samedi 5 décembre 2015

Gris ... le Ciel en cendre, poème de FRuban

Quelle cendre peut encore empêcher la braise d'épouser la flamme
Max-Pol Fouchet
                                                                                   
                                           
crédit photo fruban

                                                                 Gris
                                                                        ... le Ciel en cendre



Je n'y vois que du gris

Gris le ciel
gris mes mots
gris mon coeur
gris l'espace sans lueur
La cendre a tout pénétré
Le souffle s'est envolé
En silence je t'ai appelé
Le vent a refusé de porter ton prénom


Je n'y vois que du gris

Gris le monde
des hommes gris
gris tous ces morts qui jamais plus
ne verront se lever l'aube
grise la chape sur le sang séché
La noire barbarie s'est abattue
La Vie s'est arrêtée net
Des larmes des cris de peur d'horreur
Le silence m'assourdit


Je n'y vois que du gris

Gris ce petit con
grises les blessures infligées
à ton cœur pur petite princesse
gris ces gamins déboussolés
Violence absence de repères
Arrogance bestiale des mal-aimés
Domination ces morsures à l'âme
ces coups à l'autre portés
Hurlements de l'enfance confisquée


Je n'y vois que du gris

Et pourtant un matin gris
le soleil se lève le bleu resplendit
bleues tes caresses murmurées
bleu ton sourire de tendresse habillé
Ta main me conduit sur les sentiers
Empreintes chéries du passé
dans les pas des Hommes aimés
Compassion ou Amour fou
Mais surtout baisers sucrés dans le cou


© fRuban

5 décembre 2015

publié dans Chorégraphie de cendres (2017)
ene épingle à nourrice éditions





Lou Andréa Salomé, Correspondances (dont Rainer Maria Rilke)

photo du Net




13 novembre 1905

Chère Lou,

Cela me touche étrangement qu’il y ait maintenant une patrie autour de toi, une maison remplie de ta présence, un jardin qui vit de toi, un espace qui t’appartient ; oui, je comprends que tout cela ait été et n’ait pu qu’être lent à advenir : car ton univers exige la réalité et a la force de l’exiger ; le premier et lointain Loufried était presque comme un rêve, légèrement fragile et plein de choses anticipées ; mais il tenait à toi, et quand tu venais, la maison était grande et le jardin sans fin. C’est ce que j’éprouvais alors, et je sais aujourd’hui que c’est justement l’infinie réalité qui t’entourait qui constitua pour moi l’événement le plus profond de cette époque indiciblement bonne, grande et généreuse ; le processus de métamorphose qui s’empara alors de moi en mille endroits à la fois émanait de ton existence indiciblement réelle. Jamais, dans mes timides tâtonnements, je n’avais autant senti l’être, autant cru à la présence et autant admis l’avenir ; tu étais l’antithèse de tous les doutes et pour moi une preuve que tout ce que tu touches, atteins et regardes existe. Le monde perdit pour moi son caractère nébuleux, cette façon flottante de se former et de se décomposer qui fut la manière et la pauvreté de mes premiers vers ; des choses advinrent, des bêtes que l’on discernait, des fleurs qui existaient ; j’appris une simplicité, j’appris avec lenteur et difficulté que tout est simple, et j’acquis la maturité pour parler des choses simples.

Et tout cela se produisit parce qu’il m’a été accordé de te rencontrer à un moment pour la première fois je courais le danger de m’abandonner à l’informe. Et si ce danger ne cesse de revenir d’une façon ou d’une autre et sous une forme de plus en plus adulte, le souvenir de toi, la conscience de toi grandissent cependant en moi au point de devenir immenses. A Paris, pendant ces journées extrêmement difficiles où toutes les choses se retiraient de moi comme d’un homme devenant aveugle, où je tremblais de l’angoisse de ne plus reconnaitre le visage de mon prochain, je me raccrochais au fait que toi, je te reconnaissais encore en mon for intérieur, que ton image ne m’était pas devenue étrangère, qu’elle ne s’était pas éloignée comme tout le reste, mais se maintenait seule dans le vide étranger où j’étais contraint de vivre.

Et ici aussi, au milieu du déchirement avec lequel j’ai renoué, tu as été le lieu sûr auquel mon regard est resté fixé.

Je comprends si bien que les choses viennent à toi comme les oiseaux retournent au nid lointain quand le soir tombe. Mille lois, grandes et petites, se sont accomplies avec la maison qui s’est construite autour de toi. Je suis si heureux qu’elle existe, et j’ai l’impression que ses effets bienfaisants me parviennent jusqu’ici.

Mon combat, Lou, et mon péril consistent en ceci que je ne puis devenir réel, qu’il y a toujours des choses qui me nient, des événements qui me traversent, plus réels que moi, comme si je n’existais pas. Autrefois, j’ai cru qu’un mieux surgirait le jour où j’aurais une maison, une femme et un enfant, toutes choses réelles et irréfutables ; j’ai cru que cela me rendrait plus visible, plus tangible, plus concret. Tu vois, Westerwede existait, était réel : car j’ai construit moi-même la maison et tout fait à l’intérieur. Mais c’était une réalité en dehors de moi, je n’étais ni intégré à elle ni confondu avec elle. Et maintenant que cette petite maison avec ses belles chambres silencieuses n’existe plus, le fait de savoir qu’il existe encore un être lié à moi et quelque part un petit enfant qui n’a rien de plus proche dans la vie que cet être et moi – cela me donne sans doute une certaine sécurité et l’expérience de beaucoup de choses simples et profondes -, mais cela ne m’aide pas à parvenir à ce sentiment de réalité, à cette égalité de condition à laquelle j’aspire tant : être quelqu’un de réel au milieu du réel.

C’est seulement pendant mes journées de travail (fort rares) que je deviens réel, que j’existe, que j’occupe l’espace comme une chose, pesant, gisant, tombant, et puis une main vient me relever. Inséré dans l’édifice d’une grande réalité, j’ai alors le sentiment d’être un élément important, posé sur des fondations profondes, encadré à droite et à gauche par d’autres portants. Mais chaque fois, après ces moments d’insertion, je redeviens la pierre rejetée au loin, si inerte que l’herbe de l’inaction a le temps de pousser sur elle. Et le fait que ces moments de rejet ne se fassent pas plus rares, mais soient au contraire quasi constants, ne doit-il pas m’angoisser ? Si je gis ainsi, complètement enseveli, qui me retrouvera sous tout ce qui me recouvre ? Et n’est-il pas possible que je me sois depuis longtemps effrité, presque pareil à la terre, presque aplani, si bien qu’il y a toujours un morne chemin de traverse pour me passer dessus ?

Il y a donc constamment devant moi cette unique tâche à laquelle je ne m’attèle toujours pas, bien que je doive le faire : trouver le chemin, la possibilité d’une réalité quotidienne…

J’écris cela, chère Lou, comme dans un journal intime, tout cela parce que je ne peux pas écrire de lettre maintenant mais n’en suis pas moins désireux de te parler. J’ai presque perdu l’habitude d’écrire, aussi pardonne-moi si cette manière de lettre est détestable et désordonnée. Peut-être n’y voit-on même pas qu’elle est emplie de joie à la pensée de ta maison et y apporte mille voeux. Mille. Tous.

Rainer








mardi 1 décembre 2015

Lettre de Khalil Gibran à May Ziadah




Eloignés par le sort, lui aux Etats Unis, elle en Egypte, telles deux âmes soeurs dans la quête de la réalité ultime,
ils ne se rencontrèrent jamais, sauf en imagination et en rêve.Cette correspondance, de 1912 à 1931, jusqu'à la mort de Gibran, témoigne de l'amitié, puis de l'amour qu'ils se portèrent.


Voici une des lettres de cette union sacrée.

26 février 1924

Vous me dites que vous avez peur de l'amour ; pourquoi cela, ma tendre amie ? Avez-vous peur de la lumière du soleil ? Avez-vous peur du flux et du reflux de la mer ? Avez-vous peur du jour naissant ? Avez-vous peur du retour du printemps ? Je me demande pourquoi vous avez peur de l'amour ? Je sais que l'amour d'une âme basse ne peut vous satisfaire, tout comme je sais qu'il ne peut pas me plaire. Vous et moi ne saurons jamais satisfaire de ce qu'il y a de mesquin dans l'esprit. Nous voulons tout en quantité. Nous voulons tout avoir. Nous voulons la perfection. Je dis, Mary, que dans cette aspiration qui est la nôtre se trouve notre accomplissement, car si notre volonté n'était qu'une ombre parmi les innombrables ombres de Dieu, nul doute que nous atteindrions l'un des nombreux rayons de Sa lumière.

Oh ! Mary, n'ayez pas peur de l'amour ! N'ayez pas peur de l'amour, amie de mon cœur. Nous devrons nous soumettre à lui malgré ce qu'il peut nous apporter de souffrance, de désolation, de nostalgie, de perplexité et de confusion. Ecoutez, Mary : aujourd'hui, je suis dans une prison de désir, qui sont nés lorsque moi-même je suis venu au monde. Et aujourd'hui, je me trouve entravé par les chaînes d'une idée aussi vieille que les saisons de l'année. Pouvez-vous faire montre de mansuétude à mon égard, dans ma prison, afin que nous puissions émerger enfin à la lumière du soleil ? Resterez-vous près de moi jusqu'à ce que ces chaînes soient détruites et que nous puissions marcher librement et sans entraves jusqu'au sommet de la montagne ? Et maintenant, venez plus près, rapprochez votre front de moi - comme ceci, comme ceci, et que Dieu vous bénisse et vous protège, compagne bien-aimée de mon cœur.


http://eddenya.com/question-reponse/3695-lettre-de-khalil-gibran-a-may-ziadah-n-ayez-pas-peur-de-l-amour-amie-de-mon-coeur