samedi 31 mai 2014

Va pensiero... Nabucco ( Verdi ), dirigé par Riccardo Muti

























À la 7e minute: Encouragé à bisser le célèbre chœur Va pensiero, Riccardo Muti prend la défense du budget de la Culture italien menacé de coupes sombres... Il invite les spectateurs du Teatro dell'Opera di Roma à entonner l'air patriotique avec les choristes présents sur scène.

— Viva Italia!
— Sí, io sono d'accordo sul «Viva l'Italia», solamente... Io non ho trent'anni e quindi la mia vita l'ho fatta. Ma sono molto, come italiano, che gira il mondo, molto addolorato per quello che sta avvenendo. Quindi se io rifaccio, per vostra richiesta, il bis del «Va pensiero» non lo faccio tanto, o solo per ragioni patriotiche... Ma in questa sera, mentre il coro cantava «Oh mia patria, sí bella e perduta», ho pensato che se noi uccidiamo la cultura su cui è fondata la soglia dell'Italia, veramente sarà la nostra Patria bella e perduta.
Tanto, siccome siamo in un clima molto italico, e molto spesso Muti ha parlato ai sordi, per tanti anni... Vorrei, facciamo l'eccezione: siamo in casa nostra, nel teatro della capitale... Siccome il coro l'ha cantato magnificamente, l'orchestra accompagnato benissimo: se volete unirvi anche voi, lo facciamo tutti insieme.
A tempo però!

— Vive l'Italie!
— Oui, je suis d'accord sur le «Vive l'Italie», seulement... Je n'ai plus trente ans et donc ma vie est faite. Mais, en tant qu'Italien, qui parcourt le monde, je suis très peiné par ce qui est en train de se passer. C'est pourquoi si, à votre demande, je bisse le «Va pensiero», je ne le fais pas tellement, ou uniquement pour des raisons patriotiques... Mais ce soir, tandis que le chœur chantait «Oh ma patrie, si belle et perdue» j'ai pensé que si nous tuons la culture sur laquelle reposent les fondements de l'Italie, notre Patrie, véritablement, sera belle et bien perdue.
À la rigueur, vu que nous sommes dans un climat très italique, et que très souvent Muti* s'est adressé à des sourds, durant de longues années... Je voudrais, faisons une exception: nous sommes ici chez nous, dans le théâtre de la capitale... Comme le chœur l'a chanté magnifiquement et que l'orchestre l'a très bien accompagné: si vous voulez vous aussi vous joindre à nous, faisons-le tous ensemble.
Mais en mesure!

* muto signifie «muet».











vendredi 30 mai 2014

Hirondelle ( Louise Michel )

Hirondelle qui viens de la nue orageuse
Hirondelle fidèle, où vas-tu ? dis-le-moi.
Quelle brise t’emporte, errante voyageuse ?
Écoute, je voudrais m’en aller avec toi,

Bien loin, bien loin d’ici, vers d’immenses rivages,
Vers de grands rochers nus, des grèves, des déserts,
Dans l’inconnu muet, ou bien vers d’autres âges,
Vers les astres errants qui roulent dans les airs.

Ah ! laisse-moi pleurer, pleurer, quand de tes ailes
Tu rases l’herbe verte et qu’aux profonds concerts
Des forêts et des vents tu réponds des tourelles,
Avec ta rauque voix, mon doux oiseau des mers.

Hirondelle aux yeux noirs, hirondelle, je t’aime !
Je ne sais quel écho par toi m’est apporté
Des rivages lointains ; pour vivre, loi suprême,
Il me faut, comme à toi, l’air et la liberté.

Louise Michel

Chansons d’oiseaux, I
avril 1861
La Légende républicaine (1861-1870)

crédit photo F.R

jeudi 29 mai 2014

La Poésie est une arme chargée de futur ( Gabriel Celaya )




Quand plus rien de personnellement exaltant n'est attendu,
Plus on palpite et plus on est proche de la conscience,
Existant comme un fauve, aveuglement affirmé,
Comme un pouls qui frappe les ténèbres,
 
Quand on regarde en face
Les vertigineux yeux clairs de la mort,
On dit les vérités:
Les barbares, les terribles, les amoureuses cruautés.
 
On dit les poèmes
Qui élargissent les poumons de tous ceux qui,
Asphyxiés,
Demandent à être, demandent du rythme,
Demandent des lois pour ce qu'ils éprouvent
d'excessif.
 
Avec la vitesse de l'instinct,
avec l'éclair du prodige,
comme une évidence magique, ce qui est réel nous
Transforme
En ce qui est identique à lui-même.
 
Poésie pour le pauvre, poésie nécessaire
Comme le pain de chaque jour,
Comme l'air que nous exigeons treize fois par minute,
Pour être et tant que nous sommes donner un oui qui
Nous glorifie.
 
Parce que nous vivons par à-coups, parce que c'est à
Peine s'ils nous laissent
Dire que nous sommes ceux que nous sommes
Nos chants ne peuvent être, sans péché, un ornement,
Nous touchons le fond.
 
Je maudis la poésie conçue comme un luxe
Culturel par ceux qui sont neutres
Ceux qui, en se lavant les mains, se désintéressent et
S'évadent.
Je maudis la poésie de celui qui ne prend pas parti
Jusqu'à la souillure.
 
Je fais miennes les fautes. Je sens en moi tous ceux
Qui souffrent
Et je chante en respirant.
Je chante, et je chante, et en chantant par delà mes
Peines
Personnelles, je m'élargis.
 
J'aimerais vous donner la vie , provoquer de nouveaux
Actes,
Et je calcule en conséquence, avec technique, ce que
Je peux faire.
Je me sens un ingénieur du vers et un ouvrier
Qui travaille avec d'autres l'Espagne dans ses aciers.
 
Telle est ma poésie:poésie-outil
A la fois battement du coeur de l'unanime et aveugle
Telle est, une arme chargée de futur expansif
Avec laquelle je vise ta poitrine.
 
Ce n'est pas une poésie pensée goutte à goutte.
Ce n'est pas un beau produit. Ce n'est pas un fruit
Parfait. C'est similaire à l'air que nous respirons tous.
Et c'est le chant qui donne de l'espace à tout ce que
Nous portons en nous.
 
Ce sont des mots que nous répétons en les sentant
Nôtres, et ils volent. Ils sont plus que ce qu'ils nomment.
Ils sont le plus nécessaire: ce qui n'a pas de nom.
Ce sont des cris au ciel, et sur terre ce sont les actes.

Gabriel Celaya
 

 

Préface de" Poéte... vos papiers "( Léo Ferré - 1956 ) suivie de la lettre à André Breton

La version intégrale de "Préface" qui a été écrite après que Léo se soit brouillé avec André Breton qui justement devait écrire la préface du livre de Léo Ferré "Poéte vos papiers"(en folio n°926).

Préface de "Poète... vos papiers!", 1956 (Léo Ferré) suivie de la lettre à André Breton

La poésie contemporaine ne chante plus. Elle rampe. Elle a cependant le privilège de la distinction, elle ne fréquente pas les mots mal famés, elle les ignore. Cela arrange bien des esthètes que François Villon ait été un voyou. On ne prend les mots qu'avec des gants: à "menstruel" on préfère "périodique", et l'on va répétant qu'il est des termes médicaux qui ne doivent pas sortir des laboratoires ou du codex. Le snobisme scolaire qui consiste à n'employer en poésie que certains mots déterminés, à la priver de certains autres, qu'ils soient techniques, médicaux, populaires ou argotiques, me fait penser au prestige du rince-doigts et du baise-main. Ce n'est pas le rince-doigts qui fait les mains propres ni le baise-main qui fait la tendresse. Ce n'est pas le mot qui fait la poésie, c'est la poésie qui illustre le mot.

L'alexandrin est un moule à pieds. On n'admet pas qu'il soit mal chaussé, traînant dans la rue des semelles ajourées de musique. La poésie contemporaine qui fait de la prose en le sachant, brandit le spectre de l'alexandrin comme une forme pressurée et intouchable. Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir s'ils ont leur compte de pieds ne sont pas des poètes: ce sont des dactylographes. Le vers est musique; le vers sans musique est littérature. Le poème en prose c'est de la prose poétique. Le vers libre n'est plus le vers puisque le propre du vers est de n'être point libre. La syntaxe du vers est une syntaxe harmonique - toutes licences comprises. Il n'y a point de fautes d'harmonie en art; il n'y a que des fautes de goût. L'harmonie peut s'apprendre à l'école. Le goût est le sourire de l'âme; il y a des âmes qui ont un vilain rictus, c'est ce qui fait le mauvais goût. Le Concerto de Bela Bartok vaut celui de Beethoven. Qu'importe si l'alexandrin de Bartok a les pieds mal chaussés, puisqu'il nous traîne dans les étoiles! La Lumière d'où qu'elle vienne EST la Lumière...En France, la poésie est concentrationnaire. Elle n'a d'yeux que pour les fleurs; le contexte d'humus et de fermentation qui fait la vie n'est pas dans le texte. On a rogné les ailes à l'albatros en lui laissant juste ce qu'il faut de moignons pour s'ébattre dans la basse-cour littéraire. Le poète est devenu son propre réducteur d'ailes, il s'habille en confection avec du kapok dans le style et de la fibranne dans l'idée, il habite le palier au-dessus du reportage hebdomadaire. Il n'y a plus rien à attendre du poète muselé, accroupi et content dans notre monde, il n'y a plus rien à espérer de l'homme parqué, fiché et souriant à l'aventure du vedettariat.Le poète d'aujourd'hui doit être d'une caste, d'un parti ou du Tout-Paris.Le poète qui ne se soumet pas est un homme mutilé. Enfin, pour être poète, je veux dire reconnu, il faut "aller à la ligne". Le poète n'a plus rien à dire, il s'est lui-même sabordé depuis qu'il a soumis le vers français aux diktats de l'hermétisme et de l'écriture dite "automatique". L'écriture automatique ne donne pas le talent. Le poète automatique est devenu un cruciverbiste dont le chemin de croix est un damier avec des chicanes et des clôtures: le five o'clock de l'abstraction collective.La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie; elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche. Il faut que l'œil écoute le chant de l'imprimerie, il faut qu'il en soit de la poésie lue comme de la lecture des sous-titres sur une bande filmée: le vers écrit ne doit être que la version originale d'une photographie, d'un tableau, d'une sculpture.Dès que le vers est libre, l'œil est égaré, il ne lit plus qu'à plat; le relief est absent comme est absente la musique. "Enfin Malherbe vint..." et Boileau avec lui... et toutes les écoles, et toutes les communautés, et tous les phalanstères de l'imbécillité! L'embrigadement est un signe des temps, de notre temps. Les hommes qui pensent en rond ont les idées courbes. Les sociétés littéraires sont encore la Société. La pensée mise en commun est une pensée commune. Du jour où l'abstraction, voire l'arbitraire, a remplacé la sensibilité, de ce jour-là date, non pas la décadence qui est encore de l'amour, mais la faillite de l'Art. Les poètes, exsangues, n'ont plus que du papier chiffon, les musiciens que des portées vides ou dodécaphoniques - ce qui revient au même, les peintres du fusain à bille. L'art abstrait est une ordure magique où viennent picorer les amateurs de salons louches qui ne reconnaîtront jamais Van Gogh dans la rue... Car enfin, le divin Mozart n'est divin qu'en ce bicentenaire!Mozart est mort seul, accompagné à la fosse commune par un chien et des fantômes. Qu'importe! Aujourd'hui le catalogue Koechel est devenu le Bottin de tout musicologue qui a fait au moins une fois le voyage à Salzbourg! L'art est anonyme et n'aspire qu'à se dépouiller de ses contacts charnels. L'art n'est pas un bureau d'anthropométrie. Les tables des matières ne s'embarrassent jamais de fiches signalétiques... On sait que Renoir avait les doigts crochus de rhumatismes, que Beethoven était sourd, que Ravel avait une tumeur qui lui suça d'un coup toute sa musique, qu'il fallut quêter pour enterrer Bela Bartok, on sait que Rutebeuf avait faim, que Villon volait pour manger, que Baudelaire eut de lancinants soucis de blanchisseuse: cela ne représente rien qui ne soit qu'anecdotique. La lumière ne se fait que sur les tombes.Avec nos avions qui dament le pion au soleil, avec nos magnétophones qui se souviennent de "ces voix qui se sont tues", avec nos âmes en rade au milieu des rues, nous sommes au bord du vide, ficelés dans nos paquets de viande, à regarder passer les révolutions. Le seul droit qui reste à la poésie est de faire parler les pierres, frémir les drapeaux malades, s'accoupler les pensées secrètes.Nous vivons une époque épique qui a commencé avec la machine à vapeur et qui se termine par la désintégration de l'atome. L'énergie enfermée dans la formule relativiste nous donnera demain la salle de bains portative et une monnaie à piles qui reléguera l'or dans la mémoire des westerns... La poésie devra-t-elle s'alimenter aux accumulateurs nucléaires et mettre l'âme humaine et son désarroi dans un herbier?Nous vivons une époque épique et nous n'avons plus rien d'épique. A New York le dentifrice chlorophylle fait un pâté de néon dans la forêt des gratte-ciel. On vend la musique comme on vend le savon à barbe. Le progrès, c'est la culture en pilules. Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu'à en trouver la formule. Tout est prêt: les capitaux, la publicité, la clientèle. Qui donc inventera le désespoir?Dans notre siècle il faut être médiocre, c'est la seule chance qu'on ait de ne point gêner autrui. L'artiste est à descendre, sans délai, comme un oiseau perdu le premier jour de la chasse. Il n'y a plus de chasse gardée, tous les jours sont bons. Aucune complaisance, la société se défend. Il faut s'appeler Claudel ou Jean de Létraz, il faut être incompréhensible ou vulgaire, lyrique ou populaire, il n'y a pas de milieu, il n'y a que des variantes. Dès qu'une idée saine voit le jour, elle est aussitôt happée et mise en compote, et son auteur est traité d'anarchiste.Divine Anarchie, adorable Anarchie, tu n'es pas un système, un parti, une référence, mais un état d'âme. Tu es la seule invention de l'homme, et sa solitude, et ce qui lui reste de liberté. Tu es l'avoine du poète.A vos plumes poètes, la poésie crie au secours, le mot Anarchie est inscrit sur le front de ses anges noirs; ne leur coupez pas les ailes! La violence est l'apanage du muscle, les oiseaux dans leurs cris de détresse empruntent à la violence musicale. Les plus beaux chants sont des chants de revendication. Le vers doit faire l'amour dans la tête des populations. A l'école de la poésie, on n'apprend pas: on se bat.Place à la poésie, hommes traqués! Mettez des tapis sous ses pas meurtris, accordez vos cordes cassées à son diapason lunaire, donnez-lui un bol de riz, un verre d'eau, un sourire, ouvrez les portes sur ce no man's land où les chiens n'ont plus de muselière, les chevaux de licol, ni les hommes de salaires.N'oubliez jamais que le rire n'est pas le propre de l'homme, mais qu'il est le propre de la Société. L'homme seul ne rit pas; il lui arrive quelquefois de pleurer.N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres.Je voudrais que ces quelques vers constituent un manifeste du désespoir, je voudrais que ces quelques vers constituent pour les hommes libres qui demeurent mes frères un manifeste de l'espoir.

Voici la lettre de Léo pour André Breton
Lettre à l’ami d’occasion – Léo Ferré
Cher ami,
Vous êtes arrivé un jour chez moi par un coup de téléphone, cette mécanique pour laquelle Napoléon eût donné Austerlitz. Je n’aime pas cette mécanique dont nous sommes tous plus ou moins tributaires parce qu’elle est un instrument de la dépersonnalisation et un miroir redoutable qui vous renvoie des images fausses et à la mesure même de la fausseté qu’on leur prête complaisamment. Et ce jour là, pourquoi le taire, j’étais prêt à toutes les compromissions : Vous étiez un personnage célèbre, une sorte d’aigle hautain de la littérature "contemporaine", un talent consacré sinon agressif. J’étais flatté mille fois que vous condescendiez à faire mon chiffre sur votre cadran à grimaces, pour solliciter une rencontre dont je ne songeais nullement à régler les détails… Trop ému, vous voyez je n’étais déjà plus flatté, j’aurais dû m’enquérir aussitôt - avant de faire les commandes d’épiceries - de votre personne, de vos problèmes, par exemple en mettant le nez dans vos livres. Je ne vous avais jamais lu, parole d’honnête homme, je ne l’ai guère fait depuis à quelques pages près. Les compliments qu’il m’a été donné de vous faire à propos de ces quelques pages étaient sincères, je le souligne. Votre style est parfait, un peu précieux certes, mais de cette préciosité anachronique qui appelle chat un chat et qui tient en émoi la langue française depuis qu’elle est adulte, guerres comprises. Bref j’ai lavé les chiens, acheté le whisky et mis mon cœur sur la table. Vous êtes entré.Votre voix me frappa au visage comme une très ancienne chanson, une voix d’outre-terre dont je n’ai pas fini de dénombrer les sourdes résonances, un peu comme votre écriture lente, superbe, glacée. Avant de vous entendre on vous écoute, avant de vous comprendre on vous lit. Vous avez la science des signes, du clin d’œil, de la pause. Vous parti, il ne reste qu’une inflexion, qu’un froissement d’idée, qu’une sorte de vague tristesse enfin qui s’éteint avec les derniers frottis de vaisselle. Et l’on en redemande ! C’est assez dire le charme que vous distillez, un peu comme les jetons de casino, cette fausse monnaie, qui détruisent la vraie valeur pour ne laisser qu’une pauvre hâte à recommencer toujours et à perdre sans cesse. À vrai dire vous êtes un Phénix de café concert, une volupté d’après boire, un rogaton de poésie. Vous êtes un poète à la mode auvergnate : vous prenez tout et ne donnez rien, à part cet hermétisme puritain qui fait votre situation et votre dépit.Vous avez amené chez moi toute une clique d’encensoirs qui en connaissaient long sur le pelotage. Ce n’étaient plus de l’encens, mais un précis frotti-frotta comme au bal, dans les tangos particulièrement, quand ça sent bougrement l’hommasse et qu’il y passerait plus qu’une paille. Vos amis sont nauséabonds, cher ami, et je me demande si votre lucidité l’emporte sur les lumières tamisées ou les revues à tirage limité. Tous ces minables qui vous récitent avec la glotte extasiée, ne comprenez-vous pas peut-être leurs problèmes et leurs désirs : ils vous exploitent et c’est vous en définitive qui passez à la caisse car l’ombre que vous portez sur leurs cahiers d’écoliers c’est tout de même la vôtre. Ils ont Votre style, Vos manières, Vos tics, Votre talent peut-être, qui sait ? Je suis venu quelquefois vous chercher à votre café "littéraire" et ne puis vous exprimer ici la honte que j’en ressentais pour vous. On eût dit d’un grand oiseau boiteux égaré parmi les loufiats, chacun payant son bock, et attendant la fin du monde. Quelle blague, cher ami, Vous qui m’aviez émerveillé, je ne sais comment, et qui vous malaxez chaque éphéméride à cette sueur du five o’clock.Je ferai n’importe quoi pour un ami, vous m’entendez cher ami, n’importe quoi ! Je le défendrai contre vents et marées - pardonnez ce cliché, je n’ai pas votre phrase acérée et circonspecte - je le cacherai, à tort ou à raison, je descendrai dans la rue, j’irai vaillamment jusqu’au faux témoignage, avec la gueule superbe et le cœur battant. Vous, vous demandez à voir, à juger. Si l’on m’attaque dans un journal pour un fait qui m’est personnel, vous ne levez pas le petit doigt sur votre plume même si c’est ma femme qui vous le demande, sans vous le demander tout en vous le demandant. Vous êtes un peu dur d’oreilles et les figures de littérature dans une lettre d’alarme ça ne vous plait guère. Quant à enfoncer les portes que vous avez cru ouvrir il y a quelques décades, vous êtes toujours là : la plume aux aguets et le "café" aux écoutes…Il y a ceux qui font de la littérature et ceux qui en parlent. Vous, de la littérature, vous en parlez plus que vous n’en faîtes. Vous avez réglé son compte à Baudelaire, à Rimbaud, pour ne parler que de ceux qui à vous accordez quelque crédit quand même. À longueur d’essais, de manifestes, d’articles, vous avez vomi votre hargne, expliqué en long et en large vos théories inconsolées, étalé vos diktats. Vous avez signifié à la gent littéraire de votre époque que vous étiez là et bien là, même à coups de poings, ce qui n’est pas pour me déplaire car vous êtes courageux, tout au moins quand vous avez décidé de l’être. Votre philosophie de l’Action ne va jamais sans un petit tract, sans un petit article ; vous avez la plume batailleuse, comme Victor Hugo et quand il part à Guernesey vous poussez une pointe aux Amériques, ce qui n’est pas non plus pour me déplaire, anarchisme aidant, l’Unique c’est Ma Propriété. L’histoire de la Hongrie s’est réglée pour vous, pour moi, pour d’autres, par un tract - encore - des signatures, une nausée générale et bien européenne et les larmes secrètes de Monsieur Aragon qui n’a pas osé se moucher. Alors, mon cher ami, permettez que je rigole de nos vindictes qui avortent en deuxième page de Combat, et allons à la campagne.Nous, les poètes, nous devrions organiser de grandes farandoles, pitancher comme il se doit et dormir avec les demoiselles. Non, nous pensons, et jamais comme les autres. Quand il nous arrive de diverger dans nos élucubrations, on se tape dessus, à coup de plume, toujours. J’ai eu l’outrecuidance d’écrire en prose une préface, une introduction, une "note" si vous préférez - et cela pour vous laisser la concession du manifeste, concession que vous tenez d’une bande de malabars milneufcentvingtiesques qui avaient moins de panache que vous - je me suis donc "introduit" tout seul un petit livre de poésie où je pourfends le vers libre et l’écriture automatique sans penser que vous vous preniez pour le vers libre et pour l’écriture automatique et je ne savais pas que vous n’étiez que ça en définitive : un poète raté qui s’en remet aux forces complaisantes de l’inconscient. Vous avez rompu comme un palefrenier, en faisant fi de mon pinard, des ragoûts de Madeleine, et de ce petit quelque chose en plus de la pitance commune qui s’appelle l’Amour. Vous m’avez fait écrire une lettre indigente par un de vos "aides" dans ce style boursouflé dont vous êtes le tenancier et qui dans d’autres mains que les vôtres devient un pénible caca saupoudré de subjonctifs. Tel autre de vos "amis" et que par faiblesse et persuasion j’avais pris en affection jusqu’à le lire - car il signe aussi des vers libres - m’envoya dinguer toujours dans ce style qui se regarde vagir. Je passe l’intermède de votre revue "glacée" où en deux numéros j’allais du grand mec à la pâle petite chose. Un de vos vieux amis enfin m’a "introduit" dans une anthologie, moi le maigre chansonnier et chose curieuse nous sommes vous et moi et côte à côte les deux seuls vivants à essayer de bien nous tenir parmi et au bout de tant d’illustres cadavres. Vous ne trouvez pas qu’il y fait un peu froid ?Je vous dois cependant certains souvenirs lyriques autant que commodes à inventorier : nos conversations à brûle-pourpoint, votre admirable voix lisant de la prose et je vous dois aussi de m’avoir sorti dans le moyen-âge dont vous savez tous les recoins et même les issues secrètes, à croire que vous en êtes encore.Si j’en crois l’un de vos amis de la première heure et qui brinqueballe encore les insultes dont vous l’avez gratifié et ce "quand-même-on-ne-peut-pas-le-laisser-tomber" m’a affirmé que vous reviendriez à moi, les bras ouverts et la mine prodigue, car dit-il, un masochisme incurable vous pousse depuis des années à faire, défaire et refaire vos amitiés. Je n’en crois rien et vous laisse bien volontiers à vos vers libres.Croyez que je regrette bien sincèrement de vous avoir eu à ma table.

Léo FERRE




Benjamin Biolay "Le Vol Noir" Inédit 27-05-2014 (post-soirée électorale)



mercredi 28 mai 2014

Keith Jarret, The Köln Concert


Je vais sans but dans le matin ( Walt Whitman )

Je vais sans but dans le matin,
J'émerge d'une longue nuit de pensées ténébreuses, tu
       occupes mes pensées,
Tu occupes tous mes désirs d'harmonie, Union, tu es
       mon chant d'oiseau divin !
Je te vois dans la nasse de temps difficiles mon pays,
       désarroi noir, ruses et mesquineries, trahison te sont
       tombés dessus,
Quand tout à coup devant mes yeux ce merveilleux et
       simple spectacle : la grive mère nourrissant sa nichée,
La grive mélodieuse dont les accents de joie de confiance
       ravie
Jamais ne manquent de fortifier de conforter mon âme.

J'ai réfléchi, je me suis dit :
Si les vers, les serpents, la vermine méprisable, peuvent
      en chants spirituels être transformés,
Oui si la vermine est ainsi transposable en nourriture
     utile bénie,
Alors pourquoi ne pas avoir confiance en toi, ta fortune,
     tes jours mon pays;
Qui dit que les leçons du présent ne te seront pas profitables ?
Que ton chant d'avenir ne tirera pas ses trilles de joie de
     tes chagrins,
Pour mieux retentir dans tout l'univers ?



Walt Whitman
Feuilles d'herbe
trad. Jacques Darras
Poésie Gallimard
p.532

                                                 ******

 Wandering at Morn



WANDERING at morn, 
Emerging from the night, from gloomy thoughts—thee in my thoughts, 
Yearning for thee, harmonious Union! thee, Singing Bird divine! 
Thee, seated coil’d in evil times, my Country, with craft and black dismay—with every meanness, treason thrust upon thee; 
—Wandering—this common marvel I beheld—the parent thrush I watch’d, feeding its young,         5
(The singing thrush, whose tones of joy and faith ecstatic, 
Fail not to certify and cheer my soul.) 
  
There ponder’d, felt I, 
If worms, snakes, loathsome grubs, may to sweet spiritual songs be turn’d, 
If vermin so transposed, so used, so bless’d may be,  10
Then may I trust in you, your fortunes, days, my country; 
—Who knows that these may be the lessons fit for you? 
From these your future Song may rise, with joyous trills, 
Destin’d to fill the world.

Leaves of grass ( 1900 )


http://www.bartleby.com/142/262.html
     

mardi 27 mai 2014

Le Voyage de Teddy Bear, 1/6

Très beau projet avec des enfants autistes, par Véronique Sauger, David Azulay et les Contes du Jour et de la Nuit





le voyage de teddy bear (1) : véronique sauger... par VSAUGER


Votez pour le Trophée du public, afin de soutenir ce beau projet ! Cliquez sur le lien ci-dessous, et n'oubliez pas de valider votre vote, après réception d'un mail. Si vous ne trouvez pas de mail, vérifiez qu'il ne soit pas dans les spams, cela arrive parfois.
Plus que quelques jours...



http://tropheesfondation.edf.com/associations/association-gens-du-monde

Paul Eluard, Les sentiers et les routes de la poésie

Rien de plus affreux que le langage poétisé, que des mots trop jolis gracieusement liés à d'autres perles. La poésie véritable s'accommode de nudités crues, de planches qui ne sont pas de salut, de larmes qui ne sont pas irisées. Elle sait qu'il y a des déserts de sable et des déserts de boue, des parquets cirés, des chevelures décoiffées, des mains rugueuses, des victimes puantes, des héros misérables, des idiots superbes, toutes les sortes de chiens, des balais, des fleurs dans l'herbe, des fleurs sur les tombes.

Paul Eluard,

 Les Sentiers et les routes de la poésie

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Montserrat Figueras , Lux Feminae


lundi 26 mai 2014

Quand pleurent les lendemains




Tu te souviens


les lendemains qui chantent ____ ton credo

rebelle militante

sous la bannière rouge la lutte finale

guerres dictatures pouvoir patronal

tu condamnas

Ho ho ho Ho Chi Minh

dans les rues maintes et maintes fois on te vit

scander crier chanter

les lendemains qui chantent


Ô Jérusalem

que de problèmes de dilemmes

tu me posas

déchirée épouvantée _____ Nuit et brouillard

la Shoah       ___   Non

plus jamais ça

Et pourtant autour de ton cou le keffieh d'Arafat

tu portas


Ô Palestine deux peuples frères une seule terre

tu dis            ____  Non

au Mur de la honte en Cisjordanie

défigurée exsangue meurtrie


Tu te souviens


t'être recueillie sur les ruines fumantes

rue Copernic rue Desrosiers

tête basse lèvres tremblantes

synagogues cimetières écoles ________ par la haine profanés

innocentes victimes de la barbarie

fous de dieu fous de puissance et de cruauté



Aujourd'hui en ces jours de mai

malgré la senteur des roses

fatiguée meurtrie les cheveux blanchis

tu entends ______ le ciel gronde

et rugit la bête immonde


"Anne ma soeur Anne ne vois-tu rien venir"

chante le poète


le Musée juif de Bruxelles devint votre cible

la terre ruissela rouge du sang répandu par les rues


En Europe _________ en France surtout

la peste brune déferle en vagues bleu marine

sur nos fragiles dunes


Ô jeunesse déboussolée en pleine tempête

ton ignorance allume cette déferlante

" la Beauté du diable" pour unique bagage

chantait Louis Aragon


Et toi mon ami

ce matin

devant le Musée juif de Bruxelles

seul tu te recueilles ______ loin

des foules aux appétits curieux

par la pensée tu m'y emmènes

je dépose une rose blanche

par des gouttes de sang vite salie


Je te dis

merci


© F.R

le 26 mai 2014


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Ces mots reçus de toi :

" Je viens de rentrer. Avec la compagnie d'une poignée d'anonymes comme moi, c'est non sans émotion et la gorge nouée, que j'ai observé de longues minutes de recueillement, de silence et de méditation. Tous ceux et celles que j'aime, dont toi, étaient unis avec moi dans cette chaîne d'union fraternelle, au nom de l'humanité ou ce qu'il en reste."

Poème extrait de "Chorégraphie de cendres", paru en avril 2017 (éditions épingle à nourrice)




▶ Conférence de presse de J.-L. Mélenchon - Européennes 2014 - Vidéo Dailymotion

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Conférence de presse de J.-L. Mélenchon... par lepartidegauche

dimanche 25 mai 2014

Anne, ma soeur Anne ( Louis Chedid )



Anne, ma sœur Anne,
Si j’ te disais c’ que j’ vois v’nir,
Anne, ma sœur Anne,
J’arrive pas à y croire, c’est comme un cauchemar...
Sale cafard!

Anne, ma sœur Anne,
En écrivant ton journal du fond d’ ton placard,
Anne, ma sœur Anne,
Tu pensais qu’on n’oublierait jamais, mais...
Mauvaise mémoire!

Elle ressort de sa tanière, la nazi-nostalgie:
Croix gammée, bottes à clous, et toute la panoplie.
Elle a pignon sur rue, des adeptes, un parti...
La voilà revenue, l’historique hystérie!

Anne, ma sœur Anne,
Si j’ te disais c’ que j’entends,
Anne, ma sœur Anne,
Les mêmes discours, les mêmes slogans,
Les mêmes aboiements!

Anne, ma sœur Anne,
J’aurais tant voulu te dire, p’tite fille martyre:
"Anne, ma sœur Anne,
Tu peux dormir tranquille, elle reviendra plus,
La vermine!"

Mais beaucoup d’indifférence, de patience malvenue
Pour ces anciens damnés, au goût de déjà-vu,
Beaucoup trop d’indulgence, trop de bonnes manières
Pour cette nazi-nostalgie qui ressort de sa tanière... comme hier!

Anne, ma sœur Anne,
Si j’ te disais c’ que j’ vois v’nir,
Anne, ma sœur Anne,
J’arrive pas à y croire, c’est comme un cauchemar...
Sale cafard!

Poèmes de Jean-Louis Garac "Chansons éphémères"

http://espacecreationjeanlouis.blogspot.fr/2014/05/chansons-ephemeres-poemes-jl-garac.html

Un site passionnant à découvrir, pour la poésie, l'art sous toutes ses formes

"Chansons éphémères", poèmes JL Garac




Photo JL Garac - anémones Nice

N'avez vous jamais entendu de petites chansons tourner dans vos têtes, parfois des airs connus et des chansons branchées et aussi des airs presque oubliés comme ceux d'hier ou d'avant hier, voire des airs d'opéras?

A ces airs connus que l'esprit déforme à peine (il peut aussi changer les paroles par plaisir), viennent s'ajouter des chansons nouvelles, des airs de rien, de petits airs de lumière dont nous sommes les seuls auteurs et dont la musique incertaine ne correspond peut être qu'à notre propre rythme de souffle ou qu'à celui que nous captons du monde extérieur.

Ce sont des invraisemblances, des débris de phrases, des poussières de mots qui se créent et se défont dans les brumes matinales et l'ombre soulevée du trait orange de l'aube, comme dans les infusions du crépuscule, là où les dernières vingt-quatre heures de notre vie se colorent de sens, de regrets et de désirs naissants.

Ephémères papillons de signes! Consonnes et voyelles comme des chaines d'ADN d'une langue à naître! Mots qui ont la fraîcheur d'une innocence et d'une joie, douces ou affirmées, que les réalités nous interdisent de reconnaître la plupart du temps. Pourtant ces mots-photons nous éclairent l'esprit, guident notre coeur, prennent la main de la conscience et peuvent jouer à la bougie de notre conscience.

Chansons en tessons d'ivresse, tristes ou gaies, comme si nous étions toujours en recherche de ce champagne de vie si difficile à trouver, rengaines aussi naïves qu'insupportables, musique pour son chat, son toutou, son orchidée ou son paysage de carte postale, paroles à bébés de quelques mois ou de vingt-cinq, trente et quarante ans ou plus! C'est en fait le premier fil qui vient et qui interroge, et puis on se pique au jeu, on fait quelque chose de ces ébauches de sens et de mots, on y travaille comme le soleil les bourgeons ligneux.

Peut-être faut-il chercher jusqu'aux racines de nous-mêmes, sous la poudre délicate de ces mots et de ces éléments de rythmes, pour enfin retrouver la trace de quelques palais anciens, de quelques figures hors du temps, de quelques mosaïques de poèmes qui nous supportent, nous influencent et font le lien entre ce moment précis de notre histoire et l'immense évanescence que nous retrouverons un jour...

Ne sommes-nous pas peintres de nos émotions, de nos amours, de notre histoire et de ce que nous voudrions voir se projeter de nous? Cette visualisation se dresse et se construit avec toutes les touches des mots dont nous disposons; nous modelons nos visages et nos regards avec leurs mélanges, leurs couleurs et leurs pouvoirs, ce sont nos autoportraits et nos musiques d'être!
Jean-Louis Garac