MAUDITE SOIT LA GUERRE
Monument aux morts de Gentioux-Pigerolles (23340)
© photo fruban |
Famille des Ardennes, quatre de ses grands-oncles périrent, les Quatre Frères Tellier
En 2012, il publia "Adrien de la Vallée de Thurroch", dont j'ai parlé sur ce blog, à plusieurs reprises (voir le lien plus bas), récit à la fois hyperréaliste et poétique sur ce conflit meurtrier.
Françoise
Demain, 11 novembre...je me souviens toujours, ma grand-tante veuve de 14-18 et mon grand-père Léon (son frère), m'avaient emmenée à Verdun, au Fort de Douaumont....j'entendais la sonnerie aux morts pour la première fois...putain, quelle émotion, dans le froid et le brouillard ! J'étais une ptiote gamine, vraiment impressionnée aux larmes, sans vraiment tout comprendre
Denis
Oui
Je comprends
Françoise
ça m'a marquée
Denis
C'est dingue
Françoise
d'autant plus que Lucienne, ma grand-tante, n'a jamais su où son Maximin était mort
Denis
Oui, le corps là-bas, plus loin, derrière...
Françoise
Jamais elle ne s'est remariée, ils s'étaient aimés et connus un peu plus d'un an...son bel amoureux aux moustaches si dignes !
Denis
Oui souvent , elles restaient veuves et en noir
Françoise
Oui, c'est dingue.... quelle connerie la guerre !
Denis
Ah oui alors...
Françoise
Elle s'habillait de gris, elle travaillait aux champs avec son frère,
comme un homme
Denis
C'est dingue et en silence, les souvenirs de joie remontaient rarement
Françoise
C'est elle qui m'a élevée jusqu'à mes 6 ans
Elle ne voulait pas en parler...un peu plus, lorsque j'ai grandi
Il était beau Maximin Villiers !
Denis
Oui je me souviens aussi de ma grand-mère
des bribes qu"elle lâchait comme madame Eugénie dans "Adrien"
Françoise
C'est elle qui t'a élevé avec tes autres frères et soeurs, je crois
Ah Madame Eugénie.... je t'en avais parlé !
Denis
Oui en plus de ses filles et fils
Françoise
Nos enfances...comme chante Barbara dans sa si belle et émouvante chanson
Denis
Oui
Les déchirements
Françoise
On n'en guérit jamais tout à fait
Denis
Non, je le sais
Françoise
et pourtant, la mienne fut beaucoup plus heureuse que la tienne, mais pesait sur moi ce lourd secret...qui me bouffait
Raconter tout cela, un jour...
Denis
L'écrire
Françoise
oui
l'écriture peut être un exutoire, une thérapie
Denis
Elle l'est souvent pour moi
Françoise
Je le sais Denis...
Il est arrivé que tu me le dises par écrit ou de vive voix
Denis
Oui
Françoise
c'est resté en moi
Denis
Crier pour sortir les mots
Françoise
Oui, et sortir les mots pour crier
L'écriture me paraît un cri, cri de colère, d'amour, de douleur...de joie
Denis
J'aime beaucoup ce refuge
(extraits)
© photo Denis Tellier |
Site des amis du Monument aux morts de Gentioux
Le monument a été érigé en 1922 à l’initiative du maire de la commune, Jules COUTAUD, membre de la SFIO (section Française de l’Internationale Ouvrière) qui exerçait la profession de maréchal-ferrant. Jules COUTAUD était un ancien combattant lui même gazé sur le front pendant la Première Guerre mondiale. A ce titre sa parole, quand il dénonçait les méfaits de la guerre, avait une véritable légitimité. Son autorité morale était telle que Jules COUTAUD a été maire de GENTIOUX pendant 45 ans de 1920 à 1965. Au regard de cette belle longévité au service de ses concitoyens, on peut mesurer a quel point le monument de GENTIOUX n’est pas né des exubérances d’un esprit fantaisiste.
Trois projets ont été présentés au conseil municipal et c’est celui de Monsieur DUBURGT, conseiller municipal et ébéniste de profession, qui sera retenu. Encore une fois on se rend compte que le choix de ces élus a été le produit d’une véritable volonté et d’une grande détermination.
Une maquette en bois, toujours visible à la mairie, a été construite par monsieur DUBURGT. Ce sont ensuite des artisans locaux qui réaliseront le monument. La sculpture de l’écolier, en fonte, est de Jules Pollacchi. Elle sera fondue par E. Guichard, et c’est l’entrepreneur Émile Eglizeaud, de la commune voisine de Faux la Montagne, qui procédera à l’assemblage des différents éléments du monument. Le coût de l’opération sera de 11 640 francs, couvert avec 3 909 francs de souscription publique, 6 169 francs pris sur le budget communal et 1 562 francs de subvention de l’Etat.
Le monument de Gentioux, est composé d’un socle et d’une colonne de granit sur laquelle sont gravés les noms des cinquante huit morts de la commune pendant la première guerre mondiale. Sous les noms est gravée l’inscription « Maudite soit la guerre »
Au pied de la colonne se dresse la statut en bronze d’un jeune écolier revêtu de sa blouse, la casquette tenue par sa main gauche dans une posture de respect pour les morts, et le poing droit dressé en direction du monument en signe de révolte contre toute cette souffrance. Nul doute que ce poing dressé a à voir avec la lutte des peuples contre les oppressions dont ils sont les victimes. Nul doute que l’on est là sur le terrain de la lutte des classes, celle des ouvriers, des paysans, des employés, contre les marchands de canons d’hier et d’aujourd’hui, toujours avides de dividendes même au prix de la plus grande barbarie.
L’œuvre sera inaugurée en 1922 par les élus locaux et la population. La préfecture refusera d’être représentée en ces temps où le patriotisme était de rigueur notamment du fait de puissantes organisations d’anciens combattants arc boutées sur ce dérisoire et mortifère sentiment. Ainsi le monument ne fut jamais officiellement inauguré. On raconte que lors du passage des troupes à sa hauteur, lorsque celles-ci rejoignaient le camp militaire de La Courtine, ordre était donné aux hommes de détourner la tête de cet objet sacrilège.
Le monument de Gentioux est inscrit à « l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques au titre des lieux de mémoire », depuis le 9 février 1990 et la mention « Maudite soit la guerre » est maintenant inviolable et rien ne peut être modifié.
Article Le Monde, 1994
Les pierres rebelles (extrait)
Le quotidien Le Monde a publié, dans son édition du 6-7 novembre 1994, cet article sur le monument de Gentioux
“Elles sont rares. Une dizaine, tout au plus. Une dizaine de pierres sur trente-six mille. Une dizaine, qui disent la révolte et le dégoût de la guerre. Le 22 janvier 1922. le conseil municipal de Gentioux (Creuse), dirigé par un maire SFIO, Jules Coutaud, adopte son projet de monument aux morts. Il prévoit, à côté de la stèle qui porte les patronymes des soixante-trois victimes regroupées par hameaux, la statue en fonte peinte d’un enfant montrant d’un geste les noms des morts regrettés de la commune et l’apostrophe: Maudite soit la guerre ! », inscrite à même le socle de pierre. Le geste sera un poing brandi …/…”
A lire ICI aussi
Les monuments aux morts, Monument à Gentioux-Pigerolles (23340)
"Adrien de la Vallée de Thurroch" mon article ICI
de Denis Tellier (éditions Lunatique, 2012)
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