samedi 11 novembre 2017

La p'tite Odette, de Denis Tellier

La p'tite Odette


Elle avait pour prénom Odette, un petit prénom qui n'existe presque pas.
Elle reprisait  des mouflettes, des chaussettes, à l'œuf de bois.
Elle ne riait pas, elle souriait parfois.
Sur sa tombe dans le cimetière où je vais quelquefois
Elle est toujours assise et regarde ses petits doigts.
Sur la pierre, ils lui ont mis un christ en fer je ne comprends pas pourquoi.
Elle, elle aimait  à 16 heures boire une tasse de chocolat.

© Denis Tellier
10 novembre 2017



© Croquis Denis Tellier
La p'tite Odette



Extraits d'une conversation Denis Tellier-Françoise Ruban
            le 10 novembre 2017



Denis

Je l'ai connue la petite Odette
Une petite dame menue
qui était sur la terre, on ne sait pas pourquoi

Françoise

L'as-tu connue en vrai ou juste un personnage littéraire ?
D'ailleurs, on s'en fout, non ?

Denis

Je l'ai connue en vrai, elle buvait beaucoup, retranchée et muette.
Elle était la couturière du village , elle avait un vélo.
Je l'aimais bien, elle me disait bonjour

Françoise

Ce petit texte lui rend un bel hommage "à la Tellier"

Denis

Je vais rarement au cimetière, l'autre fois j'y suis allé pour relever les dates d'incorporation des  5 frères Tellier
J'ai regardé sa tombe et tout à l'heure j'ai écrit

Françoise

Je pense parfois à eux, les 5 frères Tellier
J'aime bien ton texte

Denis

Petit truc à l'arrache sur un bord  de table

Françoise

oui, mais ta "patte"

(extraits...)

mardi 7 novembre 2017

Beaucoup plus grave, poème de Mario Benedetti




Toutes les parcelles de ma vie ont quelque chose de toi
et en réalité cela n’a rien d’extraordinaire
tu le sais tout aussi objectivement que moi

cependant il y a quelque chose que je voudrais préciser
quand je dis toutes les parcelles
je ne fais pas seulement référence à ce d’aujourd’hui
à cette attente et cet alléluia de te retrouver
   et cette saloperie de te perdre
   et de te retrouver
   et pourvu que rien d’autre

je ne fais pas seulement référence à ce que tout à coup tu dises
   je vais pleurer
et moi, avec un léger noeud dans la gorge :
   ben pleure
et qu’une belle averse invisible nous protège
et que peut-être ce soit pour ça que tout de suite le soleil revienne

je ne fais pas seulement référence à ce que jour après jour
augmente le stock de nos petites
   et décisives complicités
ou que je puisse  ou que je croie que je peux
transformer mes revers en victoires
ou que tu me fasses le tendre don
   de ton plus récent désespoir
non
la chose est beaucoup plus grave

quand je dis toutes les parcelles
je veux dire qu’en plus de ce doux cataclysme
tu es aussi en train de réécrire mon enfance
cet âge où l’on dit des choses adultes et solennelles
et que de solennels adultes célèbrent
et toi au contraire tu sais que ce n’est pas ça
je veux dire que tu es en train de refaire mon adolescence
cette époque où j’étais un vieux chargé de méfiance
et toi au contraire tu sais tirer de cette friche
mon germe de joie   et l’arroser en le regardant

je veux dire que tu secoues ma jeunesse
cette jarre que personne n’a jamais prise dans ses mains
cette ombre que personne n’a rapproché de son ombre
et toi tu sais l’émouvoir
jusqu’à ce qu’en tombent les feuilles sèches
et que n’en reste que la charpente de ma vérité sans prouesses

Je veux dire que tu embrasses ma maturité
ce mélange de stupeur et d’expérience
ces étranges confins d’angoisse et de neige
cette lanterne qui illumine la mort
ce précipice de notre pauvre vie

Comme tu vois c’est plus grave
beaucoup plus grave
parce qu’avec ces mots ou avec d’autres
je veux dire que tu n’es pas   seulement
cette chère jeune fille que tu es
mais aussi les splendides
   ou prudentes femmes
   que j’ai aimé ou que j’aime

parce que grâce à toi j’ai découvert
(tu diras qu’il était temps
          et à juste titre)
que l’amour est une baie généreuse et belle
qui s’éclaire et s’assombrit
   selon que vient la vie

une baie où les bateaux
   arrivent et s’en vont

arrivent avec des oiseaux et des présages
et repartent avec des sirènes et de gris nuages.
une baie généreuse et belle
où les bateaux arrivent
         et s’en vont

mais toi
s’il te plaît
   ne t’en va pas.


Mario Benedetti
(1920-2009)





Todas las parcelas de mi vida tienen algo tuyo
y eso en verdad no es nada extraordinario
vos lo sabés tan objetivamente como yo.

sin embargo hay algo que quisiera aclararte
cuando digo todas las parcelas
no me refiero sólo a esto de ahora
a esto de esperarte y aleluya encontrarte
   y carajo perderte
   y volver a encontrar
   y ojalá nada más.

no me refiero sólo a que de pronto digas
   voy a llorar
y yo con un discreto nudo en la garganta:
   bueno llorá
y que un lindo aguacero invisible nos ampare
y quizá por eso salga enseguida el sol.

Ni me refiero sólo a que día tras día
aumente el stock de nuestras pequeñas
   y decisivas complicidades
o que yo pueda  o creerme que puedo
convertir mis reveses en victorias
o me hagas el tierno regalo
   de tu más reciente desesperación.
no
la cosa es muchísimo más grave

cuando digo todas la parcelas
quiero decir que además de ese dulce cataclismo
también estas rescribiendo mi infancia
esa edad en que uno dice cosas adultas y solemnes
y los solemnes adultos las celebran
y vos en cambio sabés que eso no sirve
quiero decir que estás rearmando mi adolescencia
ese tiempo en que fui un viejo cargado de recelos
y vos sabés en cambio extraer de ese páramo
mi germen de alegría  y regarlo mirándolo

quiero decir que estás sucumbiendo mi juventud
ese cántaro que nadie tomó nunca en sus manos
esa sombra que nadie arrimó a su sombra
y vos en cambio sabés estremecerla
hasta que empiecen a caer las hojas secas
y quede la armazón de mi verdad sin proezas

quiero decir que estás abrazando mi madurez
esta mezcla de estupor y experiencia
este extraño confín de angustia y nieve
esta bujía que ilumina la muerte
este precipicio de la pobre vida

Como ves es más grave
muchísimo más grave
porque con éstas o con otras palabras
quiero decir que no sos  tan sólo
la querida muchacha que sos
sino también las espléndidas
   o cautelosas mujeres
   que quise o quiero
porque gracias a vos he descubierto
(dirás ya era hora
       y con razón)
que el amor es una bahía linda y generosa
que se ilumina y se oscurece
   según venga la vida

una bahía donde los barcos
   llegan y se van
llegan con pájaros y augurios
y se van con sirenas y nubarrones.

Una bahía linda y generosa
donde los barcos llegan
         y se van

pero vos
por favor
   no te vayas.


D'autres poèmes de Mario Benedetti (1920-2009) :

Poemas del alma



Mario Benedetti
photo du Net



Mario Benedetti est un écrivain uruguayen multiforme : poète, mais aussi nouvelliste, essayiste, romancier et dramaturge. Il est considéré comme l'un des écrivains les plus importants de l'Amérique latine.

Auteur notamment du recueil de poèmes Inventaire, et des romans La trêve, L'anniversaire de Juan Angel, Printemps avec un coin cassé ou Echaffaudages, dans lesquels il met en scène la classe moyenne et la bureaucratie, Benedetti était également un dirigeant politique engagé à gauche.

Fondateur du Mouvement du 26 mars, en 1971, il a fait partie du bureau exécutif du Frente Amplio (Front élargi), coalition de gauche actuellement au pouvoir.

Contraint à l'exil pendant la dictature militaire, de 1973 à 1985, il a résidé en Argentine, au Pérou, à Cuba et en Espagne.

Benedetti avait reçu de nombreux prix littéraires dont le Prix international Menéndez Pelayo, le Prix Reina Sofia de Poésie ou le Prix ibéroaméricain José Martí.

Source : www.liberation.fr