samedi 21 mars 2015

Le sang du plus pur amour, d'Odysseas Elytis




Le sang du plus pur amour
m'a drapé de pourpre
Et des joies encor jamais vues
m'ont flanqué le noir
  J'ai vert-de-grisé sous le
suroît moite des hommes
    Mère éternelle au loin
ma Rose mon Amarante

Embusqués en haute mer
ils m'ont attendu
Avec leurs trois-mâts bombardants
et m'ont descendu
Tout mon crime était d'avoir
moi aussi
 un grand amour
    Mère éternelle au loin
ma Rose mon Amarante

Un certain jour de Juillet
se sont entrouverts
  Ses yeux pers immensément
dans mon coeur amer
Et par eux la vie vierge un
instant
s'illumina
     Mère éternelle au loin
 ma Rose mon Amarante

Depuis lors s'est acharnée
par-dessus ma tête
     La vindicte des siècles
qui hurlaient : " Celui
Qui t'aura vu, dans le
sang
qu'il vive et dans la pierre
     Mère éternelle au loin
 ma Rose mon Amarante

M'identifiant de ce fait
avec ma patrie
   Dans ces pierres, j'ai
grandi
et donné ma fleur
Rachetant par la lumière
le sang
des assassins
      Mère éternelle au loin
ma Rose mon Amarante

Odysseas Elytis
Le bercail aux brebis
in, Axion Esti
Poésie / Gallimard p 132-133



Odysséas Elytis (en grec Οδυσσέας Ελύτης), nom de plume d’Odysséas Alepoudhéllis (Οδυσσέας Αλεπουδέλλης), est un poète grec né le 2 novembre 1911 à Héraklion et mort le 18 mars 1996 à Athènes.

Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1979.

Il était proche des poètes surréalistes français et de peintres comme Picasso et Matisse qui ont illustré certaines de ses œuvres. Ami de René Char et d'Albert Camus dont il a partagé la pensée de midi1 sur le primat accordé aux sensations et au culte de l'harmonie de la nature contre tout absolutisme historique, il fut aussi en France et en Grèce l'ami de son compatriote Tériade.

Auteur du grand poème Axion esti, hymne à la Création qui exalte la lutte héroïque des Grecs en faveur de la liberté, il fut aussi critique d'art, et s'attacha à créer des collages dans lesquels s'exprime sa conception de l'unité de l'héritage grec, par la synthèse de la Grèce antique, de l'Empire byzantin et de la Grèce néo-hellénique. Ses poèmes ont été mis en musique par deux des compositeurs grecs les plus célèbres du xxe siècle, Míkis Theodorákis et Mános Hadjidákis. D'autres ont été popularisés en France par Angélique Ionatos.
Wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Odyss%C3%A9as_El%C3%BDtis

Torrent, de Cristina Castello



Torrent

Le monde est une clôture d'épines
Toile d'araignée où rampent des enfants aveugles
Le soleil pleut une aube sans habits
Et un violon ébauche une prière
Mais reste muet

L'oeil strabique de Dieu a perdu son axe
Les corbeaux dévorent les colombes
La bonté efface les lignes de sa main
Et Géricault esquisse un Radeau rédempteur
Mais il meurt

Tout est abîme

Ironie de l'histoire
La chaîne d'or de ton enfance
Se penche avec ton cou
Pour féconder ma bouche
Nous germons

L'amour consolera peut-être de tant d'ombre
La douleur sanglotera peut-être aux éclats.

Cristina Castello

Le chant des sirènes / El canto de las sirenas p 37 et 39
Ed. Chemins de Plume, Un Poète / Une Voix
livre et cd (bilingue)

http://www.editionscheminsdeplume.com/2015/02/le-chant-des-sirenes-cristina-castello.html

http://www.cristinacastello.fr/article-le-chant-des-sirenes-poeme-de-cristina-castello-voix-nathalie-riera-
56130589.html

Livres de Cristina Castello   (en castillan)

et en français ICI



mercredi 18 mars 2015

Noctuelles de Jacques Calonne, par Cristian Ronsmans et conférence Frédéric Baal

Jacques et Edouard au Salon du livre de Bruxelles, photo Cristian R




Marcher dans les pas de Jacques Calonne un soir de mars, empruntant le dédale de ses pérégrinations de chasseur de noctuelles qui se brûlent à la flamme, comme il le dit dans sa chanson, relève d’un parcours effectué dans un étant donné, qui se mute en remembrance.
Ce parcours de métalepse jusqu’à Pierre le Grand, tsar de toutes les Russies, en passant par « le bossu » et ses clochards encordés jusqu’à l’aube, est une déambulation en noir et blanc, avec le plus surprenant des géants, comme au temps des Frères Lumière projetant « l’arroseur arrosé » sous le « Parapluie de Bruxelles »
Ce géant est notre ami Jacques Calonne, à la toque voltairienne aujourd’hui, qui nous a convié hier soir à prendre la foulée des ses grandes enjambées de dandy dégingandé d’autrefois, dans un Bruxelles, couleur de billes et d’hidalgo Sandeman, bel enténébré sur métal ou sur la brique rouge de nos façades.
Nous étions tous là, où presque.
Une petite cinquantaine de ses vieux amis qui ont égrenés son existence, à moins que ce ne soit lui qui en vérité a égrené la nôtre, dans cette délicieuse quiétude du souvenir en compagnie d’un Jacques à la fois heureux, un peu troublé, et toujours aussi prompt à charger son fusil à tirer dans les coins. Pas de balles perdues avec Jacques !
Et soudain l’étant donné, dans sa remembrance atteinte, devient un étant-être et nous étions, oui, nous étions…. bien, entre nous, Claude, Tito, Noël, Monique, et les autres, tous avec Jacques, entre soupe et spaghetti, bières et vins rouges à échanger nos souvenirs, Cobra, Dotremont, Marïen , tout cela …… dans la chaleur d’une fleur en papier dorée aux allures de Cerisaie marollienne et poétique.
Merci ,cher Jacques, merci, j’allais l’oublier, pour ce joli pot à tabac aux motifs de Delft qui trône sur ma cheminée, et que tu m’as offert un jour là, dans cette maison, au 4ème étage où tu rentres …à la fin du film !
On t’embrasse.

Cristian Ronsmans







mardi 17 mars 2015

Le Cantique des cantiques, André Chouraqui

Chapitre 1.- Poème des poèmes
"Poème des poèmes qui est à Shelomo.
Il me baisera des baisers de sa bouche; oui, tes étreintes sont meilleures que le vin.
À l'odeur, tes huiles sont bonnes, ton nom est une huile jaillissante; aussi, les nubiles t'aiment.
Tire-moi derrière toi, courons !
Le roi m'a fait venir en ses intérieurs.
Jubilons, réjouissons-nous en toi !
Mémorisons tes étreintes mieux que le vin ! Les rectitudes t'aiment.
Moi, noire, harmonieuse, filles de Ieroushalaîm, comme tentes de Qédar, comme tentures de Shelomo.
Ne me voyez pas, moi, la noirâtre: oui, le soleil en moi s'est miré.
Les fils de ma mère ont brûlé contre moi; ils m'ont mise gardienne de vignobles.
Mon vignoble à moi, je ne l'ai pas gardé !
Rapporte-moi, toi que mon être aime, où tu pais, où tu t'étends à midi ; car pourquoi serais-je comme affublée, auprès des troupeaux de tes amis ?
Si tu ne le sais pas pour toi, la belle parmi les femmes, sors pour toi sur les traces des ovins; pâture tes chevreaux aux demeures des pâtres.
À ma jument, aux attelages de Pharaon, je te compare, ô ma compagne !
Tes joues sont harmonieuses dans les pendeloques, ton cou dans les gemmes.
Nous ferons pour toi des pendeloques d'or, avec des pointes d'argent.
Le roi encore sur son divan, mon nard donne son odeur.
Mon amant est pour moi un sachet de myrrhe; il nuite entre mes seins.
Mon amant est pour moi une grappe de cypre, aux vignobles de 'Éïn Guèdi.
Te voici belle, ma compagne, te voici belle aux yeux palombes.
Te voici beau, mon amant, suave aussi; aussi notre berceau est luxuriant.
Les cèdres sont les poutres de nos maisons; nos lambris, des genévriers."


Chapitre 2.- Lotus des vallées
Moi, l'amaryllis du Sharôn, le lotus des vallées.
Comme un lotus parmi les vinettiers, telle est ma compagne parmi les filles.
Comme un pommier parmi les arbres de la forêt, tel est mon amant parmi les fils.
Je désirais son ombre, j'y habite; son fruit est doux à mon palais.
Il m'a fait venir à la maison du vin; son étendard sur moi, c'est l'amour.
Soutenez-moi d'éclairs, tapissez-moi de pommes: oui, je suis malade d'amour.
Sa gauche dessous ma tête, sa droite m'étreint.
Je vous adjure, filles de Ieroushalaîm, par les gazelles ou par les biches du champ, n'éveillez pas, ne réveillez pas l'amour avant qu'il le désire !
Va vers toi-même
La voix de mon amant ! Le voici, il vient !
Il bondit sur les monts, il saute sur les collines.
Il ressemble, mon amant, à la gazelle ou au faon des chevreuils...
Le voici, il se dresse derrière notre muraille !
Il guette aux fenêtres, il épie aux treillages !
Il répond, mon amant, et me dit: Lève-toi vers toi-même, ma compagne, ma belle, et va vers toi-même !
Oui, voici, l'hiver est passé, la pluie a cessé, elle s'en est allée.

Les bourgeons se voient sur terre, le temps du rossignol est arrivé, la voix de la tourterelle s'entend sur notre terre.

Le figuier embaume ses sycones, les vignes en pousse donnent leur parfum.
Lève-toi vers toi-même, ma compagne, ma belle, et va vers toi-même !
Ma palombe aux fentes du rocher, au secret de la marche, fais-moi voir ta vue, fais-moi entendre ta voix !
Oui, ta voix est suave, ta vue harmonieuse.
Saisissez pour nous les renards, les petits renards, saboteurs de vignobles ! Nos vignobles sont en pousse.

Mon amant à moi, et moi à lui, le pâtre aux lotus.

Jusqu'à ce que le jour se gonfle, s'enfuient les ombres,
fais volte-face, ressemble pour toi, mon amant,
à la gazelle ou au faon des chevreuils, sur les monts de la rupture.




Chapitre 3.- Noces
Sur ma couche, dans les nuits, j'ai cherché celui qu'aime mon être.
Je l'ai cherché, mais ne l'ai pas trouvé.
Je me lèverai donc, je tournerai dans la ville, dans les marchés, sur les places.
Je chercherai celui qu'aime mon être. Je l'ai cherché mais ne l'ai pas trouvé.
Les gardes qui tournaient dans la ville m'ont trouvée. « Celui qu'aime mon être, l'avez-vous vu ? »
De peu les avais-je dépassés que je trouvai celui qu'aime mon être.
Je l'ai saisi et ne le lâcherai pas avant de l'avoir fait venir à la maison de ma mère, dans l'intérieur de ma génitrice.
Je vous adjure, filles de Ieroushalaîm, par les gazelles ou par les biches du champ, n'éveillez pas, ne réveillez pas l'amour avant qu'il le désire !
Qui est celle qui monte du désert, comme palmes de fumée, encensée de myrrhe et d'oliban, de toutes les poudres du colporteur ?
Voici le lit de Shelomo, soixante héros sont autour de lui, des héros d'Israël;
tous armés d'épée, initiés à la guerre, chaque homme son épée sur sa cuisse, contre le tremblement des nuits.
Le roi Shelomo s'est fait un palanquin en bois du Lebanôn.
Il fait ses colonnes d'argent, sa tapisserie d'or, ses montants de pourpre, son intérieur tapissé d'amour par les filles de Ieroushalaîm.
Sortez, voyez, filles de Siôn, le roi Shelomo,
le nimbe dont sa mère l'a nimbé le jour de sa noce, le jour de la joie de son coeur !



Chapitre 4.- Viens avec moi
Te voici belle, ma compagne, te voici belle !
Tes yeux palombes à travers ton litham; tes cheveux tel un troupeau de caprins qui dévalent du mont Guil'ad;
tes dents tel un troupeau de tondues qui montent de la baignade; oui, toutes jumelées, sans manquantes en elles.

Tes lèvres, tel un fil d'écarlate, ton parler harmonieux; telle une tranche de grenade, ta tempe à travers ton litham ;
et telle la tour de David, ton cou, bâti pour les trophées: mille pavois y sont suspendus, tous les carquois des héros.
Tes deux seins, tels deux faons, jumeaux de la gazelle, pâturent dans les lotus.

Avant que le jour se gonfle et s'enfuient les ombres, j'irai vers moi-même au mont de la myrrhe, à la colline de l'oliban.
Toi, toute belle, ma compagne, sans vice en toi.

Avec moi du Lebanôn, fiancée, avec moi du Lebanôn, tu viendras !
Tu contempleras de la cime d'Amana, de la cime du Senir et du Hermôn, des tanières de lions, des monts de léopards !
Tu m'as incardié, ma soeur-fiancée, tu m'as incardié d'un seul de tes yeux, d'un seul joyau de tes colliers.
Qu'elles sont belles, tes étreintes, ma soeur-fiancée, qu'elles sont bonnes tes étreintes, plus que le vin !
L'odeur de tes huiles plus que tous les aromates !
De nectar, elles dégoulinent, tes lèvres, fiancée !
Le miel et le lait sous ta langue, l'odeur de tes robes; telle l'odeur du Lebanôn !
Jardin fermé, ma soeur-fiancée, onde fermée, source scellée !
Tes effluves, un paradis de grenades, avec le fruit des succulences, hennés avec nards;
nard, safran, canne et cinnamome avec tous les bois d'oliban; myrrhe, aloès, avec toutes les têtes d'aromates !
Source des jardins, puits, eaux vives, liquides du Lebanôn !
Éveille-toi, aquilon ! Viens, simoun, gonfle mon jardin !
Que ses aromates ruissellent !
Mon amant est venu dans son jardin; il mange le fruit de ses succulences.






Belle interprétation en grec du Cantique des cantiques, par la grande actrice Irène Papas

dimanche 15 mars 2015

A quatre mains, de F.Ruban

                                                                       Sous le Pont Mirabeau coule la Seine
                                                                       Et nos amours faut-il qu'il m'en souvienne

                                                                                            G.Apollinaire




Sous le regard tendrement aveuglé
de la dame blanche assise solitaire
sur le rebord de ma fenêtre
à la lueur de l'astre lunaire
Ecouter tes silences
Respirer les mots égrenés
au crépuscule - ou à l'aube naissante
Déployer mes poumons resserrés
Tendre mon coeur assoiffé
A la tièdeur du ciel de juin
Sonate au clair de lune
Solstice de l'âme
Feux de la St Jean

T'offrir les senteurs musquées
entrées
sur la pointe des pieds
    dansantes sous mes paupières
        entrouvertes
           à la Vie

Emotions croisées ébouriffées
cavales sauvages envolées
avec le bruissement d'ailes de ma visiteuse nocturne
sur une mélodie de Barbara

T'offrir ce désir
     de partir de courir et surtout
          tout près
me réjouir de ton rire

De mes doigts impatients enfiévrés
Ô caresser sur tes lèvres
ces mots-images
beaucoup trop sages
ces mots dessinés
sur la feuille blanche
avec l'encre bleue des vagues gonflées
au rythme des marées

Ecrire à quatre mains
enfin...

Suspendre un instant
les rumeurs souillées de sang
sous les coups assourdissants des tueurs fous
qui massacrent et déboisent l'âme humaine

Je veux pour cet instant
l'Eternité
de la Vie qui frémit
de l'Amour qui prie
Je veux pour cet instant
l'Immortalité
au-delà du linceul
enfoui
sous la pierre tombale

 ©     FR

le 29 juin 2012

Tous droits réservés
Protégé par copyright

Poème extrait de "L'Âme des marées"
recueil publié en octobre 2014
Epingle à nourrice éditions


crédit photos fruban