sois lune
[Ainsi parla une femme
à son fils lors de son enterrement] * * *

Ô veilleurs ! N’êtes-vous pas lassés
De guetter la lumière dans notre sel
Et de l’incandescence de la rose dans notre blessure
N’êtes-vous pas lassés Ô veilleurs ? * * *

Un peu de cet infini absolu bleu
Suffirait
A alléger le fardeau de ce temps-ci
Et à nettoyer la fange de ce lieu * * *

A l’âme de descendre de sa monture
Et de marcher sur ses pieds de soie
A mes côtés, mais dans la main, tels deux amis
De longue date, qui se partagent le pain ancien
Et le verre de vin antique
Que nous traversions ensemble cette route
Ensuite nos jours emprunteront des directions différentes :
Moi, au-delà de la nature, quant à elle,
Elle choisira de s’accroupir sur un rocher élevé. * * *

Nous nous sommes assis loin de nos destinées comme des oiseaux
Qui meublent leurs nids dans les creux des statues,
Ou dans les cheminées, ou dans les tentes qui
Furent dressées sur le chemin du prince vers la chasse. * * *

Sur mes décombres pousse verte l’ombre,
Et le loup somnole sur la peau de ma chèvre
Il rêve comme moi, comme l’ange
Que la vie est ici... non là-bas. * * *

Dans l’état de siège, le temps devient espace
Pétrifié dans son éternité
Dans l’état de siège, l’espace devient temps
Qui a manqué son hier et son lendemain. * * *

Ce martyr m’encercle chaque fois que je vis un nouveau jour
Et m’interroge : Où étais-tu ? Ramène aux dictionnaires
Toutes les paroles que tu m’as offertes
Et soulage les dormeurs du bourdonnement de l’écho. * * *

Le martyr m’éclaire : je n’ai pas cherché au-delà de l’étendue
Les vierges de l’immortalité car j’aime la vie
Sur terre, parmi les pins et les figuiers,
Mais je ne peux y accéder, aussi y ai-je visé
Avec l’ultime chose qui m’appartienne : le sang dans le corps de l’azur. * * *

Le martyr m’avertit : Ne crois pas leurs youyous
Crois-moi père quand il observe ma photo en pleurant
Comment as-tu échangé nos rôles, mon fils et m’as-tu précédé.
Moi d’abord, moi le premier ! * * *

Le martyr m’encercle : je n’ai changé que ma place et mes meubles frustes.
J’ai posé une gazelle sur mon lit,
Et un croissant lunaire sur mon doigt,
Pour apaiser ma peine. * * *

Le siège durera afin de nous convaincre de choisir un asservissement qui ne nuit
pas, en toute liberté !! * * *

Résister signifie : s’assurer de la santé
Du coeur et des testicules, et de ton mal tenace :
Le mal de l’espoir. * * *

Et dans ce qui reste de l’aube, je marche vers mon extérieur
Et dans ce qui reste de la nuit, j’entends le bruit des pas en mon intention. * * *

Salut à qui partage avec moi l’attention à
L’ivresse de la lumière, la lumière du papillon, dans
La noirceur de ce tunnel. * * *

Salut à qui partage avec moi mon verre
Dans l’épaisseur d’une nuit débordant les deux places :
Salut à mon spectre. * * *

Pour moi mes amis apprêtent toujours une fête
D’adieu, une sépulture apaisante à l’ombre de chênes
Une épitaphe en marbre du temps
Et toujours je les devance lors des funérailles :
Qui est mort...qui ? * * *

L’écriture, un chiot qui mord le néant
L’écriture blesse sans trace de sang. * * *

Nos tasses de café. Les oiseaux les arbres verts
A l’ombre bleue, le soleil gambade d’un mur
A l’autre telle une gazelle
L’eau dans les nuages à la forme illimitée dans ce qu’il nous reste * * *

Du ciel. Et d’autres choses aux souvenirs suspendus
Révèlent que ce matin est puissant splendide,
Et que nous sommes les invités de l’éternité.


Littérature, Palestine
(Traduit de l’arabe (Palestine) par Saloua Ben Abda et Hassan Chami.)
Mahmoud Darwish



Mahmoud Darwich
photo du Net