vendredi 24 février 2017

Lettre de suicide de Stefan Zweig, à Friderike sa première femme

Stefan Zweig et Lotte


Lettre adressée à Friderike, sa première femme



Le 22 février 1942

Petrópolis,

Ma chère Friderike,

Quand tu recevras cette lettre je me sentirai bien mieux qu’auparavant. Tu m’as vu à Ossining, et après une bonne période de calme, ma dépression m’a accablé de pus belle — je souffrais tellement que je ne pouvais plus me concentrer. Et puis, la certitude — la seule que nous eussions — que cette guerre durerait des années, qu’il faudrait une éternité avant que, dans notre situation, nous puissions retrouver notre foyer, cette certitude était trop décourageante.
J’aimais beaucoup Petrópolis, mais je n’avais pas les livres qu’il me fallait, et la solitude, qui avait eu d’abord un effet si bienfaisant, commença à me peser — l’idée que mon œuvre capitale, le Balzac, ne pourrait jamais être terminée si je ne disposais pas de deux ans de vie paisible ni de tous les ouvrages nécessaires était très dure, et puis cette guerre, qui n’a pas encore atteint son point culminant.
J’étais trop fatigué pour supporter cela (et pauvre Lotte… elle n’avait pas une belle vie avec moi, en particulier parce que sa santé n’était pas des meilleures). Tu as tes enfants, donc un devoir à accomplir, tu as de vastes champs d’intérêts et une énergie intacte. Je suis certain que tu verras des temps meilleurs, et tu me donneras raison de n’avoir pu attendre plus longtemps avec ma « bile noire ». Je t’écris ces lignes dans les dernières heures, tu ne peux imaginer comme je me sens heureux depuis que j’ai pris cette décision. Embrasse tes enfants et ne me plains pas — rappelle-toi ce bon Joseph Roth, et Rieger, comme je me suis réjoui qu’ils n’aient plus à supporter ces tourments.

Avec toute mon affection et mon amitié, courage — tu sais que je suis apaisé et heureux.

Stefan




J'ai lu cette si belle correspondance, FR



Paru dans Deslettres.fr



2 commentaires:

  1. Magnifique lettre d'adieu toute en réserve et pudeur. CR

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    1. J'ai éprouvé également une profonde émotion en lisant cette lettre d'adieu. Toute la correspondance entre Sweig et Friderike, L'Amour inquiet, est belle. Un livre que j'ai lu avec intérêt et grand plaisir, voici quelques années.
      Merci pour tes mots cher ami !

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