samedi 9 juillet 2016

Si tu m'oublies Si tu me olvidas, de Pablo Neruda (Los versos del capitan)


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Si tu m'oublies
je veux que tu saches
une chose.
Tu sais ce qu’il en est:
si je regarde
la lune de cristal, la branche rouge
du lent automne de ma fenêtre,
si je touche
près du feu
la cendre impalpable
ou le corps ridé du bois,
tout me mène à toi,
comme si tout ce qui existe,
les arômes, la lumière, les métaux,
étaient de petits bateaux qui naviguent
vers ces îles à toi qui m’attendent.
Cependant,
si peu à peu tu cesses de m’aimer
je cesserai de t’aimer peu à peu.
Si soudain
tu m’oublies
ne me cherche pas,
puisque je t’aurai aussitôt oubliée.
Si tu crois long et fou
le vent de drapeaux
qui traversent ma vie
et tu décides
de me laisser au bord
du coeur où j’ai mes racines,
pense
que ce jour-là,
à cette même heure,
je lèverai les bras
et mes racines sortiront
chercher une autre terre.
Mais
si tous les jours
à chaque heure
tu sens que tu m’es destinée
avec une implacable douceur.
Si tous les jours monte
une fleur à tes lèvres me chercher,
ô mon amour, ô mienne,
en moi tout ce feu se répète,
en moi rien ne s’éteint ni s’oublie,
mon amour se nourrit de ton amour, ma belle,
et durant ta vie il sera entre tes bras
sans s’échapper des miens.

Pablo Neruda

in, Los versos del capitan
traduction de Ricard Ripoll i Villanueva



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Si tú me olvidas
QUIERO que sepas
una cosa.
Tú sabes cómo es esto:
si miro
la luna de cristal, la rama roja
del lento otoño en mi ventana,
si toco
junto al fuego
la impalpable ceniza
o el arrugado cuerpo de la leña,
todo me lleva a ti,
como si todo lo que existe,
aromas, luz, metales,
fueran pequeños barcos que navegan
hacia las islas tuyas que me aguardan.
Ahora bien,
si poco a poco dejas de quererme
dejaré de quererte poco a poco.
Si de pronto
me olvidas
no me busques,
que ya te habré olvidado.
Si consideras largo y loco
el viento de banderas
que pasa por mi vida
y te decides
a dejarme a la orilla
del corazón en que tengo raíces,
piensa
que en ese día,
a esa hora
levantaré los brazos
y saldrán mis raíces
a buscar otra tierra.
Pero
si cada día,
cada hora
sientes que a mí estás destinada
con dulzura implacable.
Si cada día sube
una flor a tus labios a buscarme,
ay amor mío, ay mía,
en mí todo ese fuego se repite,
en mí nada se apaga ni se olvida,
mi amor se nutre de tu amor, amada,
y mientras vivas estará en tus brazos
sin salir de los míos.

Pablo Neruda

dimanche 3 juillet 2016

Yves Bonnefoy






Christine Marcandier  2 juillet 2016

Yves Bonnefoy (1923-2016): « aux lointains du chant (…) Il semble que tu puises de l’éternel »

« Toute douceur toute ironie se rassemblaient
Pour un adieu de cristal et de brume,
Les coups profonds du fer faisaient presque silence,
La lumière du glaive s’était voilée ».

Ainsi s’ouvrait, dans Hier régnant désert (1958), l’hommage à « la voix mêlée de couleur grise » d’une cantatrice, ainsi s’élevait le tombeau de Kathleen Ferrier. Yves Bonnefoy, l’un de nos plus grands poètes contemporains, traduit dans le monde entier, est mort hier. Il avait 93 ans. Il connaît l’autre rive, « Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière, / Il semble que tu puises de l’éternel ».
Dans son discours de réception du Premio Fil 2013 à Guadalajara (Mexique), en 2014, Yves Bonnefoy soulignait combien notre rapport à la poésie n’est plus quelque chose de « naturel » et « simple ». Elle est pourtant une « forme particulière de questionnement du monde et de l’existence ». Tout son discours disait sa « fondamentale nécessité », il était hymne au mot, à son « évidence » comme à sa puissance évocatoire, ouverture aux autres langues, à la traduction comme écriture :

« Aimons les autres langues. Aimons-les, aujourd’hui, en ce siècle où d’ailleurs elles sont pour chacun de nous plus facilement accessibles, cette affection pour des langues supposément étrangères est une des rares grandes ressources  qui nous restent. Pour ma part en tout cas j’ai toujours désiré faire de la traduction de la poésie une activité très étroitement complémentaire de l’écriture poétique proprement dite ».

Dans ce discours, une vie dédiée à la poésie, mais aussi une ouverture à l’Autre — son dernier livre publié ne s’intitule-t-il pas Ensemble encore (Mercure de France, mai 2016) ? —, ouverture à l’Autre par la traduction, le commentaire des textes, de la peinture, de l’Art et de son horizon. L’Arrière-pays est ainsi une autobiographie où se dire revient à dire un rapport à l’œuvre d’art. Ce seront, entre autres, Giacometti. Biographie d’une œuvre ; Goya, les peintures noires ; Breton à l’avant de soi ; Notre besoin de Rimbaud. Mais aussi les traductions de Shakespeare, Yeats, Keats, Leopardi, Séféris ou Pétrarque. Ou l’enseignement, être le passeur de ces œuvres et textes inlassablement aimés, interrogés, commentés, à Vincennes (1969-1970), (1973-1976) et Aix-en-Provence (1979-1981) ou dans des universités étrangères. De 1981 à 1993, ce fut le Collège de France, Yves Bonnefoy est titulaire de la chaire d’Études comparées de la fonction poétique — ses cours sont rassemblés, au Seuil, dans Lieux et destins de l’image : un cours de poétique au Collège de France (1981-1993). Pensons également à ses conférences à Fondation Hugot du Collège de France : La Conscience de soi de la poésie, un titre qui dit aussi une conscience de soi dans et par la poésie, à travers elle.

Dans sa leçon inaugurale, Yves Bonnefoy énonçait que « le lecteur de la poésie n’analyse pas, il fait le serment à l’auteur, son proche, de demeurer dans l’intense. Et d’ailleurs il ferme vite le livre, impatient d’aller vivre cette promesse ». Toujours, cette nécessité « d’être par les mots et pourtant contre eux, d’être par l’appel et malgré le rêve, d’être par la parole et malgré la langue ».

L’œuvre d’Yves Bonnefoy est présence absolue, immédiate et intense — cette présence qu’il disait « évidence mystérieuse » —, elle se « vit », est « expérience », elle est un « état », « la vérité de parole ».


Yves Bonnefoy, Collège de France, 2001. Photo Eric Feferberg. AFP

Yves Bonnefoy, Collège de France, 2001. Photo Eric Feferberg. AFP

Yves Bonnefoy venait de publier L’Écharpe rouge (Mercure de France, mai 2016), archéologie de sa vie à travers un texte ancien retrouvé dans un secrétaire fabriqué par son grand-père maternel. « Ce dossier, c’est un classeur de toile jaune, avec un ruban de même couleur pour le fermer, où sont rassemblés des cahiers et des feuilles en divers formats et souvent, manuscrites avec alors plusieurs écritures, car à travers les années, j’ai eu recours à des plumes de toutes sortes, plus ou moins grosses, et à différentes encres, parfois aussi utilisant des crayons. Une longue suite de reprises et d’abandons, depuis, je vois, 1964. Du sans cesse interrompu, de l’inachevable, semble-t-il ».

 L’Écharpe rouge, soit une centaine de vers libres inédits qui auraient pu être une « idée de récit », voyage dans un passé double et indissociable, littérature et existence : « Je sentais qu’il y avait dans ce coffre à la clef perdue quelque chose d’important pour ma réflexion sur la poésie et ma propre vie ». Chercher la trace de cette œuvre mystérieuse, revenue du passé, est une manière de faire advenir les souvenirs, ses parents et leur rencontre, son « pays », dans une généalogie qui ne sépare jamais les mots et la vie, quête rimbaldienne, « du sans cesse interrompu, de l’inachevable, l’œuvre de quelqu’un d’autre », dans la double origine de soi et de l’œuvre.

« Vais-je te dire adieu ? Non, qu’à jamais,
A jamais bruisse l’eau, refleurisse l’herbe ! », écrivait Yves Bonnefoy dans L’Heure présente (2011), « Lègue-nous de ne pas mourir désespérés ». Nous, qui avons fait le serment à l’auteur, notre proche, de demeurer dans l’intense.


Amaury da Cunha a écrit, dans Le Monde, un hommage magnifique à Yves Bonnefoy, à lire ici.


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