mercredi 30 décembre 2015

Je te l'ai dit, poème

Et sans prévenir, ça arrive 
Ça vient de loin 
Ça s´est promené de rive en rive 
Le rire en coin 
Et puis un matin, au réveil 
C´est presque rien 
Mais c´est là, ça vous émerveille 
Au creux des reins 

La joie de vivre 
La joie de vivre 
Oh, viens la vivre 
Ta joie de vivre
                                       
                                                                                                                     Barbara

                                         Je te l'ai dit                                      
                                                   
                                                                                                                                 



Je te l'ai dit

Ce fut d'abord le gris de cendre
Un gris dentelé de bleu
Et je m'enfuis

Respirer l'iode océane et ses embruns
cheveux fous sous le vent vivifiant
Un souffle caressé d'amour

Je te l'ai dit

Mots croisés éparpillés
mes deuils renouvelés
Et j'ai pleuré

Quand tu revins aspirer mes chagrins
comme un vaurien tu as ri
Et moi aussi j'ai ri

Je te l'ai dit

2015 la barbare

Son cortège de fantoches assassins
dévastant la Liberté
crachant feu de haine souillé de sang
Ses flots d'ignorance gonflés d'arrogance et de vengeances
Terre craquelée prête à exploser
A l'orée il y eut Charlie
Au crépuscule rougeoyant ce fut le Bataclan
Le sang déversé

Je te l'ai dit

Les marchands du temple
Guirlandes éteintes au pied des sapins
nœud coulant et cœur serré
cadeaux enrubannés éparpillés refusés piétinés
Et le tourbillon de la vie autre galaxie
Fils emmêlés
Nous nous sommes étranglés
En mon cœur la lumière s'est enfuie
inondant de noir les ciels d'hiver

Je te l'ai dit

Lentement j'entre dans l'hiver je l'apprivoise
Me nourris de l'odeur rouge du bois qui gémit
Et cette lune si ronde au soir de Noël
Je scrute les ciels encore les ciels
Quelques éoliennes clignotent rouge à l'horizon
presque une guirlande en ces fêtes ravagées
Et la lune enfle toujours se camoufle de sang
Dans quelques jours St Sylvestre sera le terme

Aujourd'hui

Je te le dis

Sous les feuilles mortes naissent les perce-neige
En juin un autre Solstice
une jupe de soie sauvage
une vague déferlante
une brise caressante

©fruban

le 29 décembre 2015

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Protégé par copyright

in Chorégraphie de cendre (éd épingle à nourrice),2017






crédit photo fruban





lundi 28 décembre 2015

Lettre d'Elsa Triolet à Louis Aragon

photo du Net







Il n’est pas facile de te parler. Tu sembles oublier que nous vivons l’épilogue de notre vie, qu’ensuite il n’y aura plus rien à dire et que l’index lui-même d’autres le liront — pas nous.

Je te reproche de vivre depuis trente-cinq ans comme si tu avais à courir pour éteindre un feu. Dans ta course, il ne faut surtout pas déranger, ni te devancer, ni t’emboîter le pas, ni te suivre — quel que soit l’ouvrage — aussi bien couper des branches sèches, il ne faut surtout pas s’aviser de faire quoi que ce soit avec toi, ensemble. Cette dernière entreprise est bien ce que j’avais vécu de plus affreusement triste. Tu es là à trembler devant mes initiatives, jamais tu ne discutes, tu ne fais que crier ou tu « prends sur toi ». Le plaisir normal de faire quelque chose ensemble, tu ne le connais pas. Un mot anodin à ce sujet et tu te mets à m’expliquer la montagne de choses que tu as à faire. Comme au téléphone, tu racontes toutes tes activités, à n’importe qui, pour expliquer que tu ne peux pas voir ce quelqu’un justement maintenant. En somme, rien de changé depuis l’exposition anti-coloniale.

Pourtant, il serait peut-être aussi urgent de parfois nous rencontrer. Il nous reste extrêmement peu de temps, et tu le sais mieux que quiconque. Mon Dieu, ce que la sérénité me manque, toute une vie comme dans la voiture où je ne peux jamais te dire « regarde ! » puisque toujours tu lis ou tu écris, et qu’il ne faut pas te déranger.

J’étouffe de toutes les choses pas dites, sans importance, mais qui auraient valu la vie simple, sans interdits. Avoir constamment à tourner la langue sept fois avant d’oser dire quelque chose, de peur de provoquer un cyclone — et lorsque cela m’échappe, cela ne rate jamais ! J’y ai droit.

Pourquoi je te le dis ? Pour rien. Comme on crie, bien que cela ne soulage pas. La solitude n’est pas le grand thème de mes livres, elle l’est — de ma vie. J’y suis habituée, je m’y plais après tout. À l’heure qu’il est, le contraire me dérangerait. Ce que je veux ? Rien. Le dire. Que tu t’en rendes compte. Mais j’ai déjà essayé, je sais que c’est impossible. Et si tu me dis encore une fois combien juste maintenant tu tiens tout à bout de bras — je casse tout dans la maison ! Je ne mendie pas, rien, ni ton temps, ni ton assistance, ce que je ne supporte pas c’est la manière dont tu te tiens sur la défensive, les barbelés et les fossés. Ma peine te dérange, il ne faut pas que j’aie mal, juste quand tu as tant à faire. Moi aussi je prends sur moi, et même je ne fais que cela. À en éclater, à sauter au plafond. Même ma mort, c’est à toi que cela arriverait.

Et puis — zut ! Je suppose que quand on n’a pas de larmes, il vous faut une autre soupape. Allons mettons que ce que je ressens soit pathologique, et consolons-nous avec ça. Autrement tu vas encore me sortir que « tu as encore commis un péché… » Et si c’était vrai ? Un péché contre un semblant de bonheur. Je te rappelle seulement l’heure : nous en sommes à moins cinq. Ne me dis pas à mois six et demi, parce que c’est la même chose.

Elsa Triolet


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