J'écrivais ceci le 13 août 2012
Tatiana Roy, épouse de Jules Roy, grande poète trop souvent méconnue parce que dans l'ombre de Julius, le Grand homme... vient de rejoindre les étoiles...
Elle vivait à Vézelay, tout près de leur ancienne maison avec ses terrasses et son magnifique parc, aujourd'hui devenue Résidence d'écrivain. Je l'avais rencontrée plusieurs fois, avais assisté à une lecture de ses poèmes par elle-même et... nous avions bavardé, j'avais même osé lui demander une dédicace, un exploit pour moi !
J'ai lu son journal, ses différentes oeuvres, tant je découvrais une femme et un écrivain qui me touchait profondément.
Belle Tatiana, je vais vous relire... Je vous dis au revoir... Bientôt, j'irai vous rendre visite à Vézelay où vous devez avoir retrouvé votre Julius, votre amour et le "censeur" involontaire sans doute, de votre oeuvre. Je vous aime...
FR
Sommes-nous donc nés
pour affronter le Tunnel
nous débattre contre les fantômes
avant d'atteindre un Ailleurs
Alleluia de lumière
ou ténèbres éternelles ?
Port paisible
ou apocalypse muette ?
Voit-on sa chair se désagréger
dans la joie ou l'horreur?
Rose, belle rose dans ton épanouissement
que septembre apprête
dis-moi quelle âme vas-tu parer
dans cet au-delà
où fondent tes couleurs ?
Tatiana Roy
Chants de l'Inaccueillie (1997)
Préface de Jacques Lacarrière
Le ciel traîne sur la terre sa lourde graisse
la vieille chouette en son miroir
a la peau souillée de ciel.
Comment vivre face à face avec ce double
cette étrangère aux yeux de pluie ?
Dès que la quitte mon regard
elle glisse en mon âme
et saccage.
Ah ! si j'avais deux corps
celui de l'âme
celui de l'âge.
Tatiana Roy
Chants de l'Inaccueillie
p 25, éd DOMENS
préface Jacques Lacarrière
Orage à Vézelay
Seule avec le vent sur la terrasse dominant la vallée, je m'accoude
par-dessus le sépulcre de Madeleine, par-dessus les terres
mouillées, le vent est avec moi
quand grolle le choucas
l'esplanade en son décor de ruines est verte, au loin l'averse traverse l'iris du ciel, l'étoile y déroule une pavane.
J'écoute la nuit des vents, la basilique en croix noire
sur les jonchées d'orage
j'écoute vivre l'énorme chose qui n'a pas de nom
les songes qui errent autour des vieilles demeures
La chouette s'égare dans une lune de menthe et toi,
l'homme absent, tu es en moi.
S'ouvre la nuit, voici le vent de pluie, j'aime et tu es en moi
et puis voici la pluie, j'entends sa chute sur les tuiles,
son cliquetis au râtelier des marronniers.
Il pleut sur la terrasse, quelle âme en moi soudain bat de l'aile ?
Mon amour tu es en moi, j'élève vers toi la source de mon âme
Il pleut, la lune a couleur d'alun, le ciel se vêt des plumes du paon
L'aube vole ses heures à la tristesse
j'ai froid.
Mon amour vivons même si la chair n'est plus chair, avec
le cri cinglant des hirondelles au haut des tours.
Bel âge me voici, toi et moi sur la route avec ce vent d'ailleurs.
Tatiana Roy
Chants de l'Inaccueillie
( Préface de Jacques Lacarrière )
© photo fruban |
"Deux pommes de pin, sphynx de pierres, gardent l'entrée de la vasque qui recueille le liquide sacré. Leur nuque bouclée s'imprègne d'une teinte de Sienne.
Le sentier se faufile entre les murets chancelants, se perd dans la clairière où des lucioles pirouettent sur la cime des herbes (...)"
Tatiana Roy
Chants de l'Inaccueillie
Où es-tu vérité ?
source d'exils
Anges noirs ou Anges clairs
je suis triste ô beauté alentour
qui te contemple?
cette antique maison
je suis l'une de ses pierres
la vieille patine de ses meubles
le temps me tourne et me retourne
comme le soleil qui roule sur le ciel.
Suis-je ces crépitements
d'oiseaux en liberté?
suis-je ce gong du coeur
dans l'errance du passé?
ou ce vrombissement de la boule d'or
des mouches au-dessus de ma tête
ou ne suis-je que ma mort
en cet arbre abattu?
Où es-tu vérité?
beauté qui surgit
entre ombre et lumière
entre chaud et froid.
Tatiana Roy
Chants de l'Inaccueillie
*****
Voyez mon coeur fait naufrage et mon corps le suit
il existe pourtant le baiser d'automne
celui de la main qui rêve la main qui étreint
Venez, venez - allons explorer
il y a quelque chose à trouver
entre les lèvres du dernier soleil d'automne
Venez, venez - mais où fouiller ?
- il est là caché là - qui cela ?
quoi ? un simple baiser d'automne
Peut-être est-ce les yeux des chats qui fixent dans la nuit
peut-être mon Kotik les essaime dans la vitre
ou la mort qui grave en moi ses yeux magnétiques
Qui aime le sourire aime le mystère
trouvera les bras les lèvres l'énigme et l'oubli
alors que mon corps fait naufrage et mon coeur le suit
il niche là - où donc ? Là !
Venez -cherchons - impossible ne pas trouver
le baiser d'automne dans la main qui étreint
avant que mon corps ait fait naufrage
mon coeur déjà le suit
hier aujourd'hui ou demain peine perdue.
Tatiana Roy
Ne restera qu'un peu de vent
Editions L'Or des Etoiles (p.8)
*****
Je prends à pleine main la masse de la nuit
et ce sont des étoiles, je déplie
la couverture du silence, et découvre
très proche et très lointaine la forme nue
de la terre
et mon voeu devient cristal
éprouvé de lumière.
L'aube oblongue
le temps de se mouvoir en elle
le couchant finitude d'une vie
fulgurant
Tatiana Roy
in, Ne restera qu'un peu de vent (éd L'Or des étoiles)
Une Mère est morte
Parfois je suis pleine de voix anciennes
le moment vient on entend Son pas
on ne voit rien dans le miroir qui n'y soit déjà
on croit vivre longtemps l'immédiat
alors qu'il file à vive allure
Et ce ciel terriblement vivant qui nous guette
par-dessus les étoiles sans jour et sans nuit
elle prie
muettes les lèvres remuent
Où s'ouvre donc cette porte
qui ne se referme que sur soi ?
O lumière ! Est-elle dehors est-elle dedans ?
peut-être l'avait-elle un instant entrevue quand la brèche s'entrebâillait ?
Les jours se suivent de si près en la souffrance
à peine un peu de nuit pour séparer
et les nuits s'emboîtent si étroitement aux nuits
les jours entre elles s'effacent.
La jeunesse en secret la visite
alors qu'elle se débat et halète
aborde l'autre rive
une icône en main.
Aux bouts d'une longue table
deux hommes qu'elle ne sut aimer
l'accueillent sur le seuil
et déposent sur son front
le baiser fraternel et glacé qui scelle leur complicité.
La tombe de ma mère conduit les pas
vers le plus haut silence
peut-être que le miroir du souvenir
n'est ni miroir ni souvenir
peut-être que les larmes d'un instant de peine
ne frémissent pas sous la chaleur d'un baiser
peut-être n'y a-t-il pas de mystère
sous cette dalle
où se penche le bouleau
peut-être que mes lèvres ne savent plus prier
et l'image s'est assombrie dans le passé
de douleur et sous la solitude
peut-être éclatera-t-il mon coeur d'un mal encore plus aigu
peut-être que la lumière usée de ses yeux
ne pénètre plus en mon âme
tu es là malheureuse telle étais-tu vivante
peut-être me pardonneras-tu
Tatiana Roy
Ne restera qu'un peu de vent
Dans Encyclopédie de la mort
http://agora.qc.ca/thematiques/mort/dossiers/roy_tatiana
Tatiana Roy, née SOUKHOROUKOFF en Bulgarie de parents immigrés russes, a écrit et publié pendant plusieurs décennies. Journaliste, traductrice, poète, écrivaine, ayant touché à de nombreuses expressions artistiques, elle est décédée et inhumée à Vézelay en août 2012.
Tatiana a écrit Bonheurs quotidiens, Paris, Éditions Tirésias, 2000
« Être l'épouse d'un grand écrivain est une situation à la fois terrible et merveilleuse, tel devrait être notre avis, certes sommaire, mais Tatiana Roy, toute en finesse, avec malice et un immense talent, nous livre, jour après jour, ses relations jamais atones avec Jules Roy et nous irradie cette drôle d'aventure. Elle nous narre ses émois, ses peurs à rassurer, ses allégresses à partager l'ombre et la lumière de « son » Julius; alors l'écriture devient comme une empreinte à cette vie si peu commune. Elle nous dit sans fard, avec une vraie nudité, cruelle et pourtant si belle, non exhibitionniste, ses regrets de femme de lettres, parfois son calvaire de femme sensible, sensuelle, se sentant abandonnée, mais toujours chantant son amour pour celui qu'elle nomme « son grand écrivain de mari ». Avec elle, nous traversons sa première rencontre, un peu rude, et avec elle, nous sommes désarçonnés de l'accueil qui lui est fait, à la limite de la maniaquerie, elle si nonchalante. De page en page, elle va nous apprendre à aimer cet homme, à prendre conscience de son oeuvre, de sa sensibilité et de sa place dans l'histoire de la littérature française, de cette fin du XXe siècle ». (Éditeurs)
Unica unicae , Correspondance amoureuse entre Jules et Tatiana Roy
par Jules Roy, Tatiana Roy, Paris, Tirésias, 2007.
« Unique, tel au féminin, tel au masculin, est le souhait Unica Unicae de Jules Roy, qui nous porte dans ces pages de lettre en lettre, d'année en année. Des mots, des sentiments, des vies, des instantanés, avec les interrogations domestiques, les petits riens qui font une vie belle ou empoisonnante. Ces faits qui marquent et coulent à la rigole de la plume nous sont offerts comme une page d'écriture ou encore une maison à entretenir, une correspondance à tenir, l'empreinte du temps, l'errance d'un parcours, les angoisses de l'écrit, l'avant difficile d'un livre à faire naître et toutes ces pensées qui obsèdent l'esprit de celui qui écrit et qui pourtant espère convaincre, de sa force littéraire, tous les lecteurs. Et Jules Roy écrit et dit, et Tatiana, qui n'est pas un réceptacle, ni de ses plaintes, ni de ses joies, ni de son succès, ni de ses douleurs, devient un miroir à double face, qui renvoie à son mari son état d'écrivaine, la naissance de mots faisant oeuvre pour la littérature. Nous lirons les dépenses et ses angoisses, le train de vie, la maison à entretenir de la ville, qui est désuète et surannée, et à celle à la campagne, champêtre, à laquelle on doit garder sa magie de rêverie. Toutes ces obsessions, comme une misère sur cette quête de reconnaissance, sur ces mots à inscrire, comme pour marquer le respect que l'on porte à l'autre, comme si on prenait soin de sa propre personne ». (Éditeurs)
Ne restera qu’un peu de vent
Poèmes de TATIANA ROY
Ce troisième recueil de poèmes de Tatiana Roy, qui vit à Vézelay depuis vingt-cinq ans, témoigne d’une inaltérable sensibilité au lieu, à son charme entêtant. C’est le Vézelay d’automne et
d’hiver qui est transcrit ici, pluvieux et presque « slave », habité de rares figures, plus animales qu’humaines. Les poèmes sont imbibés de mélancolie sans pathos : une ambiance singulière se dégage, alliage de simplicité et de profondeur. La perspective de la mort n’est pas niée ou rejetée, elle est intégrée au paysage, à sa place…
En attendant l’éternité, poèmes, Grasset, Paris, 1972
Châteaux d’Exils, roman, Balland, Paris, 1988
Chants de l’inaccueillie, poèmes, préface de Jacques Lacarrière, Domens, Pézenas, 1997
L’Ane sur la colline, récit, L’Or des Etoiles, Vézelay, 2001
Il faut lire Tatiana, absolument !
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