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"Poesia Vertical, son premier recueil, est publié à Buenos Aires en 1958 à compte d’auteur. Comme le seront les quatre suivants jusqu’en 1974. Il faudra attendre les années quatre-vingts pour qu’il trouve un éditeur dans son pays alors que des amis fidèles, Fernand Verhesen et Roger Munier, l’avaient publié à l’étranger.
Contraint à l’exil sous la dictature militaire et le péronisme, il a dû s’exiler aux États-Unis et en Colombie. De retour en Argentine, il a dû affronter l’intolérance, cette fois, des intellectuels de gauche. À nouveau exilé, il a voyagé. Il est devenu expert de l’Unesco dans de nombreux pays d’Amérique centrale. Sa compagne, Laura Cerrato, professeur de littérature anglo-saxonne à l’université de Buenos Aires et poétesse, l’a suivi dans presque tous ses déplacements. Son amitié pour Antonio Porchia fut indéfectible. Il vivait à Temperleydans la banlieue de cette ville. Il aimait les mots profonds, concis, et les alcools forts. Malade dès 1993, il savait qu’il ne pourrait achever son œuvre, et cela le blessait plus que la mort en marche, il en entendait « le bourdonnement de fond ». Son dernier poème dicté à sa chère Laura est perdu, vengeance de l’indicible.
Il est mort à Buenos Aires le 31 mars 1995, éternel exilé." (Esprits nomades)
Bien que nous vivions à peine,
la musique de fond de la vie
nous permet pour le moins
d’écouter la rumeur de vivre.
sur le site Esprits nomades
*****
Le jour où sans le savoir
nous faisons une chose pour la dernière fois
- regarder une étoile,
passer une porte,
aimer quelqu'un,
écouter une voix -
si quelque chose nous prévenait
que jamais nous n'allons la refaire,
la vie probablement s'arrêterait
comme un pantin sans enfant ni ressort.
Et pourtant, chaque jour
nous faisons quelque chose pour la dernière fois
- regarder un visage,
nous appeler par notre propre nom,
achever d'user une chaussure,
éprouver un frisson -
comme si la première fois ou la millième
pouvait nous préserver de la dernière.
Il nous faudrait un tableau
où figureraient toutes les entrées et les sorties,
où, jour après jour, serait clairement annoncé
avec des craies de couleur et des voyelles
ce que chacun doit terminer
jusqu'à quand on doit faire chaque chose,
jusqu'à quand on doit vivre
et jusqu'à quand mourir.
Roberto Juarroz (1925-1995)
Poésie verticale, 15
traduction Jacques Ancet
El día en que sin saberlo
hacemos por última vez una cosa
-mirar una estrella,
atravesar una puerta,
amar a alguien,
escuchar cierta voz-
si algo nos advirtiera
que nunca volveremos a hacer eso,
probablemente la vida se detendría
como un muñeco sin niño ni resorte.
Sin embargo, cada día
hacemos algo por última vez
-mirar un rostro,
llamarse con su propio nombre,
terminar de gastar un zapato,
probar un temblor-
como si la primera vez o la milésima
pudiera preservarnos de la última.
Nos haría falta un tablero
con todas las entradas y salidas marcadas,
donde se anuncie claramente, día por día,
con tiza de colores y con vocales
qué le toca terminar a cada uno,
hasta cuándo se hace cada cosa,
hasta cuándo se vive
hasta cuándo se muere.
Roberto Juarroz
Poème original en entier
Redes de cansancios que vienen de afuera
se suman a veces
a los cerriles fracasos del cuerpo
y a las cautas derrotas del pensamiento
y esa inesperada complicidad
nos hace trastabillar penosamente
en las vecindades del abismo.
Pero si entonces no caemos,
el viento que viene del abismo nos salva:
desbarata las redes
y borra las tenebrosas complicidades.
Sólo la constante inminencia de la caída
permite colonizar provisoriamente la caída.
El día en que sin saberlo
hacemos por última vez una cosa
-mirar una estrella,
atravesar una puerta,
amar a alguien,
escuchar cierta voz-
si algo nos advirtiera
que nunca volveremos a hacer eso,
probablemente la vida se detendría
como un muñeco sin niño ni resorte.
Sin embargo, cada día
hacemos algo por última vez
-mirar un rostro,
llamarse con su propio nombre,
terminar de gastar un zapato,
probar un temblor-
como si la primera vez o la milésima
pudiera preservarnos de la última.
Nos haría falta un tablero
con todas las entradas y salidas marcadas,
donde se anuncie claramente, día por día,
con tiza de colores y con vocales
qué le toca terminar a cada uno,
hasta cuándo se hace cada cosa,
hasta cuándo se vive
hasta cuándo se muere.
A veces uno se nombra estando solo,
repite su nombre
como un espejismo en el desierto,
asombrado de su propia presencia
y sintiendo que otro debería nombrarlo.
No importa entonces
que uno haya extraviado su nombre
entre los vericuetos del derrumbe
y use nada más que un nombre supuesto.
No importa tampoco que ningún nombre nombre nada.
Basta a veces un acento en el vacío.
Basta un estremecimiento diferente en el follaje.
Un temblor afín en lo impávido.
El sumo desvarío
del hablar cuando todo calla
o callar cuando todo habla
se disimula con la maniobra
de hablar para callar
o callar para hablar.
La realidad es un lienzo salpicado
por gotas de palabras y gotas de silencio.
Y las gotas se mezclan
en un delirio sin axiomas
hasta empapar a veces todo el lienzo.
¿Se podrá secar el lienzo alguna vez
para poder así envolvernos?
Todo texto, toda palabra cambia
según las horas y los ángulos del día o de la noche,
según la transparencia de los ojos que los leen
o l nivel de las mareas de la muerte.
Tu nombre no es el mismo,
mi palabra no es la misma
antes y después del encuentro,
antes y después de volver a pensar
que mañana no estaremos.
Cualquier cosa es distinta
si se mira de día o de noche,
pero se vuelven aún más distintas
las palabras que escriben los hombres
y las palabras que no escriben los dioses.
Y no hay ninguna hora,
ni la más promisoria o lúcida o ecuánime,
ni siquiera la hora sin carteles de la muerte,
que pueda equiparar los reflejos,
ajustar las distancias
y hacer que las mismas palabras
digan las mismas cosas.
Todo texto, toda forma, se quiera o no se quiera,
es un mudable, tornasolado espejo
de la furtiva ambigüedad de la vida.
Nada tiene una sola forma para siempre.
Ni siquiera la eternidad es para siempre.
Los nombres que nos pueblan la vida
nos consuelan tal vez de algo que falta
en el centro sin nombre de todo.
Los nombres que nos pueblan la vida
como pequeños duendes
o mínimos fantasmas
nos guardan sin embargo del mayor accidente:
la caída de la nada en la nada
¿No será que los nombres que nos pueblan la vida señalan,
por encima de las cosas que nombran, el
lugar de otro centro?
Roberto Juarroz
Quinzième poésie verticale, traduction de Jacques Ancet, Corti, septembre 2002.
*****
Un nuage m'a visité.
Et m'a laissé en s'en allant
son contour dans le vent.
Une ombre m'a visité.
Et m'a laissé en s'en allant
le poids d'un autre corps.
Une bouffée d'images m'a visité.
Et m'a laissé en s'en allant
l'irréligion du rêve.
Une absence m'a visité.
Et m'a laissé en s'en allant
mon image dans le temps.
Et moi je visite la vie.
Je lui laisserai en m'en allant
la grâce de ces restes.
Poésie verticale, traduction Roger Munier, Collection : Points Poésie
*****
Il n'y a pas de silence.
Penser n'est pas silence,
une chose n'est pas silence,
la mort n'est pas silence.
Être n'est pas silence.
Aux alentours de ces faits
il n'y a que lambeaux de nostalgie :
la nostalgie du silence
qui peut-être un jour exista.
Ou peut-être n'exista jamais
et peut-être devons-nous le créer ?
Poésie verticale, traduction Roger Munier, Collection : Points Poésie
*****
Toujours au bord.
Mais au bord de quoi ?
Nous savons seulement que quelque chose tombe
de l’autre côté de ce bord
et qu’une fois parvenu à sa limite
il n’est plus possible de reculer.
Vertige devant un pressentiment
et devant un soupçon :
lorsqu’on arrive à ce bord
cela aussi qui fut auparavant
devient abîme.
Hypnotisés sur une arête
qui a perdu les surfaces
qui l’avaient formée
et resta en suspens dans l’air.
Acrobates sur un bord nu,
équilibristes sur le vide,
dans un cirque sans autre chapiteau que le ciel
et dont les spectateurs sont partis.
*****
Siempre al borde.
¿Pero al borde de qué?
Sólo sabemos que algo cae
al otro lado de este borde
y que habiendo llegado hasta su limite
no es posible ya retroceder.
Vértigo ante un presentimiento
y ante una sospecha:
al llegar a este borde
también lo de antes
se convierte en abismo.
Hipnotizados encima de una arista
que perdió las superficies
que la habían formado
y quedó suelta en el aire.
Acróbatas sobre un borde desnudo,
equilibristas sobre el vacío,
en un circo sin más carpa que el cielo
y cuyos espectadores se han partido.
Roberto Juarroz (1925-1995)
in, Treizième poésie verticale (José Corti, 1993)
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Roger Munier.
Sur Esprits nomades
"Nous sommes le reste de quelque chose qui nous consume." (Quinzième poésie verticale).
Roberto Juarroz n’aimait pas se répandre sur sa biographie.
« J'avoue que je n'ai jamais été très enclin à écrire ma biographie. D'une part, je n'ai pas attaché beaucoup d'importance à l'Autre. La vie est pour moi un accident, un mélange de hasard et du destin. Ce qui aurait pu en être autrement, n’a pas plus de valeur ou d'intérêt pour les autres… Ce qui est dicible de ma vie est la transfiguration de mes poèmes. La vie je la garde pour les vivants, mais pas tant des souvenirs et encore moins des histoires à décrire. Tout est certainement plus complexe que cela, mais je ne peux m'empêcher d' avoir certaines allergies concernant ma propre biographie. « (26 août 1986).
Lire aussi
Chez José Corti
Sur Terre à ciel
ROBERTO JUARROZ (1925~1995)
Va et vient de la tendresse
Qui arrive ou se retire
Comme un rêve d'enfant,
Manipulant des distances
Qui s'écourtent ou s'allongent
Sans changer de mesure.
La rencontre et la séparation
Occupent le même espace,
Qui s'éveille parfois vers un côté
Et parfois vers l'autre
Comme un homme dans son lit,
Qu'il soit seul ou non.
La tendresse dissout
Cette ligne illusoire
Qui partage les eaux
De la séparation et de la rencontre.
Près et loin n'existent pas.
La tendresse les crée
Comme la mer crée la plage
avec le bord insaisissable
De ses sages marées.
Douzième poésie verticale, traduction de Fernand Verhesen
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