samedi 22 mars 2014

Alors ( Leandro Calle )

Alors 


dans le silence seul
je découvre
que Tu résonnes

Armando ROJAS GUARDIA

I
Impossible de bâillonner le cœur
qui au bout du compte parle toujours.
Ta voix brûle dès qu’arrive le silence.
*
Tout a du sens
tout est calme
quand je bois l’eau de mon fleuve.
*
Mon dos contre le dos du mur
le dos de la question contre le dos de dieu.
Alors
regarder vers le dedans
naître.
*
Les chiens aboient dans la nuit noire
ils flairent ta présence silencieuse
ils courent affolés de part et d’autre
et soudain se taisent et tout devient muet
et les chiens de l’âme ruminent le silence
ils mordent le mutisme nocturne avec rage
parce que mon flair sent ta présence
ta présence qui passe et ne reste pas.
*
Les nuages passent comme des navires
les nuages passent libres et agités.
Bonheur d’être poussés par bonheur.
Vent obscur
très lente lumière
solidité de l’eau.
*

La ficelle jaune de la clé était suspendue à la porte
lorsque j’ai fermé les yeux, les oiseaux chantaient dans un bois
où l’unique gravité était tournée vers le haut.
*
Midi de la satiété que la nuit
car la soif est comme le soleil
qui s’éteint et s’allume
et jamais ne s’apaise.
Pourquoi ne pas brûler sans plus et pour toujours ?
Braise mouillée de l’âme à demi allumée.

*
Lorsqu’il embrase, il embrasse.
*
Tristesse d’un après-midi de dimanche
douceur de la brise et des oiseaux
douceur de la juteuse herbe fraîche
lenteur et silence des nuages.
Tout l’après-midi est absence
car ta voix n’a pas encore parlé
et l’attente est aussi triste
qu’un train qui s’éloigne.
*
Quand tu n’es pas là
je veux boire sur n’importe quelle lèvre
mais il n’est pour moi de lèvres que les miennes.
Quand tu n’es pas là
ma soif sort te chercher
elle renifle dans le désert
*
Remplie de plantes cette maison
dans la joie sereine de la verdure
qui rend grâce à la pluie tropicale
avec des éclats de couleurs
par tous les coins de pièce.
Et moi toujours assoiffé de ton corps
avec l’hymen intact de mes yeux
sans pouvoir encore pénétrer
sans pouvoir célébrer
l’insaisissable orgasme du monde.
*
Tu es passé dans l’après-midi
le murmure des feuilles le dit
les moineaux dans leurs nids le disent
et le doux adagio de l’herbe et du vent.
Tu es passé dans l’après-midi sans rester.
Tu es passé dans l’après-midi et cela suffit.
*
Éteintes, asséchées, mortes
les étoiles brillent encore.
Elles sont les os de dieu.
*
L’âme est un oiseau sans ailes
lorsqu’elle chante
toutes les choses peuvent s’élever.

II
L’exil n’existe pas
l’exil c’est moi
quittant toujours le lieu d’où je ne suis pas parti.

*
Les eaux du névé descendent
et viennent jusqu’à moi dans leur silence.
Elles viennent la nuit
pour brûler la soif
pour continuer à courir au plus profond.
*
Comme le soleil
l’eau nomme les choses sans les nommer
sa silencieuse voix
est un baptême du monde.
*
La rigole mouille la verte lèvre de la forêt
et les fleurs sylvestres se multiplient par milliers.
Labyrinthe sans aucun centre que l’épaisseur.
La beauté guette de toutes parts.
*
Les paupières s’en sont allées avec le soir
et un crépitement d’oiseaux fleurit dans les pupilles.
Le calme pleut goutte à goutte.
*
Je sens ta brûlure d’oiseau dans le soir.
Tu fuis vers moi
comme la soif qui décide
de revenir.
*
C’est une drôle de pierre que le cœur
même ta voix par moments ne le supporte pas.
*
Offertoire craquant au milieu de la nuit
ce pauvre scarabée pattes en l’air
en un mouvement continuel, inutile.
Ainsi mon cœur faisait des tours
sans avancer d’un seul pas.
Soudain ta main me retourna
et tel Adam je suis allé me cacher parmi les plantes.

*
Vient la nuit virginale, intacte
touchant presque le bord de l’âme
voulant presque dire son silence
dans le lointain gémissement d’un grillon.
*
Par l’égout
toute l’eau s’en est allée.
La baignoire
est restée vide.
Ainsi mon âme
dès que tu es parti.
*
La pluie douce
comme la venue d’agneaux si blancs.
À nouveau ta manière, ta façon de faire
et l’animal qui habite au fond de moi
(le buffle, le taureau, le minotaure)
s’agenouille à nouveau devant cette pluie.
*
Comme l’écureuil dans la forêt
apparaît et disparaît
ainsi ta chaleur.
*
Le buisson brûle, brûle depuis toujours
mais il brûle sans lumière, sans chaleur
sans feu.
Tu étais déjà dedans
tu ne t’étais jamais en allé.
*
À présent la grâce de l’écureuil
se retrouve partout :
pluie, pétales
plantes, nuages
insectes et semences.
À présent le monde entier
est un accord clair.
À présent je suis joué dans cette musique.



The silence when I hold you to my chest
Billy Collins

J’ai cherché la soif dans les seules flaques
sans connaître la saveur ce que je buvais
des eaux sans soleil pour les os secs
où la langue goûte l’abandon.
Ta nudité survint comme la rose
ce fut la lumière sur mes doigts et sur ton dos.
À tant appeler l’amour, l’amour est venu.
Un rai de soleil sur tant d’ombre.

Leandro Calle
(à Jaqui)


Traduction, Yves Roullière

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vendredi 21 mars 2014

Lettre de René Char à Yvonne

Janvier 1952
Le cœur soudain privé, l'hôte du désert devient presque lisiblement le cœur fortuné, le cœur agrandi, le diadème.
Je n'ai plus de fièvre ce matin. Ma tête est de nouveau claire et vacante, posée comme un rocher sur un verger à ton image. Le vent, qui soufflait du Nord hier, fait tressaillir par endroits le flanc meurtri des arbres.
Je sens que ce pays te doit une émotivité moins défiante et des yeux autres que ceux à travers lesquels il considérait toutes choses auparavant. Tu es partie mais tu demeures dans l'inflexion des circonstances , puisque lui et moi avons mal. Pour te rassurer dans ma pensée, j'ai rompu avec les visiteurs éventuels, avec les besognes et la contradiction. Je me repose comme tu assures que je dois le faire. Je vais souvent à la montagne dormir. C'est alors, en vérité, qu'avec l'aide d'une nature à présent favorable, je m'évade des échardes enfoncées dans ma chair, vieux accidents, âpres tournois. Pourras-tu accepter contre toi un homme si haletant ?
Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours noir, village, sur la veillée de mon amour.
"Scrute tes paupières", me disait ma mère, penchée sur mon avant-sommeil d'écolier. J'apercevais flottant un petit caillou, tantôt paresseux, tantôt strident, un galet pour verdir dans l'herbe. Je pleurais. Je l'eusse voulu dans mon âme, et seulement là.
Chant d'insomnie: Amour hélant, l'Amoureuse viendra, Gloria de l'été, ô fruits ! La flèche du soleil traversera ses lèvres, Le trèfle nu sur sa chair bouclera, Miniature semblable à l'iris, l'orchidée, Cadeau le plus anciens des prairies au plaisir Que la cascade instille, que la bouche délivre.
Je voudrais me glisser dans une forêt où les plantes se refermeraient et s'étreindraient derrière nous, forêt nombre de fois centenaire, mais elle reste à semer. C'est un chagrin d'avoir, dans sa courte vie, passé à côté du feu avec des mains de pêcheur d'éponges. "Deux étincelles, tes aïeules", raille l'alto du temps, sans compassion.
L'automne ! Le parc compte ses arbres bien distincts ! Celui-ci est roux traditionnellement ; cet autre fermant le chemin est une bouillie d'épines. Le rouge-gorge est arrivé, le gentil luthier des campagnes. Les gouttes de son chant s'égrènent sur le carreau de la fenêtre. Dans l'herbe de la pelouse grelottent de magiques assassinats d'insectes. Ecoute, mais n'entends pas.
Mon éloge tournoie sur les boucles de ton front, comme un épervier à bec droit.
Parfois j'imagine qu'il serait bon de se noyer à la surface d'un étang où nulle barque ne s'aventurerait. Ensuite, ressusciter dans le courant d'un vrai torrent où tes couleurs bouillonneraient.
L'air que je sens toujours prêt à manquer à la plupart des êtres, s'il te traverse, a une profusion et des loisirs étincelants.
Il faut que je craque ce qui enserre cette ville où tu trouves retenue. Vent, vent, vent autour des troncs et sur les chaumes. J'ai levé les yeux sur la fenêtre de ta chambre. As-tu tout emporté ? Ce n'est qu'un flocon qui fond sur ma paupière. Laide saison où l'on croit regretter, où l'on projette, alors qu'on s'aveulit.
Tu es plaisir, avec chaque vague séparée de ses suivantes. Enfin toutes à la fois chargent. C'est la mer qui se fonde, qui s'invente. Tu es plaisir, corail de spasmes.
Absent partout où l'on fête un absent.
Je ris merveilleusement avec toi. Voilà la chance unique.
Qui n'a pas rêvé, en flânant sur le boulevard des villes, d'un monde qui, au lieu de commencer avec la parole, débuterait avec les intentions ?
Quel mouvement hostile t'accapare ? Ta personne se hâte, ton baiser disparaît. L'un avec les inventions de l'autre, sans départ, multipliait les sillages.
Je ne puis être et ne veux vivre que dans l'espace et dans la liberté de mon amour. Nous ne sommes pas ensemble le produit d'une capitulation, ni le motif d'une servitude plus déprimante encore. Aussi menons-nous malicieusement l'un contre l'autre une guérilla sans reproche.
Nos paroles sont lentes à nous parvenir, comme si elles contenaient, séparées, une sève suffisante pour rester closes tout un hiver ; ou mieux, comme si, à chaque extrémité de la silencieuse distance, se mettant en joue, il leur était interdit de s'élancer et de se joindre. Notre voix court de l'un à l'autre ; mais chaque avenue, chaque treille, chaque fourré, la tire à lui, la retient, l'interroge. Tout est prétexte à la ralentir. Souvent je ne parle que pour toi, afin que la terre m'oublie.
Après le vent c'est toujours plus beau, bien que la douleur de la nature continuât.
Je viens de rentrer. J'ai longtemps marché. Tu es la Continuelle. Je fais du feu. Je m'assois dans le fauteuil de panacée. Dans les plis des flammes barbares, ma fatigue escalade à son tour. Métamorphose bienveillante alternant avec la funeste.
Dehors le jour indolore se traîne, que les verges des saules renoncent à fustiger. Plus haut, il y a la mesure de la futaie que l'aboi des chiens et le cri des chasseurs déchirent.
Notre arche à tous, la très parfaite, naufrage à l'instant de son pavois. Dans ses débris et sa poussière, l'homme à tête de nouveau-né réapparait. Déjà mi-liquide, mi-fleur.
La terre feule, les nuits de pariade. Un complot de branches mortes n'y pourrait tenir.
S'il n'y avait sur terre que nous, mon amour, nous serions sans complices et sans alliés. Avant-coureurs candides ou survivants hébétés.
L'exercice de la vie, quelques combats au dénouement sans solution mais aux motifs valides, m'ont appris à regarder la personne humaine sous l'angle du ciel dont le bleu d'orage lui est le plus favorable.
Toute la bouche et la faim de quelque chose de meilleur que la lumière — de plus échancré et de plus agrippant — se déchaînent.
Celui qui veille au sommet du plaisir est l'égal du soleil comme de la nuit. Celui qui veille n'a pas d'ailes, il ne poursuit pas.
J'entrouvre la porte de notre chambre. Y dorment nos jeux. Placés par ta main même. Blasons durcis, ce matin, comme du miel de cerisier.
Il est des parcelles de lieux où l'âme rare subitement exulte. Alentour ce n'est qu'espace indifférent. Du sol glacé elle s'élève, déploie tel un chant sa fourrure, pour protéger ce qui la bouleverse, l'ôter de la vue du froid.
Mon exil est enclos dans la grêle. Mon exil monte à sa tour de patience. Pourquoi le ciel se voûte-t-il ?
Pourquoi le champ de la blessure est-il de tous le plus prospère ?Les hommes aux vieux regards, qui ont eu un ordre du ciel transpercé, en reçoivent sans s'étonner la nouvelle.
Affileur de mon mal je souffre d'entendre les fontaines de ta route se partager la pomme des orages.
Une clochette tinte sur la pente des mousses où tu t'assoupissais, mon ange du détour. Le sol de graviers nains était l'envers humide du long ciel, les arbres, des danseurs intrépides. Trêve, sur la barrière, de ton museau repu d'écumes, jument de mauvais songe, ta course est depuis longtemps terminée.
Cet hivernage de la pensée occupée d'un seul être que l'absence s'efforce de placer à mi-longueur du factice et du surnaturel.
Ce n'est pas simple de rester hissé sur la vague du courage quand on suit du regard quelque oiseau volant au déclin du jour.
Je ne confonds pas la solitude avec la lyre du désert. Le nuage cette nuit qui cerne ton oreille n'est pas de neige endormante, mais d'embruns enlevés au printemps.
Il y a deux iris jaunes dans l'eau verte de la Sorgue. Si le courant les emportait, c'est qu'ils seraient décapités.
Ma convoitise comique, mon vœu glacé : saisir ta tête comme un rapace à flanc d'abîme. Je t'avais, maintes fois, tenue sous la pluie des falaises, comme un faucon encapuchonné.
Voici encore les marches du monde concret, la perspective obscure où gesticulent des silhouettes d'hommes dans les rapines et la discorde. Quelques-unes, compensantes, règlent le feu de la moisson, s'accordent avec les nuages.
Merci d'être, sans jamais te casser, iris, ma fleur de gravité. Tu élèves au bord des eaux des affections miraculeuses, tu ne pèses pas sur les mourants que tu veilles, tu éteins des plaies sur lesquelles le temps n'a pas d'action, tu ne conduis pas à une maison consternante, tu permets que toutes les fenêtres reflétées ne fassent qu'un seul visage de passion, tu accompagnes le retour du jour sur les vertes avenues libres.

René Char, Lettera amorosa,
 Ed. Gallimard, 2007

jeudi 20 mars 2014

Allo


Me blottir dans la pénombre qui te caresse si bien
Déposer des baisers miens
et m'enfouir en tes bras
toujours si loin beaucoup trop loin
Promener mes doigts mes mains
sur ton visage aimé
sa chaleur sa présence désirées
Rêver un instant
que c'est ta voix que j'entends
__   Allo.......

© F.R

le 5 mars 2014
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mercredi 19 mars 2014

La Part d'ombre

Tu avances en cet hiver printanier
où les bourgeons enflent leur ventre fécond
gorgé de sève nouvelle ____  la Vie
Tu rêves de musique et d'harmonie
guidée sur le chemin par les chants d'oiseaux
Tu écoutes Barbara ou Lhasa
Jo et Katerina    Et puis 

Qu'as-tu fait de ta vie ?

Petite fille rebelle en ses rêves joyeux
en ses premiers émois amoureux 
si souvent passions exaltées  ____    Puis
mère attentive et fière
tu avances sur des chemins sinueux des ornières     
où tu perds pieds t'enlises  
mais tu te relèves         Vite

Tu avances plus lentement ces jours
regard tourné vers le passé
à l'instant présent tu t'accroches  
il s'est enfui      _____  déjà
Devant toi un temps incertain des brumes des brouillards
dans leurs linceuls des fantômes décharnés
se dressent et te hèlent

Qu'as-tu fait de ta vie ?

Que feras-tu demain  _______ Où est demain ?
Dans la balance tu déposes tes paquets
de rêves d'idéaux de désirs
ceux d'hier ont été mis au pas
souillés parfois
tant est sournoise     la réalité

Tu avances et tu tangues
tu penses à ton Amour   ___ la Poésie
le porte comme elle te porte toi
Beauté pureté      En grand
ton coeur s'est ouvert
ton corps fatigué rompu a frémi gémi
tu penses      il est le Dernier Homme

Le sera-t-il encore demain ?

L'Ombre sur vous s'est installée
tant de blessures tant de déchirures
tant de serments endeuillés
Ton coeur se crispe      refermé
il crie il saigne         _____  il se tait
Ton corps souffre il te fait mal

Vas-tu laissée ouverte la porte   
sur la Nuit qui t'enveloppe  ?

Notre vie mon amour est si fragile
quand s'insinue le venin


© F.R

le 20 mars 2014

in recueil "L'Âme des marées" paru en octobre 2014
Ed. Epingles à nourrice éditions - ene
http://editozap.jimdo.com/livres/

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dimanche 16 mars 2014

Debout sur la plage


Debout sur la plage

Je suis debout au bord de la plage.
Un voilier passe dans la brise du matin,
et part vers l’océan.
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit : « il est parti !»

Parti vers où ?
Parti de mon regard, c’est tout !
Son mât est toujours aussi haut,
sa coque a toujours la force de porter
sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue est en moi,
pas en lui.

Et juste au moment où quelqu’un prés de moi
dit : «il est parti !»
il en est d’autres qui le voyant poindre à l’horizon
et venir vers eux s’exclament avec joie :
«Le voilà !»

C’est ça la mort !
Il n’y a pas de morts.
Il y a des vivants sur les deux rives.

William Blake




 crédit photo F.R