Nadine Lefèbure vient de quitter ce monde (12 oct 2016). Je ne la connaissais pas, à mon grand regret. Je la découvre grâce à mes amis Cristina Castello et André Chenet. (FR)
André écrit ceci :
"Car la route est longue, et ma patience
à la mesure des océans
Au port tu seras le phare
et moi le quai
où viendra accoster le navire de l'Éternité"
Nadine Lefebure
"J'ai lu, comme j'ai rarement lu, les poèmes de Nadine, et suis resté définitivement subjugué par le rythme hallucinatoire et lucide de sa langue en partance vers les tempêtes créatrices d'harmonies."
André Chenet
L'étoile de sang vert
à Christian Deudon
j'avais fini par voir en elle une immortelle
sur fond d'azur
et dans ses yeux translucides les horizons des mers
faisaient le tour de la terre
a sa table le roc et le fer
la flamme et l'amande
la plume d'aigle et le fils de l'air et de la terre
l'herbe qui fait danser la langue
elle faisait miroiter le temps dans une coupe de cristal
à sa table les vivants et les morts
partageaient le pain du poème sous une pluie d'étoiles
au coeur de l'énigme
où l'amour fait la roue
elle tournait les pages d'une histoire en devenir
une histoire sans fin pour ceux qui viendront
pour ceux qui resteront à jamais prisonniers innocents des îles imaginaires
elle brassait des soleils rouges entre ses ailes d'arc-en-ciel
forgeait dans l'eau de ses yeux transparents des géographies fulgurantes
elle défiait les naufrages à hauteur d'homme
tutoyait les petits dieux sauvages de la nature à qui elle offrait les perles de la parole
a sa table brûlaient toujours quelques lucioles
et dans sa chevelure altière salée par les vents du large
des chevaux marins guidaient de fervents navigateurs à bon port
poètes au long cours s'asseyant a sa table parfumée de sables chaud et d'algues sauvages
à ses convives émerveillés elle disait la bonne aventure
J'ai eu le privilège d'en être
aux côtés d'une compagnie d'êtres fabuleux tisseurs de légendes
et maintenant qu'elle s'est embarquée pour les terras incognitas
j'ai dans la bouche le goût nébuleux et douloureux des immortelles.
A.C. 6h05, le 13 octobre 2016
Sur le site de Cristina Castello
Quelques poèmes sur le site Francopolis
(ces poèmes ont été publiés dans la revue La Voix des autres n°5 mars 2012, d'André Chenet)
I
Chaque jour à l'aube
LA DEFERLANTE
A l'assaut de la colline
monte la pente
A midi se retire
à perte de vue à perte de vie
brave les algues de l'oubli.
Quand s'ouvrira la porte, jouant la proue
elle fera fi
de ces turgescences marines
Fera feu et flamme et fer rougi
poussé à bout
poussé à blanc
pour abattre à bout portant
le héros du crime
II
Toi
A la fois
dans le même temps
mon rêve
et mon cercueil
que j'enlace, et le griffe et le délace.
Je te dégrafe
et te brasse et t'émonde
le mouds, le broie
me recueille…
et me lance en traverse.
Je prends
la traverse
la voie royale
jeu de paume
jeu de qui perd gagne.
Appel au fou
Appel au feu
Sous le feu près du fou garde-flamme
peut-être est-ce maintenant
que l’amour
en est à son commencement.
III
Nous étions
coques confondues
lianes enlacées
Aujourd'hui - déjà - nous serons
coquilles ou chèvrefeuille
et tout ce que le ciel inventera.
Et si les mots à dire
jouaient à s'inverser?...
Nous serions demain - encore -
coques enlacées
lianes confondues
et coquilles enroulées
chèvrefeuilles retournés
chèvres effeuillées
feuilles imbriquées.
Retournés enroulés fondus et enlacés,
dans la fournaise
les chevaux tireraient des bords
les oiseaux fuiraient les jeux de l'air
les bateaux blancs battraient des ailes .
Sable et neige sublimés
sur la couche se fondent en un les vivants, les vitraux,
un gisant à deux dos se retourne
se déhanche.
L'homme sirène
et la femme centaure
pénètrent de concert
la mer sans un pli
le désert sans un souffle
(où gronde en sourdine
venant de loin, allant très loin)
le désir sans ride
IV
A l'aveugle musical
au sourd voyageur
les mots sont rares et difficiles, le travail factice.
Sa chevauchée ne déjouera
jamais les mystères de l'être.
Sur quelle courbe peser
descendre quelle rivière
quel océan atteindre
par-delà les frontières de liesse...
Renouveau, Renouveau, pourquoi as-tu fui
toi qui portais le monde en semence?
La vague
à l'âme mêlée installe sa métaphore
fourrage la solitude à l'excès
l'abandon sur sable en mouvance.
A garder racine, on perd mémoire pour demain
jouxtant le vide, la dérive
on cherche, on somnambule.
Là où mène le cirque vital
on dérape, on dérange, on déjauge
on hasarde on limoge.
Le dédale des murs mitoyens délite, lézarde
le pire du dedans - la furie -
l'envers du décor, la fureur sous la mort.
S'abstraire
retrouver, conquérir le silence hautain,
Signifier à l'oiseleur
son congé
(veut)
dire aussi
LIBERTE
La revue de poésie "La Voix des Autres" a publié quelques uns de ses poèmes dans le numéro 5 de mars 2012. (Extrait "De l'Hier au demain")
Sur le site Danger Poésie, André Chenet
quelques poèmes :
Extrait de "L'hier au demain"
TROIS LITANIES POUR LE CIEL
I
NÉBULEUSE
Nébuleuse à l’œil nu
Nébuleuse aux vertèbres de métal, au ventre d'aspic
Aux cheveux de palissandre à cinq branches
Nébuleuse lézard de la nuit
Scaphandre des ténèbres qui s'enfonce autour de la terre
Léopard de minuit
Nébuleuse en suspens, crinière de filigrane
Aux griffes de neige et de phosphore
Grise mine des clairs de lune, incendie des étoiles
Graminée de la nuit, pistil de la lumière
Nébuleuse aux feux de paille, aux pailles de fer
Vitrage de pluie, de glaives et de silex
Nébuleuse sur fond amer
Votre solitude m'étreint.
II
L’ ÉTOILE MULTIPLE
L'Étoile à sept feux verts
L'Étoile à feux triangulaires
L'Étoile du berger solitaire
L'Étoile solidaire de la nuit
L'Étoile qui brille dans le ciel vert
L'Étoile qui dérange le circuit des bolides et météores
L'Étoile qui réveille les rois mages
Celle qui endort les enfants
Celle qui dort dans le fond de l'oeil
Celle qui bruine au matin sur la Seine
et rumine son train d'images et d'enfer
Et celle qui constelle dans les cirques les selles d'éléphant
L'Étoile du bon temps, celle du bon accueil
L'Étoile accroupie sur un parterre de fleurs
Celle qui se glisse dans un coin de la Cène
Celle qu'il sied aux mécènes
de tendre aux pauvres artistes
Celle aussi que l'on fixe chez le dentiste
Celle qui brille au bout du téléphone
Celle qui passe à cheval et pousse sa chanson réclame
Celle qui dégringole en dansant dans le cercle des vivants
Pour turbiner aux turbines dans les usines
Et profiter des heures de lumière supplémentaire
Et rendre inoubliable le temps de la cantine
Pour avoir des vacances payées
Pour aider la misère à battre des ailes
et prévenir la mort
et suivre les enterrements
L'Étoile qui menace la géographie des navigateurs imprudents
Et délivre sans retard les prisonniers innocents
Celle qui ramène les navires aux portes des villes
Qui aide l'homme à descendre en scaphandre
à vingt mille lieues sous les mers
Cette étoile n'est pas encore celle
Qui viendra un jour planter en terre
La première pierre du château, de la cité, de la demeure
. que l'on offre aux vainqueurs.
III
LA COURTE ETOILE
C'est la chasse à courre, c'est la chasse à l'Etoile
une suite de courte étoile cette femme
qui suit ce pont de pierre
Comète de la ville elle fait
le tour des quais
C'est elle qui fait les quais de la ville
lumière qui file
sous les pieds de l'inconnu en chasse
C'est l'amour qui s'avance en faisant la roue
la rencontre, le feu, le fer de lance
une Étoile qui sert aux lance-pierres, ces ponts de pierre
qui vont où vont les ponts
ces jets de terre à d'autres terres
C'est l'amour de la chasse qui pousse
entre les pavés fleuris de fleurs de serre
c'est le cor qui sonne un rassemblement d'Étoiles
D'inconnu à inconnu des ponts de pierre
se lèvent, c'est l'amour et le ciel qui se rejoignent
la tombée qui emporte
des cerfs morts
d'un signe à l'autre sur les carrières du zodiaque
C'est l'heure imprévue de la chasse à l'Étoile
l'heure de monter un cheval piaffant
l'heure des chasse à courre, l'heure des chiens de race
C'est l'heure d'Ophélie au fil de l'eau, l'heure des marins morts
l'heure des bateaux à voile comme des oiseaux
de mer sur l'immobilité de pierre
Sur toute la ville c'est le silence
de la courte Étoile qui passe
d'oreille à oreille
et dépasse
les ponts qui s'espacent
de pont à pont
C'est l'ennui le vague le temps
de la vague qui vogue
avec ses lames d'Étoiles et roule la barque
le navire de Christophe Colomb
qui débarque et découvre des algues nouvelles
le naufrage qui vous pousse, l'abordage
d'une île très belle où poussent
des algues sauvages
La bouteille à la mer se brise sur un rocher
et c'est une marée d'Étoiles
une nuit blanche, l'aventure qui s'avance
à pas de chasse à loup, l'inconnu traque de gauche à droite
et pousse sur une île la courte Étoile
Un convoi de maisons plonge lentement dans le fleuve
A droite à gauche l'île se vide et désespère
Inerte, l'île n'est qu'une île de pierre avec ses ponts
Sur un terrain vague, un terrain de vague à l'âme
C'est la tombée de l'Étoile qui chemine
A raz de terre c'est un cimetière d'Étoiles
la tombée du ciel sur la terre
La tombée, c'est une immense vallée qui se referme
Une Étoile de sang vert répandu
Un escalier géant, une cavalcade, une rivière
Une averse qui chasse d'un pont à l'autre
la tombée de la nuit avec cette femme
qui passe.
Lecture à deux voix du poème "Altaïr" de Nadine Lefebure par l'auteure et André Chenet. C'était à la Maison de l'Amérique latine, le 8/10/2012, lors de la présentation des recueils audio "Le chant des sirènes" de Cristina Castello et "Secret poème" de André Chenet.
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