vendredi 28 août 2015

Vassilis Alexakis, La mer qui ressemble à la vie

Vassilis Alexakis, auteur greco-français




RTS Eclats de Méditerranée
La mer qui ressemble à la vie, avec Vassilis Alexakis

En écoute :

émission de 30 mn

http://www.rts.ch/audio/la-1ere/programmes/eclats-de-mediterranee/6930979-la-mer-qui-ressemble-a-la-vie-avec-vassilis-alexakis-21-08-2015.html

La mer qui ressemble à la vie avec Vassilis Alexakis
Elle connaît tous les jeux, renferme tous les mystères, elle est très vieille et étonnamment juvénile, la mer de Vassilis Alexakis .

Qui raconte l'Egée, son île de Tinos, la danse et l’horizon.


La Méditerranée déchirée, la Méditerranée, devenue cimetière et nouvelle frontière, mais aussi la mer qui sait écouter. La mer qu’on peut manger comme un morceau de bleu. La mer qui est tout…
Je me suis demandé longtemps qui allait pouvoir faire écho aux éclats passionnés surgis pendant l’été. Quand Vassilis Alexakis m’a dit "venez donc", j’ai su que ce serait lui. Lui qui a parsemé ses derniers livres de réflexions politiques et poétiques, sur la crise grecque et la mer.
Comme dans "La clarinette", paru en 2015, au Seuil, où il dit que la mer fait parfois osciller le bateau tout doucement en prenant les passagers pour des enfants qu’il faut bercer.
Vassilis Alexakis, érudit et tendre, pertinent mais doux, qui a raconté dans plusieurs romans, son voyage intime du grec au français, puis du français au grec, et son amour des langues.
Vassilis Alexakis qui a surtout écrit "La clarinette" pour son ami et éditeur, qu’il appelle simplement Jean-Marc. Il l’a accompagné jusqu’à la fin et au-delà, puisque leur dialogue se poursuit au fil des pages. Et même d’une chambre d’hôpital à une autre, puisqu’il parle depuis un lit blanc.
Mais comme debout face à l’horizon, sur son île de Tinos. Ou comme quand il nage avec son masque et qu’il a l’impression de voler.

A lire aussi
Parmi ses nombreux et très beaux romans et récits:
"Paris-Athènes", "La langue maternelle" et "L’Enfant grec", parus chez Stock et en Folio.



Paru dans BIBLIOBS

© photo Vincent Nguyen / AFP
Vassilis Alexakis et Jean-Marc Roberts, en 2005



Dans l’avion grec qui le ramène à Paris, Vassilis Alexakis est assis à côté d’une femme sujette au stress aéronautique. Elle lui demande ce qu’il fait dans la vie.

Lui : «Je suis équilibriste. »

« A votre âge ? », s’étonne la dame.

« J’évite les exhibitions périlleuses, dit-il pour la rassurer. Je ne fais plus les chutes du Niagara ni les tours de Notre-Dame. Je me produis dans les cimetières pour égayer les familles en deuil. Je croise les âmes qui montent vers le ciel. Elles montent très lentement, elles ne sont pas pressées de prendre congé du monde, on dirait qu’elles le regrettent déjà.»

Il faut prendre Alexakis au mot. Cet écrivain est vraiment un équilibriste. Malgré ses 72 ans et sa jambe récemment opérée d’un anévrysme, il avance, léger comme une plume, sur le fil tendu non seulement entre sa Grèce natale et sa France d’adoption, mais aussi entre les vivants et les morts. Avec «la Clarinette», cet exercice acrobatique touche au bel art et atteint le sommet de l’émotion.

Hiver 2012-2013. Son meilleur ami, son frère spirituel, son éditeur depuis quarante ans, est atteint d’un mal incurable. C’est Jean-Marc Roberts, qu’il entoure de son affection, visite dans son appartement du square Montholon ou à l’hôpital, qu’il apostrophe et tutoie à chaque page de ce roman-vrai.

A Jean-Marc, qui a trop fumé, Vassilis, qui tire comme un sapeur sur sa bouffarde, confie sa mélancolie. Il est fatigué de Paris, il se demande s’il ne va pas retourner vivre à Athènes, où il part provisoirement fêter son anniversaire et où son père, quand il était malheureux, se mettait au soleil.

Alors qu’il traduit son dernier roman en grec, qu’il se traduit en somme, il se sent également prêt à prendre congé de la langue française. Comme si la fin prochaine de Jean-Marc l’obligeait à un nouveau départ. Comme si, sans lui, la France ne serait plus la France. Alors, il se dépêche de lui dire qu’il l’aime.

Car, pour Alexakis, tout est bon dans le Roberts : ses femmes, ses enfants, ses romans (il les résume en une formule lumineuse et poignante: «Un petit garçon courant derrière un camion de déménagement»), ses habitudes, ses blagues, sa bravoure, son panache.

A son ami de cœur dévoré par le crabe, il adresse ce livre dont la forme emprunte à la démarche du crabe, tout en à-côtés, en diagonales, en digressions.

Il lui parle de la maladie qui frappe la Grèce, des SDF, des avantages fiscaux dont l’Eglise bénéficie et des menaces proférées par Aube dorée contre les immigrés. Il revisite Paris à partir des adresses de toutes les maisons d’édition où Jean-Marc a travaillé. Il lui fait entendre, au téléphone, la chanson de Dalida, «Bambino», qu’il adorait.

Il va même jusqu’à lui décrire, tel un spectacle qu’il aurait manqué, son enterrement au cimetière de Montmartre. Car, même après sa mort, Vassilis Alexakis continue de lui raconter sa vie. On voudrait que ce roman plein de rires et de larmes ne s’arrête pas. Et que son héros revienne.

Jérôme Garcin

La Clarinette, par Vassilis Alexakis,
édition du Seuil

mardi 25 août 2015

Poème, Martine Cros

crédit photo Martine Cros




5 août









Le morcellement de la beauté

donne à voir d'autres visages



Il faut se taire parfois

pour que flamboie

le silence











6 août









Si jamais votre corps

un jour

est une île

Qu'à lui seul toutes ses rives

suffisent

à l'amour qui s'échoue



Vagues voyantes dont nous sommes écume

Sel de votre regard qui porte nos pensées légères

A l'onde de votre coeur multiple

allons sirènes écouter le vent las

de ne plus marcher avec vous













14 août ( famine)









Faire la paix avec son visage

resté vierge de baisers

affamé et transparent visage

La musique traverse son ventre de

son apaisement

Est-ce la faim qui la serre ou

ce qui n'a jamais été



Le rêve devait la nourrir,

elle est si décharnée

Elle loge dans ces creux

Il lui reste deux orbites

qu'elle peut encore consteller









15 août





Le bleu

vitrail

derrière le noir

fluorescent

comme âme qui passe

qui transparaît

Bleu, irréelle





La noirceur est belle

poison noir profond

elle s'accroche aux branches de bleu

mosaïque de ciel et de cieux

aux trouées de ce pur

pour lequel elle respire

ses larmes

Noir à peine









Un infime paysage

les sépare







Elle, d'elle




Martine Cros


©Tous droits réservés











lundi 24 août 2015

A la mer, poème de Karin Boye

A la mer


Ô mer
il est fort le breuvage que tu verses !
Ta grande froideur
est purification, limpide et sacrée.
Ton étreinte de lumière
est saine et fraîche aux enfants des hommes, à nous,
qui cherchons la guérison.
Car toi, mer,
radieuse et tendre, rugissante et implacable,
fourbe, et toujours fidèle,
tu es la parabole belle des choses belles :
chemin salé d'écume des coeurs vaillants du monde.


Karin Boye
traduction  Caroline Chevallier



crédit photo fruban, avril 2015


« Vivre, c’est rompre et briser pour que quelque chose puisse croître ».

Comme la finlandaise Edith Södergran, la suédoise Karin Boye, plus de soixante-dix ans après sa mort, apparaît de nos jours comme la poétesse moderne la plus importante des littératures scandinaves.

Déchirée jusqu’au suicide, oscillant sans cesse entre une ferveur païenne et un mysticisme chrétien, elle deviendra le champ de ruines du combat perdu d’avance du théâtre tragique de ses écartèlements. Bisexuelle, elle finira par défendre fièrement son homosexualité dans une Suède pudibonde et castratrice.
Femme courageuse, femme fortement impliquée dans les idées de gauche et la littérature radicale de son époque, elle est devenue l’incarnation de cette dualité atroce entre le rêve et la réalité.

in, Esprits nomades


Karin Maria Boye (née le 26 octobre 1900 à Göteborg et morte le 24 avril 1941 à Göteborg) était une poète et romancière suédoise.
Elle est l'auteur notamment de La Kallocaïne (1940), classique de la littérature dystopique, source d'inspiration majeure de George Orwell pour 1984, inspiré par Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley et par Nous autres, d’Ievgueni Zamiatine.
Socialiste et membre de la branche suédoise du groupe Clarté, d'Henri Barbusse, elle a été fortement ébranlée par un voyage en URSS en 1928, qui a inspiré son roman La Kallocaïne. Elle est morte le 23 avril 1941 à la suite de l’absorption de somnifères, dans une intention vraisemblablement suicidaire. Sa compagne depuis sept ans, Margot Hänel, juive berlinoise réfugiée en Suède, s'est suicidée trente-huit jours plus tard, à l'âge de vingt-neuf ans.

in, Wikipedia


photo, images du Net