C'est en lisant ce texte d'André Chenet que j'ai voulu aller au-devant de Tristan Cabral trop peu connu de moi.
L'ami Tristan Cabral me manque; sa folie contagieuse; ses visions sur l'échelle de Jacob et ses larmes qui explosent comme des éclats de rire contre tout ce qui nous sépare et nous expose au règne des assassins. Il est depuis des mois dans un hôpital de Montpellier. Il n'en dit guère plus à part peut-être "une opération de l'oesophage sans gravité". Il me demande des nouvelles du pays; se souvient de l'Avenue Florida à Buenos Aires où jadis il avait croisé Borgès en compagnie de son compagnon de l'époque. Comme j'aimerais aujourd'hui lui faire découvrir ces univers polyphoniques où je rajeunis de jours en jours; sommeils brefs, yeux et sens en alerte. Les voyous sont beaux à Buenos Aires, les poètes s'adressent au peuple;, au ciel et à la terre. Les femmes brûlent d'une beauté intérieure sans affectation, elles ne font rien pour séduire sinon vous transpercer d'un regard aiguisé.
Mon ami, ta dernière lettre m'a tellement réjoui mais aussi empli d'une tristesse profonde. Le poème est un pont; un rendez-vous certain où ne manquons jamais de rien.
La légende de Tristan Cabral (extrait) :
.../...
Tristan Cabral tout de noir vêtu de la tête aux pieds
sous un ciel d'apocalypse flamboyant
ouvre le livre des Heures de de la nuit profonde
lui seul sait déchiffrer les ouvrages du sang
les hautes dérives dévorantes du temps
Chevrier des Cévennes dans les maquis de l'âme humaine
prophète halluciné au milieu des bûchers de Montségur
je l'ai rencontré sur mon chemin ardent de Palestine,
moi-aussi je n'étais qu'un enfant complètement déboussolé
Dans une autre vie je l'ai retrouvé à Istanbul
en compagnie de Nazim Hikmet
ils fumaient assis côte à côte un narguilé parfumé
sous les poutres de métal du pont de Galata
en se saoulant de poésie et de thé fort
Il me donnait des rendez-vous fabuleux
parmi les ruines de la vieille Europe
Partout où des victimes se tordaient de douleur
il n'avait de cesse de dénoncer les crimes
au bord des charniers des Balkans
où pleuvaient des pétales de roses folles
dans la Grèce épouvantée des colonels
contre lesquelles Yannis Ritsos arma "le premier mot"
.../...
André Chenet, in "La légende de Tristan Cabral"
photo du Net |
Biographie
Tristan Cabral, poète est né à Arcachon, le 29 février 1944.
Etudes secondaires à Bergerac, puis faculté de théologie protestante à Montpellier. Il abandonne le pastorat, entreprend des études de philosophie. Nommé professeur de philosophie au lycée Daudet à Nîmes, il y exerça son métier durant trente ans.
Il fit une entrée fracassante en littérature " en portant son cadavre sur son dos " comme écrivit Roger Gilbert-Lecomte. En 1974, effectivement le professeur de philosophie Yann Houssin du lycée Daudet préfaça un recueil de poèmes intitulé : " Ouvrez le feu " d'un jeune poète de 24 ans, Tristan Cabral, qui s'est suicidé en 1972.
La critique est élogieuse : " Qu'on se donne le temps d'écouter cette voix tourmentée, cette poésie convulsive, aux couleurs de feu dans le maquis des mots. " écrit François Bott dans le journal " Le Monde ". Nous apprendrons plus tard en 1977 que Tristan Cabral est bien vivant et que le préfacier Yann Houssin est en fait le poète Cabral.
Cabral occupe une place singulière dans le paysage poétique contemporain. C'est un révolté permanent au lyrisme flamboyant allant à contre-courant des modes d'écriture du moment. Au travers de ses textes, il épouse la cause des exclus, des taulards, des aliénés, des insoumis, de tous ceux que la société écrase.
Bibliographie :
Testament Funambule, Actes Sud, 2008
Requiem Océan, Bord à bord avec Xavier Grall, Voix d'encre, 2007
L'Enfant de guerre, Le Cherche-Midi, 2001
La Messe en mort, Le Cherche-Midi, 1999
L'Enfant d'eau, Livre I du Quatuor de l'Atlantique, Cahiers de l'Égaré, 1997
Mourir à Vukovar, Cheyne, 1997
Le Désert-Dieu, éditions De l'Alpha et Oméga, 1996
Le Passeur d'Istanbul, éditions Du Griot, 1992
La Lumière et l'exil, Le Temps parallèle, 1986
Le Passeur de silence, La Découverte, 1986
Et sois cet Océan ! Plasma, 1981
Demain, quand je serai petit, Plasma, 1979
Du pain et des pierres, Plasma, 1977
Ouvrez le feu !, Plasma, 1975
(dans Maison de la Poésie)
Sur le blog de ses amis
LaFrenière
André Chenet (Danger Poésie)
Le Passeur de silence (extrait)
À mon ami Gaston Miron
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Plus personne n’arrive à Ellis Island…
des visages anciens glissaient sur l’East River
Et j’étais plein d’un vieux sang arménien
ou peut-être italien je portais le carquois de l’indien brise-lames
avec pour toute aurore
le vieux regard des émigrants
vêtus de peur et de douleur
plus personne n’arrive à Ellis Island…
Sur l’East River
j’allais dans un canot avec Petite Fleur
couchée en chien de fusil
je portais vers le Nord des ballots de lueurs
les oies du Cap Tourmente
s’en venaient vers le cœur acéré du flécheur
et j’attendais la longue nuit des couteaux
plus personne n’arrive à Ellis Island…
Je suis plein d’un vieux sang arménien
ou bulgare
et j’ai vu à Brooklyn un certain marchand d’ombres
qu’on appelait Bontchek
qui calculait la nuit
tout le temps qui restait
avant la venue du Messie
Je suis le voyageur des mémoires manquées
mais Ellis Island est fermé pour toujours…
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Tristan Cabral, in Le Passeur de silence (extrait)
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