Extraits de Requiem
VIII
À la mort
Tu viendras, de toute façon –
Pourquoi pas maintenant ?
C’est trop difficile pour moi –
Je t’attends.
J’ai éteint la lampe, je t’ai ouvert la porte.
À toi, si simple, si merveilleuse ;
Prends pour l’occasion, la forme
Que tu voudras ; Engouffre-toi
Comme un obus meurtrier, ou
À la légère, comme une canaille avisée,
Ou comme un virus –
Le typhus.
Ou comme cette histoire
Que tu as inventée,
Que nous connaissons tous jusqu’à la nausée,
Qui me fait revoir les chapkas bleues
Et aussi le gardien, blême de peur.
Maintenant, tout m’est égal.
L’Iénisséi
Tourbillonne. L’étoile polaire
Brille. Et l’éclat bleu
Des yeux bien-aimés s’osbscurcit
D’une terreur dernière.
Maison de la Fontanka, été 1939
LA PORTE EST ENTROUVERTE
La porte est entrouverte.
Les tilleuls frémissent…
Oubliés sur la table :
Une cravache, un gant.
La lampe fait un cercle de clarté.
Il y a des bruits que j’entends.
Pourquoi es-tu parti?
Je ne comprends pas.
Demain matin la lumière
Sera pleine de joie.
Cette vie est brève.
Sois sage, mon coeur.
Tu es à bout de force,
Tu bats plus sourdement.
Tu sais, je l’ai lu quelque part:
Les âmes sont immortelles.
Requiem d'Anna Akhmatova sur RTS
Composé en 1940 par la grande poétesse russe Anna Akhmatova, "Requiem", "le poème de tous", le "poème épique dʹun grand peuple martyr", comme le qualifie Paul Valet, est une œuvre unique, constituée de poèmes écrits entre les années 1930 et 1957. Nicolas Bouvier qualifiait cet ensemble qui dit la terreur stalinienne de "testament superbe". Née le 23 juin 1889 à Odessa, Anna Akhmatova, proche du poète Ossip Mandelstam, passa sa jeunesse à Tsarkoïé Sélo. Ses premiers poèmes sont lyriques et pouchkiniens. Quand la guerre de 1914 éclate la réalité la rattrape et transforme sa poésie en profondeur. En octobre 1917, elle reste en Russie contrairement à nombre de ses amis. Cʹest son choix, elle en paiera le prix fort avec la mort de son mari, Nicolas Goumilev, en 1921, fusillé pour activités antisoviétiques. Puis, cʹest son fils qui est arrêté en 1938. Sʹensuit la guerre et la privation à Leningrad. En 1946, sa poésie est taxée dʹoccidentalisme. Elle ne peut plus publier. En 1956 son fils est enfin libéré. Anna Akhmatova meurt le 5 mars 1966 à lʹâge de 77 ans après une longue et douloureuse existence.
Le labo, 08.10.2017, 19h03
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire