vendredi 29 décembre 2017

Redessiner le monde, poème fruban




Redessiner le monde


Le monde est fou les gens sont fous
Moi j'ai froid partout
dedans surtout
Tout est gris
de ce gris qui jamais ne sourit
Mon cœur est cendre-gris

Et pourtant que de lumières
de guirlandes éblouissantes
Couleurs d'artifices clignotantes
Magie de la fée Carabosse
Ces illuminations m'en-grisent
le cœur et l'âme

Arborer la Madone palestinienne
un poème de Mahmoud Darwish
Relire écouter La petite fille aux allumettes
larmes aux paupières
Je me souviens
Noël dans le cœur de l'enfant que j'étais

Toi dans la chambre à côté tu ris
Tu ris et dessines allongé sous la table
Et on s'en fout des agapes et des lumières clinquantes
Juste une plume un crayon et
redessiner le monde
illuminer la Vie



Si au moins il pleuvait un petit peu dans ta main, je serais heureux 




© fruban

quelques jours en décembre 2017

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recueil en cours





photo du Net

jeudi 28 décembre 2017

Jacques Prévert parle de Robert Desnos


















Robert, Robert Desnos
Je suis devant un micro et je parle de toi
et tu es là toi aussi
et même si tu te tais, nous parlons tous les deux
tous les deux comme hier qu’il serait idiot
d’appeler déjà autrefois
Bien sûr le temps nous dépasse
nous impasse
nous trépasse
c’est l’impasse-temps
le trépasse-temps
Mais qu’il soit spatial
ou des cerises, ou perdu, ou gagné
le temps, Robert, dis-moi qui sait ce que c’est
le temps, Robert, dis-moi qui sait ce que c’est.
Il n’a pas de présent
le temps ne fait pas de cadeau
mais ce qu’ils appellent le souvenir
quand il est vrai il est vivant.
Et je parle avec toi  comme il y a des années
dans la rue Saint-Merri, au comptoir d’un bistrot
comme à la terrasse de Cyrano
un Cyrano de Montmartre et pas d’Edmond Rostand
comme à la radio pour Deharme
quand nous faisions des essais de publicité improvisée :
toutes les semaines, deux idiots parlent de la baleine
C’était peut être un projet pour une marque de savon
de parapluie ou de corset
est-ce que je sais ?
on disait des âneries immédiates
des absurdités instantanées
l’absurde n’était
pas encore à la mode
il n’était pas catalogué
on riait, on riait
et maintenant tu es mort
tu es mort
mais tu n’es pas mort à la guerre
tu es mort contre la guerre, la haine, la connerie.
Robert, mon ami
André Verdet m’a raconté qu’à Buchenwald
lorsqu’ arrivait un nouveau convoi de déportés, tu disais :
«Peut être que Prévert est là-dedans»
C’est une grande preuve d’amitié
qu’avoir envie, sans réfléchir, de retrouver un ami.
Et puis sur un grabat de liberté
le typhus t’a emporté.
Comme les hommes, les rats
font la guerre
et la guerre, comme pour les rats,
c’est bonne affaire
une valeur sûre et déclarée
mais on ne déclare jamais la paix
on en parle mais si la guerre est trop froide
au napalm on la fait réchauffer.
Enfin, au revoir, Robert
à la radio aussi le temps est compté
mais l’oiseau bleu couleur du temps
du temps du rêve
du temps de vérité
te salue et te chante amitié


Jacques Prévert



Couplets de la rue de Bagnolet


Le
Soleil de la rue de
Bagnolet
N'est pas un soleil comme les autres.
Il se baigne dans le ruisseau,
Il se coiffe avec un seau,
Tout comme les autres,
Mais, quand il caresse mes épaules,
C'est bien lui et pas un autre,
Le soleil de la rue de
Bagnolet
Qui conduit son cabriolet
Ailleurs qu'aux portes des palais,
Soleil, soleil ni beau ni laid,
Soleil tout drôle et tout content,
Soleil de la rue de
Bagnolet,
Soleil d'hiver et de printemps,
Soleil de la rue de
Bagnolet,
Pas comme les autres.

Robert Desnos




Jacques Prévert
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Robert Desnos
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mardi 26 décembre 2017

Lettre de Paul Eluard à Joë Bousquet




20 décembre 1928

Mon cher ami,

Noël ? Je hais Noël, la pire des fêtes, celle qui veut faire croire aux hommes « qu’il y a quelque chose DE MIEUX sur la terre », toute la cochonnerie des divins enfants, des messes de suif, de stuc et de fumier, des congratulations réciproques, des embrassades des poux à sang froid sous le gui. Je hais les marchands de cochon et d’hosties, leur charcuterie, leur mine réjouie. La neige de ce jour-là est un mensonge, la musique des cloches est crasseuse, bonne au cou des vaches. Je hais toutes les fêtes parce qu’elles m’ont obligé à sourire sans conviction, à rire comme un singe, à ne pas croire, à ne pas croire possible la joie constante de ceux que j’aime. Le bonheur leur est une surprise.

Et puis, votre lettre me désole. Comment n’avez-vous pas pu vous procurer les disques que je vous indiquais. N’importe quelle maison un peu moderne de disques de Marseille, de Paris, vous les procurerait en quelques jours. Et j’y tenais tant. Enfin, dites-moi tout de suite si je dois vous les faire envoyer par des amis ? Si votre gros Dumont s’adresse à ses fournisseurs habituels, il est peu probable qu’on les lui procure. Il y a partout, dans les Cahiers du Sud, N.R.F., Variétés, etc., des annonces de marchands « à la page », comme on dit.

Mais je dois avoir ces jours-ci la visite d’une amie très au courant de ce genre de recherches et qui m’est très dévouée. Elle sera sûrement très heureuse de vous les trouver tous. Et très vite. Sinon, vous allez vous ruiner en achats au petit bonheur. Tous les petits marchands à la Dumont tiennent à se débarrasser de leur stock et laissent en panne, intentionnellement, les nouvelles commandes.

J’ai eu la visite ces jours-ci de Arp et de Max Ernst. Entendu pour votre tableau. Nelli m’a écrit. Il fait un froid solide.

Vous ne me dites pas si vous avez Les Malheurs des Immortels. Chantiers est bien long à paraître. J’en suis fort curieux.

Croyez-moi très affectueusement vôtre,

Paul ELUARD.

(En marge de la première page) :

Pourquoi faut-il que la joie des enfants soit pour ce jour-là et souvent ce jour-là seulement et souvent jamais.

Paul Eluard
in, Lettres à Joë Bousquet
Les Editeurs Français Réunis (1973)



Paul Eluard
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samedi 23 décembre 2017

Complainte de Vincent, Jacques Prévert



Complainte de Vincent

à Paul Eluard



 A Arles où roule le Rhône

Dans l'atroce lumière de midi

Un homme de phosphore et de sang

Pousse une obsédante plainte

Comme une femme qui fait son enfant

Et le linge devient rouge

Et l'homme s'enfuit en hurlant

Pourchassé par le soleil

Un soleil d'un jaune strident

Au bordel tout près du Rhône

L'homme arrive comme un roi mage

Avec son absurde présent

Il a le regard bleu et doux

Le vrai regard lucide et fou

De ceux qui donnent tout à la vie

De ceux qui ne sont pas jaloux

Et montre à la pauvre enfant

Son oreille couchée dans le linge

Et elle pleure sans rien comprendre

Songeant à de tristes présages

Et regarde sans oser le prendre

L'affreux et tendre coquillage

Où les plaintes de l'amour mort

Et les voix inhumaines de l'art

Se mêlent aux murmures de la mer

Et vont mourir sur le carrelage

Dans la chambre où l'édredon rouge

D'un rouge soudain éclatant

Mélange ce rouge si rouge

Au sang bien plus rouge encore

De Vincent à demi mort

Et sage comme l'image même

De la misère et de l'amour

L'enfant nue toute seule sans âge

Regarde le pauvre Vincent

Foudroyé par son propre orage

Qui s'écroule sur le carreau

Couché dans son plus beau tableau

Et l'orage s'en va calmé indifférent

En roulant devant lui ses grands tonneaux de sang

L'éblouissant orage du génie de Vincent

Et Vincent reste là dormant rêvant râlant

Et le soleil au-dessus du bordel

Comme une orange folle dans un désert sans nom

Le soleil sur Arles

En hurlant tourne en rond.


Jacques PRÉVERT

in, Paroles, 1946




Van Gogh, autoportrait




jeudi 21 décembre 2017

Désir / Deseo, de Federico Garcia Lorca





Désir

Rien que ton coeur brûlant,
Rien d’autre.

Mon paradis: un champ
Sans rossignols
Ni lyres,
Avec une fontaine
Et un filet d’eau vive.

Pas de vent qui éperonne
Les frondaisons
Ni d’étoile qui veuille
Se faire feuille.

Un jour immense
Y serait
Le ver luisant
D’un autre jour
Dans un champ de
Regards brisés.

Lumineux repos
Où tous nos baisers,
Grains de beauté sonores
De l’écho,
Iraient là-bas éclore.

Et ton coeur brûlant,
Rien d'autre.

Federico Garcia Lorca




Version originale




Deseo

Sólo tu corazón caliente,
Y nada más.

Mi paraíso, un campo
Sin ruiseñor
Ni liras,
Con un río discreto
Y una fuentecilla.

Sin la espuela del viento
Sobre la fronda,
Ni la estrella que quiere
Ser hoja.

Una enorme luz
Que fuera
Luciérnaga
De otra,
En un campo de
Miradas rotas.

Un reposo claro
Y allí nuestros besos,
Lunares sonoros
Del eco,
Se abrirían muy lejos.

Y tu corazón caliente,
Nada más.

Federico Garcia Lorca



Federico Garcia Lorca
photo du Net

mardi 19 décembre 2017

Des barreaux d'hier à l'éternité demain, poème fruban




Vivre c'est survivre à un enfant mort

  Jean Genet
in, Journal du voleur




Des barreaux d'hier à l'éternité demain




Il est étrange comme les mots font voyager
Entre le bleu de la Grèce la beauté de son alphabet
les barreaux de ta fenêtre ton soleil jaune
Une coïncidence devint vite connivence
Toujours ce fil qui relie deux esprits
A l'instant même j'eus le désir de t'offrir
le poème de Verlaine – Colloque sentimental -
Un déclic une impulsion subite
De barreaux en prisonniers
Me voici ici sous les nuages gris devant la page vierge

Je sais qu'au-delà de l'éternité nous continuerons 
à bavarder à rire comme ces deux spectres
Jamais je ne lâcherai ta main

Des milliers des millions de prisonniers
derrière les barreaux rêvent de s'évader
Barreaux des prisons barreaux de la Vie
Ce jour-là deux se sont croisés
Deux poètes blessés par l'Amour meurtris par la Vie
un troisième les a vite rejoints
Ce fut le rendez-vous des « poètes maudits »
Réunis tous les trois au mitan de nos plumes
Journal du voleur1 ou Voleur de poules1
Rebelles de petits ou grands chemins

Verlaine avait plaisir à dire que les barreaux 
à la fenêtre de sa geôle étaient en bois
Ce qui est vrai  __   l'anecdote est délicieuse

Ils s'appellent Paul Jean ou Roger
Tous les trois réunis là-haut -  tu sais
Trois spectres qui tiennent colloque
et qui se marrent de toute cette rigolade
dégoulinante  __  Fêtes de fin d'année qu'ils disent
Tandis que s'affairent les marchands du temple
Je sais qu'un jour nous les rejoindrons
et nous regarderons s'agiter les pantins
et nous rirons comme des fous.


© fruban

19 décembre 2017

Tous droits réservés

travail en cours

Journal du voleur, Jean Genet
   Voleur de poules, Roger Knobelpiess





Colloque sentimental


Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?

- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.

Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.

- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.


                                                     Paul Verlaine




Jean GENET

Roger KNOBELSPIESS


Photos du Net



lundi 18 décembre 2017

Poèmes , Denis Tellier

J'ai une fenêtre sur cour
qui me donne du gris
un gris pas comme les autres
un gris comme aujourd'hui
le soleil jaune est plus loin
il ne vient jamais par ici
il a peur de colorier mon gris
il a peur de donner de l'ombre
aux barreaux de ma fenêtre
et à ceux de mon lit
il a peur d'éclairer ma cellule
et la plume de mes écrits

                                   à Jean Genet

© Denis T

photo Denis T
manuscrit




Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara
Non non je n'écrirai plus dromadaire     à l'envers c'est trop long le Sahara


© Denis T

Tous droits réservés



photo Denis T
manuscrit
décembre 2017


J'ajoute cette superbe collaboration entre un poète et une plasticienne, Denis Tellier et Anne-Marie Donain-Bonave



© Oeuvre Anne-Marie Donaint-Bonave
Tous droits réservés

le 26 décembre 2017







dimanche 17 décembre 2017

Octavio Paz, Pierre de soleil (extraits)





... Un saule de cristal, un peuplier d'eau,

Un haut jet d'eau arqué par le vent,

Un arbre bien planté quoique dansant,

un cheminement de rivière qui s'incurve,

avance, recule, vire et arrive toujours:

une démarche paisible d'étoile

ou de printemps sans hâte.



Eau avec les paupières fermées

dont sourdent toute la nuit des prophéties,

présence unanime en houle,

vague après vague jusqu'à tout recouvrir.

verte souveraineté sans crépuscule

comme l'éblouissement des ailes

lorsqu'elles s'ouvrent en plein ciel.



Une présence comme un chant soudain,

comme le vent chantant dans l'incendie,

un regard qui maintient suspendu

le monde avec ses mers et ses montagnes.



Corps de lumière filtré par une agate,

jambes de lumière, ventre de lumière,

baies, roc solaire, corps couleur de nuage,

couleur de jour rapide qui saute,

l'heure scintille et prend corps,

le monde est maintenant visible dans ton corps,

il est transparent dans ta transparence.



Je vais entre des galeries de sons,

Je flue entre les présences résonnantes,

comme un aveugle je vais à travers les transparences, un reflet m'efface,

je nais dans un autre,

ô forêt de piliers enchantés,

sous les arcs de lumière je pénètre

dans les corridors d'un automne diaphane...



                                                                    *


 ….

Vêtue de la couleur de mes désirs

comme ma pensée tu vas nue,

je vais par tes yeux comme dans l'eau,

je vais par ton front comme par la lune,

comme le nuage par ta pensée,

je vais suivant ton ventre comme dans tes rêves.



Tu es pluie toute la nuit, tout le jour,

tu ouvres ma poitrine avec tes doigts d'eau,

tu fermes mes yeux avec ta bouche d'eau,

sur mes os tu fais la pluie, dans ma poitrine

un arbre liquide plonge ses racines d'eau,



Je vais par ta taille comme par une rivière,

je vais par ton corps comme dans un bois,

comme dans la montagne,

sur un sentier qui aboutit soudain à un abîme
...


                                                                        *

Octavio Paz est né en 1914 dans le village de Mixcoac, au Mexique et est mort en 1998. Pierre de Soleil a vu le jour en 1957 et a été publié dans son recueil Liberté sur parole, qui rassemble ses poèmes écrits entre 1935 et 1957.
En 1990, Octavio Paz reçoit le Prix Nobel de littérature.




Octavio Paz
photo du Net


samedi 16 décembre 2017

So british, de Cristian Ronsmans





© photo Cristian R
"l'objet du délit




Mon ami Cristian (dont ce blog héberge avec fierté plusieurs des poèmes, articles et autres)
nous avait fait l'honneur de changer sa photo de profil. Chacun y est allé de ses commentaires, avec humour et malice devant ce beau gosse, à l'allure "so british" ! Voici ce qu'il me répondit avec sa verve et son érudition bien connues.

fruban






"British!!! Je vais te raconter à toi seule l'origine du mot. Il est composé de deux syllabes: Brit et Ish.
Or en hébreu et pour la religion juive "brit millah" a une signification précise. Il s'agit de la circoncision. "Alliance par la coupure"
Or en hébreu toujours Ish est le masculin de Isha la femme Eve qui devient Isha quand comme l'homme elle est revêtue de peau. .
Ce qui démontre par là que le Brit Ish est un masculin coupé. Donc circoncis. C'est marrant l'hébreu.
Comme tu peux le constater je suis un linguiste coquin."

Cristian R
le 16 décembre 2017

mercredi 13 décembre 2017

Fêtes de Noël et de la Saint-Sylvestre


Fêtes de Noël et de la Saint-Sylvestre

Mon esprit et mon coeur hésitent, se déchirent.
Plaisir de se réunir pour offrir et recevoir des cadeaux choisis par l'amour
Plaisir de décorer un sapin, toujours un peu magique, féerique
Plaisir de dresser une jolie table, de préparer un repas simple mais différent, plus élaboré
Souvenir de mes années d'enfance, de l'excitation fébrile du petit matin
Souvenir de la fête et du spectacle préparés à l'école primaire...Nous chantions "Vive le vent, vive le vent d'hiver" !

Pourtant, colère et honte devant les étalages, les bousculades, le gaspillage, les enjeux mercantiles... quand tant de personnes vivent et dorment dans la rue, quand la faim, la misère et les guerres assassinent des millions d'innocents
Pourtant, chagrin et souffrance puisque tu n'es plus avec nous, Fabrice mon fils bien-aimé, égaré dans ton éternité

Fêtes de Noël et de la Saint-Sylvestre

Votre arrivée prochaine verse en mon coeur des parfums bien divers
Alors, à vous qui êtes ici, à vous mes amis, je demande un peu de patience, le respect de mes silences ou de mes cris de colère...Je demande votre indulgence si mes états d'âme connaissent de curieuses danses, dictées par des émotions et des sentiments si souvent mouvants, dans le kaléidoscope de mon coeur et de mon esprit....



© fruban

décembre 2017







© photos fruban
Noël 2013





mardi 12 décembre 2017

Jean d'Ormesson, invité d'Elsa Boublil (France Musique)





Jean d'Ormesson, © Getty / Frederic Souloy







Le grand écrivain Jean d'Ormesson est mort dans la nuit du 4 au 5 décembre. Il était l'invité d'Elsa Boublil en octobre 2016.

Pauline Viardot
Sonatine en la mineur op.39 (allegro)
Annette Barbara Vogel, violon
Ayako Tsuruta, piano

G. Verdi
La Traviata (Prélude)
Orchestre du Metropolitan de New York
Direction : Richard Bonynge

Chant grégorien
Les Noces de Cana (Precatus est Moyse)
Alfred Deller Consort

Marc Cab, Bob Fisher, Henri Varma
Mama te quiero
Rina Ketty, chant

D. Milhaud
Le Boeuf sur le toit
Orchestre de l'Opéra National de Lyon
Direction : Kent Nagano

W. Mozart
Les Noces de Figaro (air de Chérubin)
Laura Polverelli, mezzo soprano
Orchestre de la Grande Ecurie et la Chambre du Roy
Direction : Jean-Claude Malgoire

W. Mozart
Gran partita (adagio)
Academy of SAint Martin in The Fields
Direction : Neville Mariner

J. S. Bach
Chaconne de la partita n°2 en ré mineur
Maxime Vengerov, violon

L. Beethoven
Symphonie n°7 en la Majeur (allegretto)
Orchestre Révolutionnaire et romantique
Direction : John Eliott Gardiner

J. Offenbach
Les Contes d'Hoffmann : Belle nuit ô nuit d'amour (acte IV, duo Nicklausse/Giulietta)
Patricia Petibon et Karine Deshayes
Choeur et Orchestre de l'Opéra National de Lyon
Direction : Yves Abel

Marguerite Monnot, Calude Delecluse, Michèle Senlis
Les Amants d'un jour
Edith Piaf, chant

G. Verdi
Nabucco : choeur des esclaves
Choeur et Orchestre de la Scala de Milan
Direction : Ricardo Muti

Jean-Baptiste Clément, Antoine Renard
Le Temps des cerises
Yves Montant, chant

(Première diffusion le 30 octobre 2016)

France Musique


Il faut juste cliquer ci-dessous







lundi 11 décembre 2017

Décembre sur les ailes du temps, poème de fruban




Décembre sur les ailes du temps



Sur le dos des grues cendrées
à travers brumes et flocons voltigeurs
Je sème à la volée des Je t'aime
L'écho des vallées les renvoie vers moi


  / Je pense à toi à ta force de vivre
Je t'aime
A tout ce que tu fais en regardant le monde
Même au bord de ta grande bleue dans cette immensité
je sais que ton regard pénètre /



La lune voleuse de sommeil enfle enfle
Je souris à cette insomnie gris souris
qui me parle de toi là-bas
entre gravité et fous rires


/ Tes mains dans tes poches en te retournant n'y sont pour rien
tu te promènes avec les tourments des gens
Je le sais je te vois
Tu es
incroyablement vraie
Je t'aime /


Ce matin les brouillards recouvrent l'horizon
m'enveloppent et étouffent mon cœur
Le spleen baudelairien envahit l'âme
Tu le sais toi qui me vois


/ Il avait plu à Batz sur Mer 
Le bedeau avait dit
ce soir je ne sonne pas les cloches 
merde à vous je nettoie mes bigorneaux
Je ris    __   Je t'aime en vrai /


Il neige petit clown
le froid pénètre mon corps gelé
qui se recroqueville   __   puis se tend
Vers toi mon amour
Les flammes crépitent dans la cheminée



Vaste ciel d'automne
étend ton drap de satin
Nuit caresse-les



Ce matin des perles de givre 
habillent les arbres noirs et nus 
Comme des guirlandes de nacre sur mon cœur
Sur l'herbe verte gisent encore de pauvres feuilles 
les dernières flammes de l'automne 
Bientôt les couleurs de la vie auront disparu 
Je guetterai au fil des jours les bourgeons 
les premières pousses vertes les perce-neige de l'espoir
J'aimerais m'endormir moi aussi renaître avec un coeur vierge 
reprendre une route de lumière moins sinueuse moins chaotique 
Me laisser emporter par les vents...




© fruban
quelques jours en décembre 2017

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écriture en cours














© photos fruban



vendredi 8 décembre 2017

"L'Âme des marées", édition bilingue français-grec, fruban





Ils sont arrivés, presque comme le divin enfant, à quelques jours près !
Je suis heureuse et fière de les toucher, de les voir en vrai ! Heureuse de voir l'aboutissement d'une belle complicité amicale, entre le traducteur Athanase Athanassou et moi-même.
Encore une fois je remercie Véronique Sauger et les éditions épingle à nourrice
Je remercie toute l'équipe de Gens du monde, si dévouée et compétente.

S'il y a quelques visiteurs de ce blog qui sont intéressés par ce recueil, qu'ils me contactent ici (email dans Contact) ou sur facebook.


" Françoise Ruban nous offre avec ce recueil un sentiment d'universalité capable de métamorphoser l'instant avec plaisir et complicité. S'ajoute ici la traduction en grec d'Athanase Athanassiou, venant confirmer cette universalité, justement, indispensable à la paix intérieure et elle-même miroir de la paix dans le monde. C'est dire combien il est important et bouleversant de le lire absolument."
Véronique Sauger
(petit extrait de la 4ème de couverture)








mercredi 6 décembre 2017

Ô Fabrice, de fruban





Ô Fabrice
Toi tu sais ce que valent la Vie l'Amour la Mort
Les hommes deviennent fous
de mépris d'intolérance de méchanceté
Que me dirais-tu aujourd'hui
que Jean d'O que Johnny t'ont rejoint

Avec Jean d'O je parle philo
Avec Johnny je souris et gratte ma guitare

Toi tu sais la vanité des prétentions humaines
Quand la Camarde crée enfin l'égalité
Comme toi je me régale à jamais
des yeux bleus malicieux de Jean d'O
De Johnny je fredonne de belles chansons

Avec notre académicien nous nous interrogeons
il a retrouvé Tonton et Aragon
il fait pétiller ses yeux bleus avec Ferrat
Avec l'idole des jeunes nous improvisons
tantôt rock tantôt blues je lui rappelle
cet album que je t'avais offert Sang pour sang

Ô Fabrice
Ici la même lumière le même soleil
pour l'aristocrate de droite
pour le rocker aux yeux fatigués
Tu sais je lis L'espérance d'un baiser 1*
et je me dis qu'Auschwitz c'était bien autre chose
Prends soin de toi mon fils
Je t'aime

© fruban

le 6 décembre 2017

1* de Raphaël Esrail



Jean d'Ormesson
disparu le 5 décembre 2017















Johnny Hallyday, Jean-Philippe Smet
disparu le 6 décembre 2017

dimanche 3 décembre 2017

Pour l'artiste, le poète, le parolier, le musicien, de Daniel Longhi

Ce qui est est
Amor fati amor
Amor fati amor
Ce qui est est
B.Cantat



Il faut tuer l'homme, le mettre plus bas que terre, l'empêcher d'être et d'exister.
En faire un exemple, parce que connu, porter une croix ne suffit pas, il leur faut une crucifixion en place publique pour l'éclat, le principe....mais lequel au juste ?
Je ne défends pas cet homme, ne le juge pas non plus il l'a été et a payé sa dette à la société.
Mais je dénonce le fond de ces polémiques qui ne cessent, qui sont sans fin dès qu'il crée ou remonte sur scène, la calomnie incessante, les propos haineux, l'hypocrisie, l'acharnement des médias, le mensonge, l'appât du gain des torchons à scandale, la vindicte populaire toutes ces personnes qui se prennent à la fois pour des juges et bourreaux ou encore pour des psychiatres délivrant un faux diagnostic comme quoi cette personne serait "un pervers narcissique".
Et tous ces journalistes faux-culs de première qui crachent leur venin, tous ces animateurs télé ou et de radio qui se rangent derrière cette machination en route... c'est à gerber.
Quant aux propos déplacés de Mme Marlène Schiappa qui en tant que secrétaire d'État se permet une ingérence dans son tweet sur la promo faite de la sortie de ce nouveau cd... en quoi sa position au sein de ce gouvernement lui permet-elle de salir une personne sur la place publique ? La liberté d'expression ? Ok dans ce cas il faut y mettre des rondeurs... savoir pondérer ses propos...elle est à la limite de la faute professionnelle en alimentant cette polémique, elle confond militantisme (bien que ce pourquoi elle milite est juste) et devoir de réserve !
Bref pour être clair ça me gonfle et je prends position pour l'artiste, le poète, le parolier, le musicien, pour le reste je laisse ça aux charognards et aux cons qui mélangent tout.

© Daniel Longhi

le 2 décembre 2017







© Pochette de l'album Amor Fati
Bertrand Cantat









Bertrand CANTAT & AMOR FATI en concert. Les premières dates ci-dessous

1 mars 2018 - La Rochelle - La Sirène
7 mars 2018 - Strasbourg - La Laiterie
9 mars 2018 - Dijon - La Vapeur
14 mars 2018 - Grenoble - La Belle Électrique
16 mars 2018 - Istres - L’Usine
17 mars 2018 - Clermont Ferrand - La Coopérative de Mai
21 mars 2018 - Lyon - Le Transbordeur
23 mars 2018 - Rouen - Le 106
29 mars 2018 - Bordeaux - Le Rocher de Palmer
30 mars 2018 - Bordeaux - krakatoa
20 avril 2018 - Lausanne - Les Docks
21 avril 2018 - Nancy - L’Autre Canal
23 avril 2018 - Luxembourg - Rockhal
3 mai 2018 - Nantes - Stereolux
4 mai 2018 - Lille - L’Aeronef
6 mai 2018 - Bruxelles - Ancienne Belgique
23 mai 2018 - Toulouse - Le Bikini
24 mai 2018 - Marseille - Le Silo
29 mai 2018 - Paris - Olympia

Ouverture de la billetterie le 7 décembre à 10h.


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samedi 2 décembre 2017

Lhasa de Sela, Concert à Reykjavik (2009)

Pour mon fils Fabrice, mon amour absent

C'est toi qui me l'avais fait connaître. Vous êtes partis à quelques mois d'intervalle. Je te l'offre et je l'écoute avec toi.









Près de huit ans après le décès de la chanteuse, un cadeau inattendu : un album réunissant les meilleures prises de deux spectacles donnés en Islande en mai 2009.

Sur ce disque posthume, on entend une Lhasa de Sela en totale communion avec ses musiciens, comme si ces cinq humains respiraient avec le même poumon. On entend la chanteuse d’origine américano-mexicaine parler timidement au public, rire. On a aussi conservé les applaudissements nourris et chaleureux des spectateurs, puis un silence d’église dès les premières notes. Tout, ici, fait l’éloge de la lenteur et de la douceur, et c’est beau.

Au moment où Lhasa de Sela offrait ces prestations, elle se savait déjà malade. Elle allait chanter les compositions de son troisième album, tout neuf, accompagnée du guitariste Joe Grass, du contrebassiste Miles Perkin, du batteur Andrew Barr et de la harpiste Sara Pagé. La chanteuse s’est éteinte à Montréal six mois après ce voyage à Reykjavik, le 1er janvier 2010.

Retrouvez l’authenticité et la douceur de Lhasa

Quelle authenticité. Quand Lhasa de Sela est apparue comme un lever de soleil en 1998, dépeignant une Amérique latine entre le réel et l’imaginaire, on savait qu’on avait affaire à une artiste d’exception. Elle semblait vouloir mettre un baume sur nos âmes avec son chant doux. Une berçante, qui mariait des récits mélancoliques à des musiques légères, comme en traînent les gens du voyage pour qui le bagage est avant tout immatériel. Lhasa ne semblait même pas se soumettre aux percussions, si fines soient-elles, de ces musiques suaves, comme si elle volait au-dessus de ses propres chansons.

Au fil de ses trois albums, jamais la chanteuse n’a succombé aux modes. Il en faut de la générosité pour offrir une musique autre, sans se soucier du marché. Être en marge tout en douceur.

Après une existence trop brève et un départ dans la discrétion, la voici qui repasse avec ce cadeau inattendu : 14 plages qui pigent majoritairement dans son troisième disque, mais aussi dans La Llorona (De cara a la Pared) et dans The Living Road (Con Toda Palabra, La confession). Aussi, une superbe version de A Change Is Gonna Come de Sam Cooke, en duo avec l’as de la guitare Joe Grass, aujourd’hui très en demande.

Ces chansons, par leur qualité intime, se nicheront au creux du public fidèle de Lhasa, ici comme à Reykjavik, ou ailleurs sur cette planète qui l’a vu briller le temps d’un vol trop court.

Ici Musique ca



Lhasa
photo du Net


Extrait de l'album










Lhasa sur Fip radio



https://www.fip.fr/player/reecouter?play=30706


vendredi 1 décembre 2017

Poème Denis Tellier




Il s'éloigna de quelques pas
Il se retourna
Il avait les bras ballants
De sa main droite du bout des doigts
Il pressa très fort son pouce sur son index, il se toucha une dernière fois
Il regarda devant très vite où mettre son prochain pas
Ils lui tirèrent dans le dos, je sais cela ne rime pas trop
Il vacilla et il tomba
Tu le vois

© Denis T

le 1er décembre 2017



manuscrit Denis T






Anna Akhmatova chantée par Svetlana Loukine














Extraits de Requiem



VIII

 À la mort

 Tu viendras, de toute façon –

         Pourquoi pas maintenant ?

C’est trop difficile pour moi –

         Je t’attends.

J’ai éteint la lampe, je t’ai ouvert la porte.

À toi, si simple, si merveilleuse ;

Prends pour l’occasion, la forme

Que tu voudras ; Engouffre-toi

Comme un obus meurtrier, ou

À la légère, comme une canaille avisée,

Ou comme un virus –

         Le typhus.

Ou comme cette histoire

         Que tu as inventée,

Que nous connaissons tous jusqu’à la nausée,

Qui me fait revoir les chapkas bleues

Et aussi le gardien, blême de peur.

Maintenant, tout m’est égal.

         L’Iénisséi

Tourbillonne. L’étoile polaire

Brille. Et l’éclat bleu

Des yeux bien-aimés s’osbscurcit

D’une terreur dernière.



Maison de la Fontanka, été 1939




LA PORTE EST ENTROUVERTE

La porte est entrouverte.
Les tilleuls frémissent…
Oubliés sur la table :
Une cravache, un gant.

La lampe fait un cercle de clarté.
Il y a des bruits que j’entends.
Pourquoi es-tu parti?
Je ne comprends pas.

Demain matin la lumière
Sera pleine de joie.
Cette vie est brève.
Sois sage, mon coeur.

Tu es à bout de force,
Tu bats plus sourdement.
Tu sais, je l’ai lu quelque part:
Les âmes sont immortelles.


Requiem d'Anna Akhmatova sur RTS



Composé en 1940 par la grande poétesse russe Anna Akhmatova, "Requiem", "le poème de tous", le "poème épique dʹun grand peuple martyr", comme le qualifie Paul Valet, est une œuvre unique, constituée de poèmes écrits entre les années 1930 et 1957. Nicolas Bouvier qualifiait cet ensemble qui dit la terreur stalinienne de "testament superbe". Née le 23 juin 1889 à Odessa, Anna Akhmatova, proche du poète Ossip Mandelstam, passa sa jeunesse à Tsarkoïé Sélo. Ses premiers poèmes sont lyriques et pouchkiniens. Quand la guerre de 1914 éclate la réalité la rattrape et transforme sa poésie en profondeur. En octobre 1917, elle reste en Russie contrairement à nombre de ses amis. Cʹest son choix, elle en paiera le prix fort avec la mort de son mari, Nicolas Goumilev, en 1921, fusillé pour activités antisoviétiques. Puis, cʹest son fils qui est arrêté en 1938. Sʹensuit la guerre et la privation à Leningrad. En 1946, sa poésie est taxée dʹoccidentalisme. Elle ne peut plus publier. En 1956 son fils est enfin libéré. Anna Akhmatova meurt le 5 mars 1966 à lʹâge de 77 ans après une longue et douloureuse existence.

Le labo, 08.10.2017, 19h03


jeudi 30 novembre 2017

"L'Âme des marées", édition bilingue français-grec


J'ai la grande joie d'apprendre que "L'Âme des marées", édition bilingue français-grec, vient de partir chez l'imprimeur ! Il devrait paraître vers le 15 décembre.
Mes amis grecs et hellénistes pourraient avoir une idée de cadeau pour les fêtes de fin d'année !
Je remercie tout particulièrement mon ami traducteur Athanase Athanassiou, et les éditions épingle à nourrice, sans lesquels ce projet n'aurait jamais vu le jour. Merci du fond du coeur !

fruban, le 30 novembre 2017



Couverture ene



livres, extraits et auteurs ene


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mardi 28 novembre 2017

Etat de siège, Mahmoud Darwich


Etat de siège 


Un poème inédit de Mahmoud Darwich.
Ramallah, janvier 2002
Par Mahmoud Darwich



Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps
Près des jardins aux ombres brisées,
Nous faisons ce que font les prisonniers,
Ce que font les chômeurs :
Nous cultivons l’espoir. * * *

Un pays qui s’apprête à l’aube. Nous devenons moins intelligents
Car nous épions l’heure de la victoire :
Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage.
Nos ennemis veillent et nos ennemis allument pour nous la lumière
Dans l’obscurité des caves. * * *

Ici, nul « moi ».
Ici, Adam se souvient de la poussière de son argile. * * *

Au bord de la mort, il dit :
Il ne me reste plus de trace à perdre :
Libre je suis tout près de ma liberté. Mon futur est dans ma main.
Bientôt je pénètrerai ma vie,
Je naîtrai libre, sans parents,
Et je choisirai pour mon nom des lettres d’azur... * * *

Ici, aux montées de la fumée, sur les marches de la maison,
Pas de temps pour le temps.
Nous faisons comme ceux qui s’élèvent vers Dieu :
Nous oublions la douleur. * * *

Rien ici n’a d’écho homérique.
Les mythes frappent à nos portes, au besoin.
Rien n’a d’écho homérique. Ici, un général
Fouille à la recherche d’un Etat endormi
Sous les ruines d’une Troie à venir. * * *

Vous qui vous dressez sur les seuils, entrez,
Buvez avec nous le café arabe
Vous ressentiriez que vous êtes hommes comme nous
Vous qui vous dressez sur les seuils des maisons
Sortez de nos matins,
Nous serons rassurés d’être
Des hommes comme vous ! * * *

Quand disparaissent les avions, s’envolent les colombes
Blanches blanches, elles lavent la joue du ciel
Avec des ailes libres, elles reprennent l’éclat et la possession
De l’éther et du jeu. Plus haut, plus haut s’envolent
Les colombes, blanches blanches. Ah si le ciel
Etait réel [m’a dit un homme passant entre deux bombes] * * *

Les cyprès, derrière les soldats, des minarets protégeant
Le ciel de l’affaissement. Derrière la haie de fer
Des soldats pissent - sous la garde d’un char -
Et le jour automnal achève sa promenade d’or dans
Une rue vaste telle une église après la messe dominicale... * * *

[A un tueur] Si tu avais contemplé le visage de la victime
Et réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre
A gaz, tu te serais libéré de la raison du fusil
Et tu aurais changé d’avis : ce n’est pas ainsi qu’on retrouve une identité. * * *

Le brouillard est ténèbres, ténèbres denses blanches
Epluchées par l’orange et la femme pleine de promesses. * * *

Le siège est attente
Attente sur une échelle inclinée au milieu de la tempête. * * *

Seuls, nous sommes seuls jusqu’à la lie
S’il n’y avait les visites des arcs en ciel. * * *

Nous avons des frères derrière cette étendue.
Des frères bons. Ils nous aiment. Ils nous regardent et pleurent.
Puis ils se disent en secret :
« Ah ! si ce siège était déclaré... » Ils ne terminent pas leur phrase :
« Ne nous laissez pas seuls, ne nous laissez pas. » * * *

Nos pertes : entre deux et huit martyrs chaque jour.
Et dix blessés.
Et vingt maisons.
Et cinquante oliviers...
S’y ajoute la faille structurelle qui
Atteindra le poème, la pièce de théâtre et la toile inachevée. * * *

Une femme a dit au nuage : comme mon bien-aimé
Car mes vêtements sont trempés de son sang. * * *

Si tu n’es pluie, mon amour
Sois arbre
Rassasié de fertilité, sois arbre
Si tu n’es arbre mon amour
Sois pierre
Saturée d’humidité, sois pierre
Si tu n’es pierre mon amour
Sois lune
Dans le songe de l’aimée, sois lune
[Ainsi parla une femme
à son fils lors de son enterrement] * * *

Ô veilleurs ! N’êtes-vous pas lassés
De guetter la lumière dans notre sel
Et de l’incandescence de la rose dans notre blessure
N’êtes-vous pas lassés Ô veilleurs ? * * *

Un peu de cet infini absolu bleu
Suffirait
A alléger le fardeau de ce temps-ci
Et à nettoyer la fange de ce lieu * * *

A l’âme de descendre de sa monture
Et de marcher sur ses pieds de soie
A mes côtés, mais dans la main, tels deux amis
De longue date, qui se partagent le pain ancien
Et le verre de vin antique
Que nous traversions ensemble cette route
Ensuite nos jours emprunteront des directions différentes :
Moi, au-delà de la nature, quant à elle,
Elle choisira de s’accroupir sur un rocher élevé. * * *

Nous nous sommes assis loin de nos destinées comme des oiseaux
Qui meublent leurs nids dans les creux des statues,
Ou dans les cheminées, ou dans les tentes qui
Furent dressées sur le chemin du prince vers la chasse. * * *

Sur mes décombres pousse verte l’ombre,
Et le loup somnole sur la peau de ma chèvre
Il rêve comme moi, comme l’ange
Que la vie est ici... non là-bas. * * *

Dans l’état de siège, le temps devient espace
Pétrifié dans son éternité
Dans l’état de siège, l’espace devient temps
Qui a manqué son hier et son lendemain. * * *

Ce martyr m’encercle chaque fois que je vis un nouveau jour
Et m’interroge : Où étais-tu ? Ramène aux dictionnaires
Toutes les paroles que tu m’as offertes
Et soulage les dormeurs du bourdonnement de l’écho. * * *

Le martyr m’éclaire : je n’ai pas cherché au-delà de l’étendue
Les vierges de l’immortalité car j’aime la vie
Sur terre, parmi les pins et les figuiers,
Mais je ne peux y accéder, aussi y ai-je visé
Avec l’ultime chose qui m’appartienne : le sang dans le corps de l’azur. * * *

Le martyr m’avertit : Ne crois pas leurs youyous
Crois-moi père quand il observe ma photo en pleurant
Comment as-tu échangé nos rôles, mon fils et m’as-tu précédé.
Moi d’abord, moi le premier ! * * *

Le martyr m’encercle : je n’ai changé que ma place et mes meubles frustes.
J’ai posé une gazelle sur mon lit,
Et un croissant lunaire sur mon doigt,
Pour apaiser ma peine. * * *

Le siège durera afin de nous convaincre de choisir un asservissement qui ne nuit
pas, en toute liberté !! * * *

Résister signifie : s’assurer de la santé
Du coeur et des testicules, et de ton mal tenace :
Le mal de l’espoir. * * *

Et dans ce qui reste de l’aube, je marche vers mon extérieur
Et dans ce qui reste de la nuit, j’entends le bruit des pas en mon intention. * * *

Salut à qui partage avec moi l’attention à
L’ivresse de la lumière, la lumière du papillon, dans
La noirceur de ce tunnel. * * *

Salut à qui partage avec moi mon verre
Dans l’épaisseur d’une nuit débordant les deux places :
Salut à mon spectre. * * *

Pour moi mes amis apprêtent toujours une fête
D’adieu, une sépulture apaisante à l’ombre de chênes
Une épitaphe en marbre du temps
Et toujours je les devance lors des funérailles :
Qui est mort...qui ? * * *

L’écriture, un chiot qui mord le néant
L’écriture blesse sans trace de sang. * * *

Nos tasses de café. Les oiseaux les arbres verts
A l’ombre bleue, le soleil gambade d’un mur
A l’autre telle une gazelle
L’eau dans les nuages à la forme illimitée dans ce qu’il nous reste * * *

Du ciel. Et d’autres choses aux souvenirs suspendus
Révèlent que ce matin est puissant splendide,
Et que nous sommes les invités de l’éternité.


Littérature, Palestine
(Traduit de l’arabe (Palestine) par Saloua Ben Abda et Hassan Chami.)
Mahmoud Darwish



Mahmoud Darwich
photo du Net


vendredi 24 novembre 2017

Françoise Héritier, France Culture

Pour rendre hommage à l'anthropologue Françoise Héritier, décédée ce 15 novembre, nous vous proposons de réentendre l'entretien enregistré cette année chez elle par Frédéric Worms et diffusé le 13 février dernier.







Françoise Héritier reçoit les Discussions du soir chez elle, et on comprend à la fin de la conversation le point où toute sa pensée et son action s’unissent ! Le féminin. Ou plutôt la distinction masculin/féminin universel de la culture, objet d’une variation infinie entre toutes les cultures. Par où elle reprend l’anthropologie de Levi-Strauss, qu’elle a enseignée comme lui au Collège de France. Mais une distinction qui comprend si souvent de la violence. Et qu’il faut donc changer, déplacer, comme elle l’a fait, dans des comités, dans des interventions, anthropologue dans la Cité.
Françoise Héritier : changer la société par la connaissance de l’humain; penser l’humain pour changer la société.

En premier lieu, il nous faut bien comprendre qu'être différent ne veut pas dire inégal. Le contraire de différent est semblable, même. Le contraire d'inégal est égal et non pas semblable. En voyant dans la différence la marque d'une inégalité, nous faisons faire un pas de côté à la langue sans nous interroger. Nous avons changé de registre, philosophiquement parlant, car la différence n'implique pas l'inégalité. - La différence des sexes - Françoise Héritier



FranceCulture




Portrait de l'anthropologue Françoise Héritier, décembre 2013 • Crédits : Yannick Coupannec / Leemage - AFP

jeudi 23 novembre 2017

Asli Erdogan, Rencontres d'Averroès (Marseille), article L'Humanité

© Photo : Basso Cannarsa/Opale/Leemage





Asli Erdogan :
 "Tout au long de ma vie, je me suis demandé comment faire de la littérature avec la violence "

La romancière et journaliste turque Asli Erdogan a été mise en liberté conditionnelle en avril dernier, après avoir passé 136 jours en prison. Son procès a repris à Istanbul le 31 octobre. Depuis septembre, elle peut à nouveau voyager. Elle était, dimanche, l'invitée exceptionnelle des 24e Rencontres d'Averroès, au théâtre de la Criée, à Marseille.

Comment allez-vous et quelle est votre situation aujourd'hui ? Avez-vous posé vos valises à Francfort ? 

Asli Erdogan : J'ai quitté la Turquie à la fin du mois de septembre après un long combat pour récupérer mon passeport. Je ne suis pas vraiment installée à Francfort, je vis dans un no man's land, je voyage beaucoup. J'ai l'intention de revenir dès que la situation sera moins dangereuse, mais j'ai très peur de l'état d'urgence. Si je rentre en Turquie, on peut me reprendre mon passeport et je risque de ne jamais en ressortir. Bien sûr, mon procès n'est pas terminé. Le procureur avait requis une peine de prison à vie, plus dix-sept ans. La requête de la perpétuité a été suspendue, ainsi que dix ans de sûreté, mais je risque encore une peine de sept ans et demi. La plupart des avocats pensent que je serai acquittée, mais la Turquie est totalement imprévisible.

  Ce caractère imprévisible de la répression rend-il la situation actuelle différente d'autres périodes de l'histoire de la Turquie ? 

  Asli Erdogan : J'ai vécu à plusieurs reprises sous des régimes de dictature militaire. C'était simple, tout noir ou tout blanc : la junte éliminait tous les opposants. Le régime actuel est complètement hors-la-loi, on ne peut plus prédire qui sera arrêté et pour quel motif. L'un de mes meilleurs amis a été arrêté pour complicité avec le mouvement Gülen (Fetö). J'ai été arrêtée pour complicité avec le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan). Un journalisté a été arrêté pour complicité avec le DHKP-C (organisation d'extrême gauche), Fetö et le PKK. Comment peut-on être membre de trois organisations différentes, à moins d'être schizophrène ? Ce caractère arbitraire de la répression terrorise la population. Un juge a été arrêté en plein tribunal simplement parce qu'il avait posé trop de questions à un membre des services secrets. Cet exemple montre que la loi n'existe plus.

  Le thème de la prison revient régulièrement dans vos textes de fiction, notamment dans Le Bâtiment de pierre, inspiré d'un centre de détention d'Istanbul où sont incarcérés et torturés des prisonniers politiques et des enfants des rues. Pourquoi avoir choisi une forme élégiaque, une approche onirique, pour dire une réalité insoutenable ? 

  Asli Erdogan : Je me suis posé cette question tout au long de ma vie d'écrivain : comment dire l'indicible, comment faire de la littérature avec la violence, la torture ? Fait-il le faire ? Dans ce livre, je voulais trouver le langage du traumatisme. Je n'étais jamais allée en prison mais mes proches y étaient allés, j'avais beaucoup lu sur la torture. En Turquie, certains critiques m'ont reproché d'avoir écrit un livre trop poétique. Mais quand je me suis retrouvée en prison, j'ai ressenti exactement ce que j'avais écrit dans mon roman : le traumatisme s'incarnait par des images très fortes, en noir et blanc, nimbées d'un gros nuage. Le narrateur du livre est multiple, c'est une sorte de chœur. Il y a une femme, un traître, quelqu'un qui va être trahi, une personne qui va se suicider, un ange et un fou qui ont tous deux le visage séparé en deux par une cicatrice. A la fin, je deviens la narratrice et j'endosse la responsabilité de tous ces personnages. Je suis à la fois le traître et celui qui est trahi, celui qui meurt d'un traumatisme et celui qui parvient à s'échapper. Une partie de moi est restée en prison et l'autre, Asli la survivante, est ici devant vous. J'essaie de réconcilier toutes ces parties de moi qui ne s'écoutent pas et sont inconciliables. Ce livre est une élégie pour une personne disparue depuis 1998, dont on n'a appris la mort qu'en 2002. Je me sens comme une traîtresse car j'ai survécu. C'est la culpabilité du survivant, très bien décrite par Primo Levi.

  Comment avez-vous commencé à écrire de la fiction ? Vous étiez une enfant surdouée ? 

  Asli Erdogan : J'ai appris à lire et à écrire seule à l'âge de 4 ans. On a découvert que j'avais cette intelligence hors normes, mais, sur d'autres plans, j'étais plutôt en retard : j'étais très timide, je ne pouvais pas lacer mes chaussures seule. La lecture était mon refuge, dans un contexte de grande violence. J'ai connu l'arrivée au pouvoir de la junte militaire en 1971-72 ; la police a fait irruption dans l'appartement de mes parents. J'ai écrit mon premier poème à l'âge de 10 ans, en secret. Mais ma grand-mère, qui était poétesse, l'a fait publier. Je me suis sentie très humiliée et j'ai tout arrêté jusqu'à mes 20 ans. J'ai recommencé à écrire sérieusement quand j'étais au CERN, l'organisation européenne pour la recherche nucléaire à Genève. Je travaillais 14 heures par jour, comme physicienne, et j'écrivais la nuit, Le Mandarin miraculeux, un livre très nocturne. C'était un acte de survie et une confession précoce. La narratrice est borgne : à travers elle, je dis au lecteur que je ne vois qu'une moitié de la réalité. Je parle de la pénombre, du vide, il ne faut pas attendre de moi que je parle des couleurs car je suis à moitié aveugle. Cette division est en moi. Je suis un écrivain très sombre.

  Quand avez-vous compris que vous vouliez ne faire qu'écrire ? Votre roman La Ville dont la cape est rouge, écrit après un séjour au Brésil, a-t-il été décisif ? 

  Asli Erdogan : En 1994, j'ai dû fuir la Turquie. J'avais écrit des lettres sur la situation de 157 Africains arrêtés et internés dans des camps. J'avais parlé d'un camp de concentration car ces gens n'avaient pas été jugés. J'ai utilisé mon CV de physicienne pour me mettre à l'abri au Brésil. Rio était, à l'époque, la ville la plus dangereuse du monde. Ce fut un énorme choc, je n'avais jamais eu une expérience si profonde de la mort, de la mortalité. La Ville dont la cape est rouge, que j'ai écrit à 30 ans, est mon livre préféré. Le personnage et la ville se font face, comme un jeu de miroirs ou d'échecs. Quand j'ai commencé le livre, j'étais très malade. Je pesais 43 kilos, tout le monde pensait que j'étais devenue folle. J'ai presque été soulagée quand on m'a diagnostiqué une tumeur. Quand j'ai terminé le roman, j'étais guérie. Mais je n'avais plus de personnalité, j'avais arrêté la physique, je n'avais pas de ressources. Puis Radikal, un nouveau journal de gauche, m'a demandé d'être chroniqueuse. J'ai accepté, d'abord pour gagner ma vie. Encore aujourd'hui, je ne sais pas si j'ai fait le bon choix, mais j'ai adoré le journalisme. Je l'ai fait en tant qu'écrivain, avec une langue très littéraire. Je me sentais responsable de la vie des gens : à la manière d'un médecin, je vérifiais tout. Dans les années 1990, j'ai abordé des tabous de la société turque comme le viol, la torture et, bien sûr, la question kurde. Parfois, en écrivant, on pouvait réussir à faire sortir quelqu'un de prison. J'ai écrit sur une prisonnière kurde atteinte d'un cancer, à qui on n'accordait pas le droit de mourir chez elle, en violation de la loi. Elle a finalement été libérée. C'était une victoire, mais quand elle est morte, j'ai eu honte de m'être sentie victorieuse. J'ai compris la mort d'une manière bien plus profonde que dans mon travail de romancière.

  Quelle a été l'influence de vos parents, militants de gauche, dans votre construction intellectuelle ? 

  Asli Erdogan : J'ai tout appris seule, même la lecture. Je viens d'une famille de la classe moyenne. Mon père était ingénieur et ma mère économiste, ils étaient très à gauche. Ils avaient une importante bibliothèque d'ouvrages d'extrême gauche, de littérature réaliste. J'ai eu la chance de réussir l'examen d'entrée au Robert College, une école américaine prestigieuse. J'ai lu Shakespeare, Euripide, Kafka à l'âge de 14 ans... des auteurs auxquels je n'aurais jamais eu accès dans ma famille. Ma relation avec mon père est compliquée : j'admirais son activisme politique, mais il prenait trop de place. Il voulait toujours être le chef, même dans un groupuscule. Probablement en réaction, je suis très passive, solitaire. Dans mes articles ou dans mes lettres, j'ai toujours mené seule mon combat politique. Je ne suis pas une activiste, même si au cours des dernières années, j'ai appris à m'organiser. Il y a trois ans, j'ai mis en place une chaîne pacifique à la frontière de Kobané pour faire passer les blessés et l'aide médicale. La semaine suivante, l'armée a ouvert le feu et une étudiante de 28 ans est morte. J'ai écrit un texte sur elle, en référence à Rilke : Ce pays qu'on appelle la vie. 

  Aviez-vous, tout au long de ces années, le sentiment du danger ? Savez-vous quel texte a déclenché la colère du régime ?   

  Asli Erdogan : J'ai reçu mes premiers coups de fil de menaces dans les années 1990, quand j'ai écrit sur le viol de trois jeunes filles kurdes mineures par des milices paramilitaires. En 2015, quand la guerre a repris en Turquie, j'étais en résidence d'écriture à Cracovie. J'ai fait un bref voyage à Diyarbakir (Kurdistan) et à Suruç, où j'ai donné une interview qui a mis le régime en colère. Quand je suis rentrée définitivement, j'ai écrit sur Cizre, une ville kurde assiégée, après avoir vu un documentaire. On voit la police ouvrir le feu sur des vieilles femmes, des hommes et des enfants après leur avoir dit de sortir avec un drapeau blanc. Dans cette même ville, cent cinquante ou deux cent personnes ont été brûlées vives dans une cave. En m'appuyant sur la technique développée par le poète autrichien Helmrad Bäcker pour écrire sur Auschwitz, j'ai retranscrit des documents légaux. La langue administrative, plate, désincarnée, produit un effet hypnotique et permet de faire entendre les voix des victimes. J'ai écrit un premier article intitulé Ceci est ton père, dans lequel je cite le rapport d'autopsie d'un enfant de 12 ans et un document prouvant qu'on a rendu à une femme le corps de son mari sous la forme d'un sac de cendres et d'os. Quand ma mère a lu le texte, elle m'a appelée à 1h30 du matin en pleurs, en me disant d'arrêter. La même semaine, notre président a déclaré : « Ceux qui défendent les droits des terroristes seront traités encore plus durement que les terroristes. » Evidemment, j'ai écrit un second article dans lequel je cite un rapport de l'ONU affirmant que deux mille civils avaient été tués dans cette région en 2015. Je me contente de citer des documents légaux et on m'accuse d'être une dirigeante du PKK et de faire l'apologie du terrorisme.

  Est-ce la littérature qui est attaquée ? 

  Asli Erdogan : C'est très compliqué. En Turquie, beaucoup d'écrivains sont en prison. Selon l'association PEN International, il n'y en a jamais eu autant, tous pays confondus. Mais je n'ai pas été arrêtée pour mes écrits. On me reproche d'être conseillère littéraire du journal kurde Özgür Gündem. Cependant, je crois que ce qui les a mis en colère, c'est vraiment la littérature.

  Vos livres circulent-ils en Turquie ? 

  Asli Erdogan : Dans les années 1990, j'étais la princesse des lettres turques. Mais quand j'ai commencé le journalisme, ma couronne m'a été reprise. Le silence s'est installé autour de mon travail, mais il faut dire que je n'étais pas très productive. Quand je suis allée en prison, mes livres sont devenus des best-sellers. Mon éditeur turc a gagné beaucoup d'argent grâce à moi. Je ne me plains pas, cela m'a permis d'être redécouverte par la jeune génération, par de jeunes écrivains. Mais les gens qui me soutiennent ont eu des problèmes, comme par exemple les musiciens qui se réunissaient devant la prison deux fois par semaine. Beaucoup ont perdu leur travail.

  Ecrivez-vous en ce moment ? 

  Asli Erdogan : C'est toujours une question très douloureuse. Jusqu'à une période récente, j'ai eu beaucoup de symptômes post-traumatiques : amnésie, nausées, insomnies. On ne peut pas écrire dans ces conditions. Je dois remettre mon corps en état pour reprendre le long processus de l'écriture. Mais je commence depuis peu à ressentir le manque. Je sens que le moment approche, mais je me donne du temps.

Entretien réalisé par Sophie Joubert, au théâtre de La Criée, à Marseille, le dimanche 19 novembre 2017, dans le cadre des 24e Rencontres d’Averroès. Traduit avec Valentine Leÿs

L'Humanité du mercredi 22 novembre 2017