mercredi 15 juillet 2015

Le soleil sait (extrait), d'Odysseas Elytis, traduction d'Angélique Ionatos

Jaquette Le soleil sait





ANNIVERSAIRE


« ...même la rivière la plus lasse
Finit par arriver à la mer. »1 


J'ai mené ma vie jusqu'ici
Jusqu'à ce point qui lutte
Toujours près de la mer
Jeunesse sur les rochers, torse
Contre torse face au vent
Où peut donc aller un homme
Qui n'est rien d'autre qu'un homme
Mesurant à l'aune de ses rosées ses instants verdoyants
Au gré des ondes les visions de son ouïe,
A coups d'ailes ses remords
Ah ! Vie
De l'enfant qui devient un homme
Toujours près de la mer quand le soleil
Lui apprend à respirer là où s'efface
L'ombre d'un goéland.


J'ai mené ma vie jusqu'ici
Compte blanc sombre addition
Peu d'arbres et une poignée
De galets mouillés
Doigts légers pour caresser un front
Quel front
Tout au long de la nuit pleuraient les espérances
Et il n'y a plus personne
Pour faire résonner un pas libre
Pour faire se lever une voix reposée
Pour que de la jetée les proues écumantes
Inscrivent sur leur horizon un nom d'azur étincelant
Quelques années et quelques vagues
L'aviron délicat
Autour des havres de l'amour.


J'ai mené ma vie jusqu'ici
Entaille amère qui s'effacera sur le sable
...Qui a vu deux yeux effleurer son silence
Et a fait s'épouser leur éclat pour embrasser mille mondes
N'a qu'à rappeler aux autres soleils son sang
Plus près de la lumière
Il est un sourire dont la flamme est le prix
Mais ici dans ce paysage indifférent qui se perd
Dans une mer ouverte et impitoyable
La réussite se déplume
Tourbillon d'ailes
Et d'instants rivés au sol
Un sol dur sous les impatientes
Semelles, un sol façonné pour le vertige
Volcan défunt.


J'ai mené ma vie jusqu'ici
Pierre promise à l'élément liquide
Plus loin que les îles
Plus profond que la vague
Dans le voisinage des ancres
...Lorsque passent les impétueuses carènes déchirant
Un nouvel obstacle et l'emportent victorieuses
Et que l'espoir brille de tous ses dauphins
Privilège du soleil dans le cœur de l'homme
Les filets du doute ramènent
Une effigie de sel
Ciselée avec peine
Blanche et indifférente
Qui tourne vers la haute mer ses yeux vides
Portant l'infini.

Odysseas Elytis
Orientations, 1940
(Extrait)

1 – AC Swinburne, The Garden of Proserpine

Traduction AngéliqueIonatos
in, « Le soleil sait, Une anthologie vagabonde »






odysseus elytis par angélique ionatos par chiranne

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