vendredi 4 septembre 2015

Des outils, des rebuts et un regard mélancolique, petit reportage-photos de FRuban et quelques poèmes aimés

Lorsque je flâne sur le port de pêche, là où viennent s'amarrer et décharger les gros chalutiers, à chaque fois mes yeux se portent sur cet endroit à l'écart, où gisent d'étranges vestiges. Entassés, abandonnés, ils vivent leurs derniers instants, après bien des séjours en mer, au service des marins pêcheurs.
A chaque fois, je me sens attirée par ces noeuds, ces cordages, ces filets entremêlés. Ces lourdes chaines aux maillons gigantesques. Ces "sabots" rouillés inertes et inutiles. Mis en retraite avant de rejoindre le destin des mourants, ils brillent de mille couleurs tressées par le plus grand des hasards. Phénix renaissant de ses cendres... Qui d'autre qu'un photographe au regard de poète (et vice-versa...), un peintre... un "original", diront certains. Qui donc s'intéresse à ces objets mis au rebut ?
Les accompagner de poèmes que j'aime, qui parlent de Mer et de Mort, s'est imposé comme une évidence. Un dernier hommage en somme.
"Objets inanimés avez-vous donc une âme..."
                                   fRuban


Une beauté autre, celle des activités humaines, dans un port de pêche et de plaisance. Ce qui me séduit tout autant que les couchants grandioses. Différent, mais ce qui donne vie à La Turballe, retient les commerces essentiels, fixe les populations. Après la pleine saison estivale, seules seront fermées les boutiques de fringues et de gadgets pour touristes.
J'aime cet endroit, au passé sans véritable histoire (La Turballe célébre cette année ses 150 ans... autant dire epsilon !), pourtant riche du travail des hommes.



Le mousse


Mousse : il est donc marin, ton père ?...
- Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d'avec ma mère,
Il a couché dans les brisants ...
Maman lui garde au cimetière
Une tombe - et rien dedans -
C'est moi son mari sur la terre,
Pour gagner du pain aux enfants.
Deux petits. - Alors, sur la plage,
Rien n'est revenu du naufrage ? ...
- Son garde-pipe et son sabot ...
La mère pleure, le dimanche,
Pour repos... Moi : j'ai ma revanche
Quand je serai grand - matelot ! -

Tristan Corbière

Les amours jaunes







©crédit photo fruban



Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes
De lourdes chaînes
Pour toi
mon amour
Et je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
mon amour

Jacques PRÉVERT 
Paroles, 1945





Héritage sénan


Nous sommes du pays où la mer et le vent
Ont donné aux rêves des enfants
Le goût salin des pierres usées par les embruns
Et la pluie compagne des chagrins 
Un pays si petit face au grand océan
Qu'on ne voit pas son ombre au couchant
Un trait sur l'horizon fait de quelques maisons
De granit et de brun goémon 
Ici par grand soleil aux langueurs des étés
Peu de plages où l'on vient se dorer
Un nuage effacé ne fait pas oublier
Qu'une vague peut tout emporter 
D'une roche fragile à l'abord des gros temps
Bateau frêle à la cape souvent
Quand la Vieille au levant et l'Ar Men au Ponant
Veillent toujours la vie des Sénans 
Nous sommes d'un pays qu'on ne quitte jamais
Que l'on porte en soi comme un secret
Comme un rêve un peu fou d'inscrire au fond de nous
Toute l'histoire de ce Caillou
L'Ile de Sein rebelle à l'usure des vents
Tient debout et porte ses enfants
Ceux qui restent l'hiver ou ceux qu'une misère
A poussés vers d'autres continents 
C'est la Voix de notre île entendue dans la ville
A l'écho des douleurs de l'exil
Qui unit chaque feuille que la vie éparpille
Et refait l'arbre de la famille 
Ce bel arbre nomade aux branches vagabondes
Qui jetait des ponts vers d'autres mondes
Revient toujours à terre au cœur de l'île-mère
Où ses pas mènent au cimetière 
Croisée des grands chemins des vivants des défunts
Quand de loin le passé nous revient
En écriture d'or près d'un nom familier
On découvre « Joie aux trépassés »

Des pierres du village aux murs des petits champs
Chacun porte héritage d'antan
Quand l'horizon marin vers la Chaussée de Sein
Etait pour l'île son grand jardin. 
Des siècles disparus le Sénan est têtu
Il a pris Patience pour vertu
Quand du Sud en Guilcher, du nord en « Loup de mer »
Quelqu'un porte toujours nos bannières 
Dans le noir dont les femmes habillent la tristesse
Un îlien voit toujours la tendresse
Qui éclaire sous la Jibilinenn austère
Le beau visage d'une grand-mère 
Lui racontant le soir de si belles histoires
Qu'elles sont restées dans sa mémoire
Comme autant de chansons empreintes du breton
Le plus beau, celui de la Maison 

Sur la route du phare où l'on flâne rêveurs
Au Nifran, au Lenn ou au Gueveur
Au Men Brial en vue des bateaux attendus
On jette l'ancre sur l'imprévu 
Le monde se refait dans les bistrots des quais
Où l'on va Iliens ou Paimpolais
Par marées de bonheur ou de mélancolie
On pourrait chanter toute la nuit

«Qui voit Sein voit sa fin», «Nul n'a franchi le Raz
Sans connaître ni peur ni Dégâts»
Ces dictons répétés qu'on voudrait oublier
Reviennent à l'heure d'embarquer 
D'Audierne ou Douarnenez l'Enez Sun est passé
Par des grains, des vagues déchaînées
Mais l'on garde quand même cette crainte du jour
D'un possible départ sans retour 
Notre petit royaume aux mille paysages
Mille roches aux terribles visages
Nous apporte la paix lorsque le vent se tait
Que l'île reprend vie sur les quais 
Des ruelles on entend le rire des enfants
Ou Kornog à l'église en passant (kornog : vent d'ouest)
Quitter l'île à l'instant s'éloigner du rocher
Ce serait partir à l'étranger.

Paroles et musique Louis Capart

écouter sur youtube : https://www.youtube.com/watch?v=QsN_gqZEVPA


























©crédit photos fruban

                             


  Loguivy de la mer

Ils reviennent encore à l'heure des marées
S´asseoir sur le muret le long de la jetée
Ils regardent encore au delà de Bréhat
Respirant le parfum du vent qui les appelle
Mais s´il est révolu le temps des Terre-Neuvas
La race des marins chez nous ne s´en va pas...


Loguivy de la Mer, Loguivy de la Mer
Tu regardes mourir les derniers vrais marins
Loguivy de la Mer au fond de ton vieux port
S´entassent les carcasses des bateaux déjà morts.

Ils ont connu le temps où la voile était reine
Ils parlent des haubans, des focs et des misaines
De tout ce qui a fait le charme de leur vie
Et qu´ils emporteront avec eux dans l´oubli
Mais s´il est révolu le temps des Cap-Horniers
Il reste encore chez nous d´la grain´ d´aventuriers.

Je n´ai jamais su dire ce que disent leurs yeux
Perdus dans ces visages burinés par le vent
Ces beaux visages d´hommes ces visages de vieux
Qui savent encore sourire et dire à nos vingt ans
Remettez vos cabans et rompez les amarres

Allez y de l´avant mais tenez bon la barre 

François Budet










Petit mort pour rire


Va vite, léger peigneur de comètes !
Les herbes au vent seront tes cheveux;
De ton oeil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes...

Les fleurs de tombeau qu'on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux...
Et les myosotis, ces fleurs d'oubliettes...

Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
Pour les croque-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux...
Ils te croiront mort - Les bourgeois sont bêtes - 
Va vite, léger peigneur de comètes !

Tristan Corbière

Les amours jaunes, Rondels pour après 


jeudi 3 septembre 2015

Petit d'homme, poème de F.Ruban

Petit d'homme

un matin de septembre à Bodrum

la Mer a rejeté ton corps sur le sable

Elle a refusé de le déchiqueter de l'abîmer

Elle t'a déposé

pour que les hommes voient

ta fragilité d'enfant

ton petit corps endormi sur la plage

où tant d'enfants ailleurs rient et

construisent des châteaux



Petit d'homme

ce matin ton image fait le tour du monde

Réveiller les puissants endormis

indifférents à ces milliers d'autres

tes frères morts comme toi sous les coups des barbares

tes frères nos frères humains nos enfants

qui voulaient simplement vivre

et rire et aller à l'école et désobéir



Petit d'homme

Petit enfant symbole de l'innocence chaque jour massacrée

tandis que nos dirigeants des hommes pourtant

ferment les yeux mettent des barbelés

contre ceux que l'on nomme migrants

qui ne voudraient qu'être réfugiés

Ils quittent leur terre la mort dans l'âme

espoir chevillé au corps

espoir que leurs frères les hommes....



©fruban



le 3 septembre 2015



Tous droits réservés

Protégé par copyright





En hommage à Aylan Kurdi, l'enfant syrien retrouvé mort noyé sur une plage de Turquie ( Bodrum














photo parue dans l'Humanité le 31 mai 2016






































).





Un livre vient de lui rendre hommage aux éditions Verdier ICI


Pierre Demarty
Le Petit garçon sur la plage
Éditions Verdier

éditions Verdier






















































photo du Net
(sur la plage de Bodrum)







mercredi 2 septembre 2015

Deux poèmes de Cristian Ronsmans



Je n’arrive plus à dire « je t’aime »,

J’ai perdu les mots.

De l’amour j’ai perdu l’amour

On me l’a volé.

Du discours, fragments épars,

J’en perds la mémoire.

Je ne connais plus les mots.

Une partie de mon âme envolée

Capturée, vendue au plus offrant.

Je ne dis plus les mots « je t’aime ».

Ils me brûlent pourtant.

Le souvenir des mots sacrés

Part en lambeaux.

Pas de substitution possible.

Je voudrais tant dire ces deux mots

Encore une fois.

»Je t’aime », « je t’aime » de la première

A la dernière fois.

Mais ils me restent dans le cœur,

Arraché, tenaillé

De cette voix du cœur muette

Langue coupée qui ne peut plus dire les mots.

Le corps se brise

En tous ses éclats de « je t’aime »

Que mille fois de plus j’aurais du dire

Comme au premier jour.

J'aurais du le dire

En ma voix étouffée.

Ce jour qui ne se lèvera plus

Ce jour n’a plus les mots pour

Renaître encore.

Encore, s’il te plait,

Une dernière fois.



Cristian Ronsmans



le 5 septembre 2016



© Tous droits réservés

Protégé par copyright




crédit photo fruban


Cette nuit ni plus ni moins obscure que celles qui l’ont précédée.
Cette nuit ni moins ni plus obscure que celles à venir
Depuis des siècles et millénaires,
Cette nuit, j’observerai le scintillement
De la lune argentée et la brillance de l’étoile, Vénus,
Dans les ombres fuligineuses de l’inconnaissable Nocturne.

Et, avec elles, tous les feux métalliques des corps célestes
Immuables à mes yeux clos.

Demain, le soleil viendra desceller mon regard et paupières dessillées,
Je regarderai l’astre flamboyant dans les yeux, une dernière fois,
Avant qu’à ma vue, il ne s’éteigne à jamais.

Il sera le matador en habit de lumière éternelle
Et je serai son taureau apeuré.

Seule pour un instant encore, vacillante, subsistera
L’ombre de ce que je fus et ne cessais jamais d’être.

Puis elle-même, comme happée dans un tourbillon,
Un orage de feu, elle sera à son tour emportée.

Alors, le soir prochain, une nuit pareille à la précédente,
Une nuit identique à celle à venir
Prendra ses quartiers
Sur le monde où je fus.

Mais je n’en saurai rien !

Cristian Ronsmans
le 1er septembre 2015

© Tous droits réservés

crédit photo fruban