mercredi 27 janvier 2016

Lettre d’Elie Wiesel à Maître Jakubowicz : « Une justice sans mémoire est une justice incomplète, fausse et injuste. »




Lettre d’Elie Wiesel à Maître Jakubowicz : « Une justice sans mémoire est une justice incomplète, fausse et injuste. »:

 Elie Wiesel (30 septembre 1928), écrivain juif américain, est un des rescapés du camp d'Auschwitz. Cette expérience traumatisante, il la mettra noir sur blanc dans son ouvrage La Nuit. Dans ce témoignage épistolaire délivré au cours du procès de Klaus Barbie en 1987, Elie Wiesel érige la Mémoire comme rempart face au crime absolu.


Maître,

Je souhaiterais vous exposer le sentiment que m’inspire le témoignage que vous m’avez demandé d’apporter au procès qui occupe actuellement la cour d’assises du Rhône.

Je m’efforcerai de parler de quelques absents anonymes, non pour eux. Nul n’a le droit de s’exprimer en leur nom. Si les morts ont quelque chose à dire, ils le diront à leur manière. Peut-être le disent-ils déjà. Sommes-nous capables, ou dignes, de les entendre ?

Puis-je préciser d’emblée que je n’éprouve à l’égard de l’accusé aucune haine? Je ne l’ai jamais rencontré ; nos routes ne se sont guère croisées. Mais j’ai rencontré des tueurs qui, comme lui, se voulaient ennemis de mon peuple et de l’humanité. Il se peut que j’aie connu l’une ou l’autre de ses victimes. Je leur ressemblais comme elles me ressemblaient : à l’intérieur du royaume de la malédiction, érigé par l’accusé et ses camarades, tous les détenus juifs, tous les juifs avaient le même visage, les mêmes yeux ; tous étaient voués au même destin.

Parfois, on a l’impression que c’était toujours le même juif qu’en tous lieux l’ennemi avait tué six millions de fois.

Non, il n’y a aucune haine en moi ; il n’y en a jamais eu. Il ne s’agit pas ici de haine ; il s’agit seulement de justice. Et de mémoire. Il s’agit de rendre justice à la mémoire.

Un souvenir : printemps 1944. Quelques jours avant la fête juive de Pentecôte-Shavouot. Il y a quarante-trois ans, presque jour pour jour. J’avais quinze ans et demi, mon fils va avoir quinze ans dans six jours.

Je vivais dans une petite ville juive enfouie dans les Carpathes où mon enfance, profondément religieuse, fut agitée par des songes et des prières messianiques. Loin de Jérusalem, je vivais pour Jérusalem ; et Jérusalem vivait en moi.

Bien que sous un régime fasciste, les juifs de Hongrie ne souffraient pas trop. Mes parents tenaient un commerce, mes trois soeurs allaient à l’école, le Shabbat nous enveloppait de sérénité… La guerre ? Elle courait vers sa fin. Les Alliés allaient débarquer dans un jour, dans une semaine. L’Armée rouge se trouvait à vingt ou trente kilomètres. Puis…

Les Allemands envahirent la Hongrie le 19 mars 1944. Dès lors, les événements se précipitèrent à un rythme qui ne nous donna pas de répit. Décrets et mesures antisémites se suivaient : interdiction de voyage, confiscation des biens, port de l’étoile jaune, le ghetto, les transports.

Nous assistâmes à un rétrécissement systématique de notre univers. Pour les juifs, le pays se limita à une ville, la ville à un quartier, le quartier à une rue, la rue à une chambre, la chambre à un wagon scellé traversant le paysage nocturne de Pologne.

Comme les enfants juifs d’Izieu, l’adolescent juif de ma ville arriva un après-midi à la gare d’Auschwitz. C’est quoi ? nous demandions-nous. Nul ne savait. Le nom n’évoquait aucun souvenir en nous. Le soir, peu avant minuit, le train se mit en marche. Une femme, dans notre wagon, se mit à cirer : je vois un feu, un feu ! On la fit taire. Je me souviens du silence dans le wagon. Comme je me souviens du reste. Les barbelés s’étirant à l’infini. Les hurlements des détenus chargés de notre « accueil », les coups de feu tirés par les SS, l’aboiement de leurs chiens. Et, au-dessus de nous tous, au-dessus de la planète, des flammes immenses s’élevant vers le ciel comme pour le dévorer… Depuis cette nuit-là, il m’arrive souvent de regarder le ciel et de le voir enflammé…

Mais cette nuit-là, je ne pus regarder le ciel longtemps. Trop occupé à m’accrocher aux miens. Un ordre retenti : « En rang, par familles. » C’est bien, pensai-je : nous resterons ensemble. Pour quelques minutes seulement : « Hommes à droite, femmes à gauche. », vint un nouvel ordre. Les coups pleuvaient de tous les côtés. Je n’ai pas pu dire au revoir à ma mère. Ni à ma grand-mère. Je n’ai pas pu embrasser ma petite soeur… Avec mes deux soeurs aînées, elles s’éloignaient, portées par la marée noire et affolée… Séparation qui coupa ma vie en deux. J’en parle rarement, presque jamais. Je ne peux évoquer ni ma mère, ni ma petite soeur… Pourtant, je sais… je sais tout… Non, pas tout… On ne peut pas tout savoir… Je pourrais imaginer, mais je me l’interdis. Il faut savoir quand s’arrêter… Mon regard s’arrête au seuil des chambres à gaz : même en pensée, je refuse de violer l’intimité des victimes, au moment de leur mort.

Ce que j’ai vu me suffit. J’ai vu, dans un petit bois, quelque part dans Birkenau, des enfants vivants que les SS jetaient dans les flammes… Parfois, je maudis mon regard… Il aurait dû me quitter sans jamais revenir… Il aurait dû rester avec les petits corps calcinés.

Depuis cette nuit, j’éprouve un amour profond et immense pour les vieillards et les enfants. Chaque vieillard me rappelle mon grand-père, ma grand-mère, chaque enfant me rapproche de ma petite soeur, la soeur des enfants juifs d’Izieu…

Pendant des nuits et des nuits, je ne cessais de me demander : que signifie donc tout cela ? Quel est le sens de cette entreprise meurtrière ? Elle fonctionnait à la perfection. Les tueurs tuaient, les victimes périssaient, le feu brûlait et tout un peuple assoiffé d’éternité devenait cendres, anéanti par une nation qui jusqu’alors, fut considérée comme la plus éduquée, la plus civilisée du monde… Diplômés des grandes universités, amateurs de musique et de peinture, des médecins, des avocats, des philosophes participaient à la Solution finale et se rendaient complices de la mort… Savants et ingénieurs inventaient des méthodes plus efficaces pour exterminer des masses de plus en plus denses en un temps record… Comment était-ce possible ?

Je ne connais pas la réponse.

Par son envergure, par son côté ontologique et par ses ambitions eschatologiques, cette tragédie défie et dépasse toutes les réponses. Si quelqu’un prétend en trouver une, elle ne peut qu’être fausse. Tant de deuils, tant d’agonies, tant de morts d’un côté, et une réponse de l’autre ? On ne comprend Auschwitz sans Dieu ni avec Dieu. On ne le conçoit sur le plan de l’homme ni du ciel. Pourquoi, chez l’ennemi, tant de haine à l’égard des enfants et des vieillards juifs ? Pourquoi cet acharnement contre un peuple dont la mémoire de souffrance est la plus ancienne du monde ?

A l’époque, il me semblait que le but de l’ennemi était de s’en prendre à Dieu lui-même, afin de le chasser de son trône céleste. Ainsi l’ennemi créa-t-il une société parallèle à la nôtre, un univers opposé au nôtre, avec ses fous et ses princes, ses lois et ses coutumes, ses prophètes et juges et,oui, un univers maudit et envoûté où l’on parlait une autre langue, où l’on annonçait une religion nouvelle : celle de la cruauté, une religion dominée par l’inhumain, une société qui évoluait de l’autre côté de la société, de l’autre côté de la vie, de l’autre côté de la mort peut-être, un univers où un petit morceau de pain valait toutes les théories, où un adolescent en uniforme détenait un pouvoir absolu sur mille et mille détenus, où les êtres humains semblaient appartenir à une espèce différente tremblant devant la mort qui avait les attributs de Dieu…

Juif, il m’est impossible de ne pas mettre l’accent sur l’épreuve de mon peuple pendant la tourmente. N’y voyez pas une intention de nier ou de minimiser les souffrances des populations occupées ou les supplices subis par nos camarades, nos amis chrétiens ou laïcs que l’ennemi commun punissait avec une impardonnable brutalité.

Nous leur portons affection et admiration. Comme s’ils étaient nos frères ? Ils sont nos frères. Juif, j’insiste là-dessus : toutes les victimes d’Hitler n’étaient pas juives, mais tous les juifs étaient des victimes. Pour la première fois, un peuple tout entier — du plus petit au plus grand, du plus riche au plus déshérité — fut condamné à l’anéantissement. Le déraciner, l’extraire de l’Histoire, le tuer dans la mémoire en tuant sa mémoire, tel fut le projet de l’ennemi. A Izieu, les enfants juifs jouaient et chantaient comme jouaient et chantaient les enfants juifs de ma ville : ils étaient morts déjà — on les voyait morts à Berlin — mais ils ne le savaient pas. Car être juif était un crime qui réclamait la peine capitale. Marqué, isolé, humilié, battu, affamé, torturé, le juif fut livré au bourreau non pour avoir proclamé une vérité quelconque, ni pour avoir adopté un comportement interdit ; le juif fut condamné à mort parce qu’il était né juif, parce qu’il portait en lui une mémoire juive.

Déclaré sous-homme, donc ne méritant ni compassion ni pitié, le juif était né que pour mourir — de même que le tueur était né pour tuer. Par conséquent, le tueur ne se sentait nullement coupable. Un chercheur américain l’a formulé ainsi : le tueur n’avait pas perdu le sens moral, mais celui du réel. Il pensait faire le bien en débarrassant la terre de ses « parasites » juifs.

Est-ce la raison pour laquelle Klaus Barbie, comme Adolf Eichman avant lui, ne se sent pas coupable ? A part Höss, le commandant d’Auschwitz, jugé et pendu en Pologne, aucun tueur ne s’est repenti — et pourtant, des tueurs, il y en avait. Il en fallait des bourreaux pour éliminer un million et demi d’enfants juifs ; il en fallait des tueurs pour anéantir quatre millions et demi de juifs adultes…

Auschwitz et Treblinka, Madjanek et Ponär, Belzec et Mauthausen, et tant d’autres, tant d’autres noms : partout c’est l’apocalypse. Partout, des cortèges muets se dirigent vers les fosses remplies de cadavres. Peu de larmes, de pleurs. D’apparence résignée, songeuses, les victimes semblent quitter le monde sans regret. Comme si ces hommes, ces femmes renonçaient à vivre dans une société défigurée, dénaturée par la haine et la violence.

Après la guerre, le survivant essaya de raconter, de témoigner. Mais qui pourrait trouver les mots pour dire l’indicible ?

Le silence recueilli des vieillards qui savaient, celui des enfants qui avaient peur de savoir… L’épouvante des mères devenues folles, la lucidité terrifiante des fous dans un monde délirant… Le chant grave d’un rabbi récitant le Kaddish, le murmure de ses disciples qui le suivent jusqu’au bout, jusqu’au ciel…

La petite fille si sage qui déshabille son frère plus jeune qu’elle… Elle lui dit de ne pas avoir peur ; non, il ne faut pas avoir peur de la mort… Peut-être disait-elle : il ne faut pas avoir peur des morts… Et, dans le cité, la grande et ancienne cité de Kiev, cette mère et ses deux enfants devant quelques soldats allemands qui rient… Ils lui prennent un enfant, le tuent devant ses yeux… Puis, ils s’emparent du second et le tuent aussi… Elle veut mourir, mais les tueurs préfèrent qu’elle reste vivante et habitée par la mort… Alors, elle saisit les deux petits corps, les serre sur sa poitrine et se met à danser… Comment décrire cette mère ? Comment raconter cette danse ? Il y a, dans cette tragédie, quelque chose qui fait plus que mal — et j’ignore ce que c’est.

Je sais qu’il nous faut parler. Je ne sais pas comment. Comme il s’agit d’un crime absolu, tout langage ne peut qu’être imparfait. D’où le sentiment d’impuissance chez le survivant. Il lui était plus facile de s’imaginer libre à Auschwitz qu’il serait pour un homme libre de s’imaginer prisonnier à Auscwhitz. Voilà le problème : qui n’a pas vécu l’événement, jamais ne le connaîtra. Et pourtant, le survivant est conscient de son devoir de témoigner. De raconter. De protester chaque fois qu’un chercheur quelconque, moralement pervers, ose nier la mort des morts. Et la véracité de leur mémoire transmise par les survivants.

Or, pour les survivants, il se fait tard. Leur nombre diminue. Il n’y en a plus beaucoup, il y en a de moins en moins. Ils se rencontrent de plus en plus aux enterrements. Peut-on mourir plus qu’une fois ? Oui, on peut. Le survivant meurt chaque fois que, en pensée, il rejoint les cortèges nocturnes qu’il n’a jamais vraiment quittés. Comment s’en détacher sans les trahir ? Longtemps, il leur parlait — comme je parle à ma mère et à ma petite soeur : je les vois encore s’éloigner sous le ciel embrasé… Je leur demande de me pardonner de ne les avoir pas suivies.

C’est pour les morts, mais aussi pour les survivants, et plus encore pour leurs enfants – et les vôtres – que ce procès est important ; il pèsera sur l’avenir.

Au nom de la justice ? Au nom de la mémoire. Une justice sans mémoire est une justice incomplète, fausse et injuste. L’oubli serait une injustice absolue au même titre que Auschwitz fut le crime absolu. L’oubli serait le triomphe définitif de l’ennemi.

C’est que l’ennemi tue deux fois. La seconde en essayant d’effacer les traces de son crime. C’est pourquoi il poussa son projet sanglant d’épouvante jusqu’aux limites du langage et bien au-delà, pour le situer trop loin, hors d’atteinte, hors de notre perception. « Même si tu survis, même si tu racontes, nul ne te croira », disait un SS à un jeune juif quelque part en Galicie.

Ce procès a déjà opposé un démenti à ce tueur. Les témoins ont parlé ; leur vérité a pénétré la conscience de l’humanité. Grâce à eux, les enfants juifs d’Izieu ne seront jamais oubliés.

Gardiens de leurs tombes invisibles, tombes de cendre incrustées dans un ciel de nuit et de brumes éternelles, il nous incombe de leur rester fidèles. C’est difficile, voire impossible, de les évoquer en paroles ? Il faut essayer. Refuser de parler, alors que la parole est attendue, serait reconnaître le triomphe ultime du désespoir.

« Tu cherches le feu ? disait un grand rabbi hassidique. Cherche-le dans la cendre. »

C’est ce que vous faites ici depuis le début de ce procès, c’est ce que nous avons tenté de faire depuis la Libération. Nous avons cherché, dans la cendre, une vérité pour affirmer — malgré tout — la dignité de l’homme ; elle n’existe que dans la mémoire.

Grâce à ce procès, les rescapés trouvent une justification à leur survie. Leur témoignage compte, leur mémoire fera partie de la mémoire collective. Bien sûr, rien ne pourrait ramener les morts à la vie. Mais grâce aux rencontres vécues dans l’enceinte de la cour d’assises, grâce aux paroles dites devant cette cour, l’accusé ne pourra pas tuer les morts à nouveau. S’il réussissait, ce ne serait pas sa faute, mais la nôtre.

Se déroulant sous le signe de la justice, ce procès doit faire honneur à la mémoire.


Elie Wiesel

mardi 26 janvier 2016

Ludovic Janvier, poète


Ludovic Janvier, romancier et essayiste disparu le 20 janvier 2016, fait entendre, en poésie, une voix qui ne se soucie d’aucune référence, d’aucune révérence : alliance d’un rythme affirmé, d’une rythmique, et d’une volonté de dire les éclats de mémoire, d’ironie, de fureur, les commotions soudaines. Sa parole ne craint ni la violence, ni la gouaille, ni la dérision froide, elle assemble une succession d’instants qui objectent, qui poussent au désespoir lucide, qui ne cherchent pas plus à adoucir le manque que les mœurs. L’impatience en est l’énergie première sans cesse convoquée et toujours insatisfaite.
Disparition de Ludovic Janvier
D'ascendance haïtienne et française, Ludovic Janvier est né à Paris en 1934. Le projet d'écrire est chez lui très ancien, il remonte à l'adolescence. Le trajet public commence par une réflexion sur le Nouveau Roman (Une parole exigeante, 1964) et surtout deux essais consacrés à l'œuvre de Samuel Beckett (Pour Samuel Beckett, 1966, et Beckett par lui-même, 1969) avec lequel il traduit de l'anglais D'un ouvrage abandonné (1967) et Watt (1968). En somme, une lente préface à la vie d'écrivain.
C'est avec La Baigneuse, roman  publié dans la collection « Le Chemin » en 1968, qu'il s'engage tout à fait dans l'écriture de la parole. S'ensuivront deux fictions cruciales, Naissance (1984) et Monstre, va (1988). Puis son goût pour l'écart et sa passion de l'instantané le conduisent vers le poème (La Mer à boire, 1987) et la nouvelle (Brèves d'amour, 1993-2002), deux formes plus fidèles à la vitesse de l'émotion. À partir de là, conscient d'écrire pour la voix et de situer son travail hors les genres, il continue son va-et-vient entre prose et poésie. Son dernier recueil,Apparitions, paraîtra en mars 2016 dans la collection « Blanche ».

À propos de Monstre,va, par Jacques Réda

« L'histoire est celle d'un fait divers sanglant qui pourra paraître ordinaire. Pour ma part, je dirais : classique. Non pas dans le sens devenu courant qui rejoint "habituel", mais en pensant au classicisme tragique qui, de Sophocle au boulevard du Crime, a le double mérite de nous faire dresser les cheveux sur la tête, et de nous désopiler l'âme et la rate par effet de catharsis. Ce qui se passe dans Monstre, va aurait pu se produire dans une petite cour antique étriquée, mais remplie à craquer de hantises et d'antagonismes, comme une cocotte-minute à l'échappement insuffisant. Un jour (on ne sait trop pourquoi celui-là plutôt qu'un autre), ça éclate. Ici, nous ne sommes pas en quelque Paphlagonie, mais dans la banlieue pavillonnaire de Paris. Cependant le triste héros de l'histoire est une sorte de potentat. Le roi en titre (son père) a pris le large sur l'immensité du Pont depuis longtemps. Donc lui, le fils, règne, exerçant certains droits imprescriptibles du potentat : s'il lui arrive de rôder dans son petit domaine, de lire, de songer à écrire et de s'étudier complaisamment (tous caractères qui ne suffiraient pas à le distinguer de l'humanité normale), principalement il ne fait rien. Il a pourtant déjà l'âge emblématique où l'on fixe Alexandre, ou bien Jésus, et sans doute une nostalgie de grands actes ennuage le fond trouble de son cœur. Mais il ne règne pas seul et c'est une des origines du drame. Sa mère a conservé la réalité du pouvoir. En abuse-t-elle ? Non et oui, compensant presque avec amour l'incurie du Prince, lequel en souffre nécessairement. C'est une souffrance chronique, avivée par les coups d'épingle que lui portent un geste, un regard, une réflexion. II suffira donc d'un prétexte infime, à peine un incident, pour que le monstre enfin se déclare, accomplisse la loi de son destin. [...]
Ce serait en somme une histoire d'une lugubre banalité, si le déroulement des faits et leurs motifs ne nous en étaient livrés à travers l'optique particulière et le monologue mental de l'assassin. Et de telle façon odieusement adroite qu'on s'en trouve à son tour comme possédé. Il devient aussi impossible de ne pas réprouver le bavard auteur du crime, que d'éviter d'entrer dans son jeu. Il fait rire. Et non seulement d'un rire de dérision ou de pitié (on n'en éprouve guère), mais de ce rire spontané qui entraîne, ou qu'entraînent, sympathie et participation. Nous sommes pris au piège. Et la moindre ironie du livre n'est pas de placer le lecteur dans cette situation infernale, où évolue comme un poisson dans l'eau un monstre candide et roué, un démon de deuxième ordre que sa casuistique préserve. Là-dessus, bien sûr, la psychologie aurait à dire son mot. Elle se contenterait d'immature, par exemple, ou de pervers. Mais Monstre, va n'est pas un ouvrage d'analyse. C'est plutôt une étude de voix, où tout est calculé pour que cette voix enveloppe et envahisse, avec l'allégresse un peu faraude d'un boniment. Autant que par les termes de son discours, où fusent constamment des incidentes qui déconcertent par un surcroît de justesse de ton, elle agit par l'efficacité de ses ruptures de rythme, ses déplacements d'intonation. On pourrait aussi bien parler d'une danse verbale, que l'infâme et brillant soliste règle à sa guise pour s'étourdir et fasciner, sans qu'un instant la cohésion de son numéro en souffre. Ici et là, pourtant, on croit discerner les fils qui animent la marionnette, le bout du nez de l'autre auteur du livre – celui qui le signe, le ventriloque virtuose qui fait : Coucou ! Voilà, du moins, qui nous libère. Et permet d'attirer l'attention sur un aspect plus  symbolique de ce roman, sans y mettre d'insistance. Car il paraît constitutif de toute entreprise littéraire, même si le sujet n'en est pas toujours un crime de cette nature : écrire n'est pas innocent. »
Jacques Réda, La NRF n° 422, mars 1988


Son oeuvre, parution NRF
Bibliographie :

Une parole exigeante, essai, Éditions de Minuit, 1964
La baigneuse, roman, Gallimard 1968
Beckett par lui-même, Éditions du Seuil, essai, 1969
Face, récit, Gallimard, 1975
Naissance, roman, Gallimard, 1984
La mer à boire, poèmes, Gallimard 1987
Monstre, va, roman, Gallimard, 1988
Entre jour et sommeil, poèmes, Seghers, 1992
Brèves d’amour, nouvelles, Gallimard, 1993
En mémoire du lit, Brèves d’amour 2, nouvelles, Gallimard, 1996 (Bourse Goncourt de la nouvelle 1996)
Pour Samuel Beckett, essai, Éditions de Minuit, 1996
Bientôt le soleil, sur Pierre Bonnard, Éditions Flohic, 1998
Doucement avec l’ange, poèmes, 2001 (Prix Charles Vildrac, 2001, SGDL)
Tue-le, Voix, Gallimard 2002
Bon d’accord allez je reste, Éditions Inventaire/Invention, 2003
Des rivières plein la voix, promenade, Gallimard 2004
Encore un coup au cœur, Brèves d’amour 3, nouvelles, Gallimard, 2002
La Mer à boire, Poésie / Gallimard, 2006


On quittera toujours la mer à reculons
c’est toujours le même regret
c’est la même lenteur debout
qui vous déchire d’avec le pays
chaque adieu vous retourne infiniment
chaque pas qu’on pose hors de l’eau
veut creuser jusqu’à l’eau encore


Ludovic Janvier
in,  La Mer à boire
 Gallimard- Collection Poésie p 70
 Préface de Chantal Thomas.



Neige

Neige dehors neige dedans
neige lente sur les frissons
neige noire à crever les yeux
pas un humain qui vous réponde
il doit leur neiger sur la voix
est-ce que tout le monde est mort
est-ce que je suis le dernier vivant
enfoui sous quelques flocons de rien
(posant le rien tout autour je veux dire)
corrompu jusqu’à l’os par le deuil et le froid
car il neige à n’en plus finir
de plein fouet sur le chagrin
comme autrefois doucement sans pardon
neige légère à serrer le cœur
neige lourde à tuer le temps
c’est bien l’éternité comme prévu
qui précipite exactement sur moi
c’est tout simple il ne fallait pas naître

Ludovic Janvier
in, La mer à boire, Gallimard.



Ludovic Janvier, né à Paris en 1934 et mort le 20 janvier 2016 à Paris, est un romancier, essayiste, nouvelliste et poète français. Il est le petit-fils de l'écrivain et homme politique haïtien Louis-Joseph Janvier.


Tue-le!

Écrite en mémoire de la "voix dedans et parfaite", l'oeuvre de Ludovic Janvier raconte l'obstination d'un écrivain à fuir la condamnation du silence. 
Deux livres réaffirment la singularité du timbre de cet auteur exigeant.

Comment dire? Sur quel ton? À travers quelle voix? Depuis la publication en 1964 de son essai sur le Nouveau Roman, Une parole exigeante (Minuit), Ludovic Janvier réitère ses sommations au silence. Convaincu que l'écriture est la perpétuelle tentation d'apaiser l'"infinie fringale de nommer", il s'inflige le désespérant et indispensable devoir du discours. Opiniâtre, il s'obstine à croire aux mots et s'acharne à combler, par le goutte-à-goutte de la "parole sablier", ce manque que tout propos porte forcément en lui.
"Jamais les humains ne supporteront qu'il n'y ait pas de mots", écrit-il dans l'un de ses textes. Romancier, essayiste, poète et nouvelliste, Ludovic Janvier est avant tout l'écrivain public d'une "armée d'ombres aspirant au repos, le repos d'avoir été dit". Réquisitionnées par la fiction, apostrophées par l'écriture, rétablies dans leurs singularités lors de monologues et de soliloques, ces ombres vibrent dans tous ses ouvrages, et notamment dans ses deux nouveaux recueils de nouvelles Tue-le! et Encore un coup au coeur. "Écouteur", Ludovic Janvier se révèle à travers la voix de l'autre. À travers toutes ces voix qui occupent, sans la saturer, la portée qui préside à la musique de ses livres, harmonieuse, fragile et douce. Des voix aux multiples timbres pour s'écouter soi. Des incarnations pour s'observer du dehors. "Vous n'avez sans doute devant vous que le fantôme de Ludovic Janvier, ne soyez pas déçu par mon air égaré!", prévient l'écrivain avant de se soumettre à un entretien qui s'achèvera, forcément, par l'évidence de l'impossible à dire. "Dans un texte, Pied à pied, je me suis moqué des interviews! Je me suis amusé à parodier les deux instances en présence lors d'une entrevue : qui veut savoir quoi... et qui répond à côté de la plaque!" Jamais le silence, toujours la parole.

Commençons par un contre-pied... Dans l'un de vos textes, "La passe!", vous célébrez le souvenir d'un jeune ami footballeur, virtuose du dribble. Vous révélez avoir reçu le "baptême de la pensée" de ce "Fregoli des espaces"! Même en cette période de Coupe du Monde de football, l'éloge n'est-il pas excessif?
Non! Il y a comme une écriture qui se déploie sur la pelouse d'un stade. Le Marocain Ben Barek était un dentellier sublime. Les Hollandais Johan Cruyff et Marco Van Basten, et bien sûr Michel Platini, ont connu eux aussi ces moments de grâce. Certains joueurs semblent réfléchir balle au pied, comme s'ils aiguillonnaient une idée de la pointe de leurs chaussures. Lorsqu'ils filent en direction de l'aile, avec cette réflexion au bout de leurs crampons, les attaquants écrivent une page. Quand ils centrent en retrait, après avoir réussi un débordement, ils me donnent l'impression de dessiner une espèce de paraphe que le but achève en apposant sa signature... Le jeune Landrau, le footballeur évoqué dans "La passe!" a réellement existé : on aurait dit qu'il griffonnait quelque chose dans son couloir, qu'il s'en allait mûrir un proverbe dans cette marge. J'aime le football, même si le rugby procure peut-être des émotions plus intenses : en 1973, j'ai pleuré à un match entre les All Blacks et les Barbarians anglais. L'un de mes poèmes, C'est pas Mozart que je regrette, porte la marque de cette rencontre inouïe.
Revenons sur le terrain de la littérature. Deux ouvrages paraissent, Encore un coup au coeur et Tue-le!. L'un semble dévolu à la vocalité, l'autre à une rêverie plus narrative. Estimez-vous qu'ils possèdent chacun leur propre tonalité?
Ma première idée était de réunir tous ces textes dans un seul volume. Je me suis rapidement aperçu que ce livre unique aurait été trop composite. Rédigés au fil des ans, ces récits s'inscrivent effectivement dans deux courants : les textes de Tue-le! sont affiliés au monologue et au soliloque, ceux de l'ouvrage Encore un coup au coeur expriment davantage une envie "d'entendre des voix". Il m'a donc semblé légitime d'élaborer deux volumes, dotés de couleurs distinctes. Je ne sais pas pourquoi certaines choses me viennent habillées théâtralement et d'autres vêtues de façon plus narrative, plus descriptive. Je n'ai pas la clef de ce mystère. Je ressens autant le besoin d'être à l'écoute d'une voix que de raconter des histoires. Au fond, tout cela se ressemble un peu : la narration classique, le récit discursif à l'apparence de soliloque ou encore la poésie, ce petit bloc cristallisé autour d'un instant... Adieu les genres! Comme disait Mallarmé, tout est poème. Dès lors que l'on travaille le rythme, il n'y a pas de prose. Et je suis un rythmicien enragé...
La musique semble de plus en plus présente dans vos écrits...
C'est vrai. Elle est de plus en plus présente, mais comme un arrière-pays, comme un appel. La musique divulgue un horizon parfait que la parole tente d'atteindre. Mallarmé a très bien perçu que si la musique était cet absolu, nous lui étions pourtant supérieurs par la parole. Le musical et le vocal sont engagés dans un dialogue à la fois désespérant et encourageant. J'écris avec la volonté absolue de faire du rythme. Le peintre Ingres suggérait que le dessin était "la probité de la peinture". J'ai envie de le paraphraser en disant que la vocalité est la probité de l'écriture.
Chacun de vos textes paraît être une folle tentative pour répondre à l'impossible à dire. Est-ce ainsi que vous envisagez la littérature?
Dans son Tractacus logicophilosophicus, publié en 1921, Ludwig Josef Wittgenstein a écrit : "Ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire". C'est exactement le contraire! La parole est faite de ce dont on ne peut pas parler. L'envie d'exprimer est faite du désarroi de ne jamais pouvoir dire. Je ressens ce désir irrépressible de nommer l'innommable. Dès qu'il y a un enjeu, enjeu de se taire ou de répondre, je tombe du côté de la réponse à l'émotion. Je ne peux pas garder le silence. En ce sens, l'écriture est peut-être une réponse à la mer depuis le premier mot; la mer est sans doute la seule grande figure de l'infini, de l'infini en mouvement. Je veux répondre à ce silence qui me prend lorsque je contemple un tableau de Cézanne ou que j'écoute un prélude de Chopin.
La fréquentation de Samuel Beckett, et notamment de son livre L'Innommable, paru en 1953, m'a encouragé dans cette entreprise accablante et nécessaire : "Cependant je suis obligé de parler. Je ne me tairai jamais. Jamais", écrit-il. L'Innommable m'a fait pleurer quand je l'ai lu. En travaillant sur l'oeuvre de Beckett1, j'ai oeuvré à mes soubassements. Sans le savoir, j'étais dans ma cave. Quelque chose en moi demandait à venir. J'ai été encouragé par son exemple, même si Sam était neutre et muet sur vos créations. Il ne disait jamais ce qu'il pensait de vos écrits. Après ce trajet périphérique, je n'ai plus pensé qu'à mes propres vocalises. Ce que j'écris, je crois, ressemble de plus en plus à ce que je voudrais écrire... mais évidemment je ne sais pas ce que je voudrais écrire.
Vous avez écrit : "Quelle idée de demander ses raisons à la musique!" N'est-il pas tout aussi vain de demander ses raisons à l'écriture?
On ne peut pas demander ses raisons à la musique, et encore moins à la parole. Comme l'a bien compris Beckett, c'est l'épuisement même de demander ses raisons à la parole. Laissons tomber le désespérant creusement de la parole par elle-même... Creusons plutôt le lit de Procuste dans lequel nous sommes allongés, ce lit inadéquat, jamais à votre taille, jamais à la bonne mesure! Ce lit dans lequel nous nous débattons et qui constitue le logis de la langue. Nous sommes dans le langage comme dans une habitation aux dimensions inappropriées.
Recourir à des voix multiples et singulières, comme vous le faites dans vos récits, n'est-ce pas une façon de trouver la bonne distance... et d'éviter de choisir entre le "trop près" du "tu", le "trop loin" du "on" et le "trop dehors" du "il"?
C'est exactement cela. Carlo Emilio Gadda, le romancier italien de L'Affreux Pastis de la rue des Merles, édité en 1957, estimait que les pronoms étaient les "poux du langage". Je souscris à cette affirmation. L'autofiction est une blague! L'hétérofiction est une blague! L'allofiction aussi! Tout cela, c'est de la blague... Faire parler une voix, ou être à l'écoute de cette voix, permet d'éluder cette question traditionnelle de la position du narrateur par rapport à l'instance pronominale qu'il couche, plus ou moins voilée, sur le papier. Faire parler l'autre, voilà la grande affaire. Je, tu, il, nous, vous... De la blague! Avec un pronom, quel qu'il soit, "on" n'est jamais là.
Parfois, pourtant, certains personnages s'adressent brusquement au narrateur. Ils invoquent un écrivain quelquefois prénommé Ludovic et lui demandent de leur "arranger les phrases"... Est-ce une manière de dire que "vous" êtes quand même là?
Oui, ces petits coups de présence apparaissaient déjà dans le roman Monstre, va (ndlr, dans ce roman, paru chez Gallimard en 1988, le meurtrier s'appelait d'ailleurs Ludovic...). Ce n'est pas de la coquetterie, c'est une envie de me mettre un peu en jeu, de m'exposer, de passer plus ou moins déguisé dans mes textes... comme Alfred Hitchcock traversait ses films.
Un ancien boxeur devenu clochard, une femme à moitié folle dans un asile, un infirmier psychopathe... Vous rentrez dans tous ces personnages, aussi différents qu'ils puissent être, avec une déconcertante facilité.
C'est encore plus que cela! J'ai de plus en plus l'impression de m'installer avec écoute et bagages dans une situation, un personnage, une voix : je joue l'écouteur. Est-ce de l'hystérie? Du fantasme? Du théâtre plus ou moins bien interprété? C'est un mystère pour moi. Peut-être que je n'habite pas très bien en moi. Peut-être ne suis-je pas très bien logé... Je suis certainement un locataire incrédule de moi-même, et ce détour par l'autre me procure sans doute une étrange assurance. J'avais besoin de ce non moi très tôt, certainement dès le début, mais j'ai oublié cette envie pour ne la retrouver qu'après un énorme détour. Le plus étrange, c'est que ce plongeon dans l'autre a commencé avec mon roman Naissance, édité en 1984, et qu'il s'agissait d'une voix de femme... Il y a beaucoup de voix de femmes dans mes livres... Pour les hommes, la femme est l'autre absolu. En somme, on pourrait dire que je veux de l'autre, que je m'envoie en l'air sous les espèces de l'autre... Bref. Ne psychiatrisons pas! Et puis j'ai mes saints patrons, c'est rassurant. Dans Ulysse, le livre apparemment le plus viril, le récit culbute lorsque James Joyce passe soudain au suave monologue de Molly. N'oublions pas non plus Jules Michelet, auteur de cette phrase : "J'ai les deux sexes de l'esprit".
L'humour est inséparable de cette démarche...
Dès qu'un propos se présente, la dérision s'en mêle. L'écrivain à la voix profonde et grave -et Dieu sait qu'il y en a dans nos régions!- me fait m'esclaffer. Il s'agit peut-être d'une précaution, d'une mise à distance pour ne pas sombrer dans la cruauté et le sentimentalisme qui me guettent à tout instant. En tout cas, c'est un réflexe. Un réflexe interne à l'acte d'écrire, un peu comme la tentation du trop, du trop dire.
L'ironie et le sarcasme expriment ma méfiance envers la foi et la croyance. Je me méfie du bien dire, du prêchi-prêcha, de la croyance mythifiante. J'aime le court-circuit, l'étincelle critique et parfois cocasse. J'aime l'inattendu d'une confrontation entre deux mondes, entre deux couleurs. C'est pourquoi dans la poésie que j'écris, à l'étonnement de certains, je moque. En plein jouir, ou en plein dithyrambe, j'introduis un son faux, une fêlure. Ça me fait du bien quand j'écris, ça me soulage, ça me prévient du risque de sombrer dans l'unicolore, la monotonie ou le prosélytisme. C'est cela, le monde. Le chaos de la contradiction. Le sérieux m'ennuie.
L'ennui, justement. "C'est depuis ce plus rien de l'ennui, écrivez-vous, que la parole fait perler le mot inattendu". Est-il réellement à la source de l'écriture?
L'écriture est l'enfant de l'ennui. Quand on ne s'ennuie pas, on n'a pas envie d'écrire. Pour écrire, il faut que le temps brusquement s'ouvre et que quelque chose de l'intérêt pour le monde cesse. La parole s'installe dans cet ennui qui est tout à la fois le temps qui ne passe pas et le regret du monde.
Vous vous ennuyez beaucoup actuellement?
Ah... J'ai en chantier des poèmes et une prose un petit peu délirante, un "prose balai" qui récapitule et donne son sens à toutes mes poussières de littérature. Une prose ramasse-miettes!

Ludovic Janvier
Encore un coup au coeur
Gallimard
188 pages, 14,90 euros
Tue-le!
Gallimard (L'arbalète)
200 pages, 16 euros


© Le Matricule des Anges et ses rédacteurs

Pascal Paillardet


Article paru dans le N° 039
Juin-août 2002
par Pascal Paillardet