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23/05/2012
Hélène Cadou, « à contre-silence »
Car ce printemps est advenu
Comme d'une étoile écorchée
Comme d'une étoile écorchée
Dans la grande allée du royaume
À jamais perdu retrouvé
À jamais perdu retrouvé
Douceur des larmes dans la chair
Enfance aiguë
Enfance aiguë
In Si nous allions vers les plages © Rougerie 2003, p.67
« Pour
avoir été la compagne d'un poète qui n'a fait que “grandir” depuis sa
mort, Hélène Cadou aurait dû choisir le silence, ce qu'elle a fait en
vérité .On m'objectera ses recueils. Ils sont une parole plus profonde
destinée au seul être qui ait jamais compté dans sa vie. » écrivait à
son propos, en 1989, le poète Charles Le Quintrec dans le numéro 25 de
la revue À contre-silence qui lui était consacré. Or, pour tous ceux qui
la lisent assidûment Hélène Cadou a depuis longtemps trouvé sa voix
inimitable.
Ce soir
La nuit est bleue
La nuit est bleue
Avec un parfum de girofle
Sous la pierre lente et chaude
Sous la pierre lente et chaude
Tu vas et viens
De ton cœur
Au jardin
De ton cœur
Au jardin
Et le pouls des planètes
Pourrait cesser de battre
Pourrait cesser de battre
Sans que la peur
Ne soit nommée
Ne soit nommée
Dans la douceur des choses.
Ibid, p.58
Certes,
discrétion et pudeur, ouverture à l'autre et sens aigu de sa fonction
de poète la caractérisent, ainsi que grande humilité car bien que
René-Guy Cadou soit mort prématurément en 1951 et qu'elle ait écrit,
pour sa part, 23 recueils, quelques proses et que plusieurs thèses et
des livres aient été consacrés à son œuvre, qu'elle ait été couronnée en
1990 par le Prix Verlaine, elle ne tire aucun orgueil de cette
réussite.
Le
site officiel créé récemment, à sa demande par sa famille et que vous
pourrez consulter sur internet, est encore rédigé à leurs deux noms.
Hélène Cadou est maintenant une vieille dame respectable et le projet de
vous la présenter de son vivant, dans La Pierre et le sel, n'en est que
plus pressant.
Son dernier recueil, paru chez Rougerie en 2007, sous le titre Le Prince des lisières et
dédié à René, s'achève par le poème qui suit et figure sur son site,
après un poème de René-Guy Cadou. Je reproduis ici leurs deux textes en
écho. Ce sera la seule entorse à cet hommage, à elle entièrement
consacré.
Toi
Dans une tour de soleil
Toi
Dans la terre
Avec mes ongles retournés
Dans une tour de soleil
Toi
Dans la terre
Avec mes ongles retournés
Toi
N'en déplaise aux loups
Qui cernent mon sommeil
Toi
Dans la mer
À la pelure fraîche lavée
N'en déplaise aux loups
Qui cernent mon sommeil
Toi
Dans la mer
À la pelure fraîche lavée
Avec les mille doigts du bonheur
Avec le fuseau des heures enlacées
Avec les continents en dérive
Avec le fuseau des heures enlacées
Avec les continents en dérive
Toi
Dans la chambre où je veille
Épaule contre ma joue
Fougère qui parle dans les vitres
Arbre du sang qui me dessine
Dans la chambre où je veille
Épaule contre ma joue
Fougère qui parle dans les vitres
Arbre du sang qui me dessine
Toi
À plein cœur à pleine voix
Toi
Dans les souvenirs à venir
Pour l'enfant que nous n'avons pas.
À plein cœur à pleine voix
Toi
Dans les souvenirs à venir
Pour l'enfant que nous n'avons pas.
In Le prince des lisières, © Rougerie 2007 p.105 et sur le site officiel des Cadou
Celui qui entre par hasard
Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
que chaque nœud du bois renferme davantage
de cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt
Il suffit qu'une lampe pose son cou de femme
À la tombée du soir contre un angle verni
Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles
Et l'odeur de pain frais des cerisiers fleuris
Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu'une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes
La légèreté d'un arbre dans le matin
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
que chaque nœud du bois renferme davantage
de cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt
Il suffit qu'une lampe pose son cou de femme
À la tombée du soir contre un angle verni
Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles
Et l'odeur de pain frais des cerisiers fleuris
Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu'une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes
La légèreté d'un arbre dans le matin
René-Guy Cadou in Hélène ou le règne végétal, © Seghers, 1951
Les
vers d'Hélène furent probablement écrits, après son retour dans la
maison d'école de Louisfert, en Loire-Atlantique, où ils vécurent
ensemble jusqu'à la mort de René et qui, rénovée et transformée en petit
musée ouvert au public, fut mise à sa disposition par la municipalité
en 1993, pour sa plus grande joie ; elle y passa les mois d'été,
jusqu'en 2008, accueillant avec le sourire les admirateurs du poète et
vivant dans la chaleur de leurs souvenirs.
Tu es ici
Dans ces vieux murs
Dans ces vieux murs
Et tu es là
Au frais de ma mémoire
Au frais de ma mémoire
À la source matinale
Du vent
Du vent
Et des éclats de soleil
Tu es le prince des lisières
Tu es entre hier et demain
Tu es entre hier et demain
Toujours présent celui qui vient.
Ibid p.70
Née
en 1921, à Mesquer, en Loire Atlantique, pays de mer et de marais
salants, de landes et de bruyères, dans une famille d'instituteurs, elle
fait ses études secondaires à Nantes, où ses parents sont alors en
poste.
Elle
entre très tôt en poésie, adolescente elle aime Nerval et écrit des
poèmes puis découvre Tristan Corbière, Francis Jammes, Claudel,
Supervielle, Patrice de la Tour du Pin et… René-Guy Cadou, qui a
dix-sept ans, en 1937, et vient de publier son premier recueil Les brancardiers du cœur.
Dans un entretien accordé à Christian Butling, poète et éditeur, dans le numéro 25, que lui consacre la Revue À contre-silence,
Hélène dit : « je n'avais pas quinze ans et d'emblée, j'ai su que la
poésie pour moi c'était cela. Chacun de ces poèmes m'apparaissait comme
un pur cristal de lumière où se jouait la vie de ce jeune homme », jeune
homme qu'elle cherchera dès lors, à rencontrer.
Rencontre
qui se fera en 1943, à Clisson, où René est instituteur, coup de foudre
réciproque, suivi de longs échanges de lettres et de moments partagés
jusqu'à leur mariage en 1946, union différée par la tuberculose dont
souffre Hélène, la guerre et ses études de philosophie à Bordeaux. Ils
vivront désormais dans la maison d'école de Louisfert jusqu'à la mort,
en mars 1951, de René emporté par un cancer.
Hélène,
qui a presque cessé d'écrire du vivant de René, doit alors en urgence
trouver travail et logement. Grâce à l'intervention d'amis, elle
deviendra bibliothécaire à Orléans, où elle fera carrière.
Tout
en consacrant tous ses soins à la diffusion de l’œuvre de René, elle se
remet heureusement à écrire et s'en explique au cours de l'entretien
avec Christian Butling : « Écrire, c'était non seulement survivre mais
aussi tenter de poursuivre le dialogue, d'apporter une réponse à celui
qui m'avait tant donné (...) écrire en poésie c'était retrouver ce lieu
où il n'y a pas de frontières ni d'exil, où je rejoignais René, notre
existence même. »
Elle publiera Bonheur du jour en 1956 et Cantates des nuits intérieures en 1958.
Elle précise : « à l'époque des“Cantates” j'étais
comme immergée. Il fallait sortir de ce lyrisme, tout au moins, mieux
le maîtriser. Durant des années j'ai œuvré sur moi-même, écrivant
quotidiennement dans le silence. » Jugez du résultat.
Lorsque tu vois un cavalier
Surgir
Entre l'armoire et la fenêtre
Surgir
Entre l'armoire et la fenêtre
Avec sa traîne d'ombre
Et le hennissement des routes
Et le hennissement des routes
Il est temps de ranger ta vie
Et de plier le jour
Sept fois comme il convient
Sept fois comme il convient
Pour que demain
Renaisse
Renaisse
In Si nous allions vers les plages © Rougerie 2003, p.57
Je
l'approchai pour la première fois, en janvier 1990 , dans la crypte de
la Madeleine, à Paris, où Monique Royer, responsable du Centre d'Action Poétique, réunissait chaque mois dans le cadre de soirées intitulées Le Poète dit poètes contemporains et auditeurs pour des lectures et débats. Hélène y reviendra, en novembre de la même année, pour un hommage à René-Guy Cadou.
Venait de paraître, en 1989, son recueil au titre explicite Mise à jour, poèmes de 1956 à 1986, publié par la Librairie bleue.
Ce
jour-là, elle évoqua sa venue à la poésie, ses préférences, exprima sa
façon de « se battre avec la langue » parla de « cette envie, en tant
que femme, de laver les mots, d'user, pour sa propre écriture, du mot
courant, celui qui court à travers les âges, mais de le gauchir pour en
modifier l'impact et faire ainsi vaciller la réalité. »
Elle
recommanda la lecture d'un poète presque inconnu en France à l'époque,
Emily Dickinson, dont elle admirait « la concision, l'allègre désespoir
et le sens du raccourci » et qu'elle cita comme “sa référence en poésie”
avec Pierre Reverdy, auquel l'avait initié René-Guy Cadou.
Elle
expliqua l'usage fréquent qu'elle faisait du mot bleu, « qui est pour
moi un mot-clef », et qu'on retrouve dans nombre de ses poèmes.
Certains jours
Le jour est si bleu
Qu'on voit l'avenir
À sa porte
Le jour est si bleu
Qu'on voit l'avenir
À sa porte
(extrait) in Mise à jour © Librairie bleue 1989, p.58
Voir
Outre bleu
Outre miroir
L'autre du ciel
L'autre de soi
Outre bleu
Outre miroir
L'autre du ciel
L'autre de soi
(extrait) Ibid, p.132
Elle
développe dans le même entretien avec Christian Bulting, son désir de
« se faire la lingère des mots, de les intensifier afin de gagner la
transparence, en brisant l'opaque, en découpant la vitre, en déchirant
un carré de ciel, pour, à la fois, respirer et voir de l'autre côté et
avoir accès au bleu. » Elle trouve là son élan et sa quête.
Certes,
Hélène Cadou n'a cessé de célébrer celui qu'elle a aimé, et “qui lui a
tant apporté” et dont elle a choisi de faire vivre la poésie, mais elle a
su, à force de travail et d'épure, mettre dans ses propres poèmes les
mots justes, les mots de femme pour dire la vie, l'amour, la mort et
l'absolu, qui font longuement écho chez son lecteur.
Je songe à son recueil, paru chez Rougerie en 1981, Une ville pour le vent qui passe, dont les textes très courts ont la densité des haïkus.
Absent
Le bleu
Et pourtant
Le sable l'appelle.
Le bleu
Et pourtant
Le sable l'appelle.
**
À perte de vue
L'espace
Qui se nie
L'espace
Qui se nie
Mais le sel.
**
La terre
Carcasse
Fouillée
Fouillée
À nu
Sous la crinière
Du jour
Sous la crinière
Du jour
**
Des siècles
D'usure
D'usure
Visage de femme
Qui s'aride
Qui s'aride
Sans les larmes.
**
Rupture
La beauté
Est une épouse noire.
Est une épouse noire.
**
Dans le soir
Un tremblement
De ville
Un tremblement
De ville
Une dernière
Haleine bleue
Haleine bleue
Avant la retombée
Des siècles
Des siècles
Sans nulle trouée
Ni signe.
**
Ni signe.
**
Je songe aux poèmes de Retour à l'été, parus en 1993, chez Maison de Poésie, aux Presses universitaires de Nancy, recueil dédié également à René, chapitre I, Dans la fenêtre le jour gagne, qui offrent matière à nourrir une vie
Dans la fenêtre
Le jour gagne
Le jour gagne
D'est en ouest
L'infini traverse la chambre
L'infini traverse la chambre
Plus jeune
D'avoir caressé les meubles
D'avoir caressé les meubles
Il parle d'avenir
Sans faille
Sans faille
La mer dans son regard
Elle sort
Simplement
Pour vérifier le monde.
Elle sort
Simplement
Pour vérifier le monde.
p. 11
La femme
Découvre
Le fruit dans l'arbre
Le fruit dans l'arbre
L'unique fruit
Pour sa soif
Pour sa soif
Dans l'arbre unique
Si jeune le ciel
Que la vie afflue
À pleine gorge
Que la vie afflue
À pleine gorge
Amour dont je m'abreuve
Dit-elle
Posant la charge.
Posant la charge.
p.21
Il n'y eut pas de mots
Mais la reprise du jour
Mais la reprise du jour
À la minute
Où la vitre tomba
Où la vitre tomba
Les mains savaient.
p.23
Vois
Dit-elle
Le monde exulte
Dit-elle
Le monde exulte
Toi qui m'appelles
Le déchiré
Membres rompus
Je n'oublie rien
Le déchiré
Membres rompus
Je n'oublie rien
Si je m'éloigne
Tout se dessine en son épure
Tout se dessine en son épure
Tu me reviens.
p.27
Ailleurs,
elle évoque, “en lingère” attentive, choses et gestes simples du
quotidien, qui sous sa plume s'animent et se font gravité.
les draps sont blancs
pour quel sommeil ?
Ils gémissent sous le vent
dans la courbe du verger
épinglés au fil des heures
pour quel sommeil ?
Ils gémissent sous le vent
dans la courbe du verger
épinglés au fil des heures
l'eau rêve contre la pierre
une hirondelle l'effleure à peine
il va pleuvoir
une hirondelle l'effleure à peine
il va pleuvoir
sous la bruine
qui vient du lac
une lingère décroche
les messages sans nom
que personne
jamais n'aura décachetés.
qui vient du lac
une lingère décroche
les messages sans nom
que personne
jamais n'aura décachetés.
In L'innominée, chapitre 2, le dit du messager sans retour, avec des encres de J.Jacques Morvan, © Jacques Brémond 1983
jamais
tu ne pars
mais
tu mords chaque jour
un peu plus
la marge incertaine
du temps
tu ne pars
mais
tu mords chaque jour
un peu plus
la marge incertaine
du temps
jusqu'au vide
étincelant
de la nuit
étincelant
de la nuit
qui parle
à mots enfin
découverts.
à mots enfin
découverts.
Ibid, chapitre 5, écrire à blanc.
« Écrire à blanc », c'est tout un programme. Hélène Cadou, de livre en livre, sans faillir ni se perdre, réussit le tour de force de poursuivre l'échange avec l'absent qui l'habite, fidélité rare dans le respect des différences d'expression, pour parvenir à cette double moisson, au terme d'une vie entièrement consacrée à la poésie.
Dans
le même temps, elle a su donner beaucoup d'elle-même pour initier
jeunes, adultes et enfants des écoles à celle-ci, jusqu'à s'avouer
stupéfaite de les entendre au fil des rencontres lui “raconter” sa
propre poésie.
Fasse qu'à la lire vous ressentiez toute la force de son témoignage sur le sens de la vie, qui figure dans le n°25 de la revue À contre-silence:
« Si
depuis toujours, j'ai eu l'impression de vivre une histoire connue
d'avance, comme si René et moi avions ouvert, en même temps, le livre où
cette histoire était écrite, j'ai appris de René, par sa vie, par sa
poésie, qu'une petite chose qui s'appelle la liberté, la grâce ou bien
l'amour, était plus forte que la destinée et qu'on peut toujours
soulever le poids du malheur, tenter de transformer le temps, de
l'alléger en devenir qui s'invente, de changer le cours de l'histoire. »
Bibliographie complète
Poèmes
- Trois poèmes © P.A.B 1949
- Le bonheur du jour © Seghers 1956
- Cantates des nuits intérieures © Seghers 1958
- Les pèlerins chercheurs de trèfle © Rougerie 1977
- En ce visage l'avenir © Jacques Brémond 1977
- Miroirs sans mémoire © Rougerie 1980
- L'Innominée illustré par J.Jacques Morvan, © Jacques Brémond 1980
- Une ville pour le vent qui passe © Rougerie 1981
- Le jour donne le signal, illustré par Guy Bigot, © Christian Dorrière 1981
- Longues pluies d'Occident © Rougerie 1983
- Poèmes du temps retrouvé © Rougerie 1985
- Demeures © Rougerie 1988
- Mise à jour © Librairie bleue 1989
- Le pays blanc photographies de Christian Renaut, © Christian Renaut 1992
- Retour à l'été © Maison de Poésie Presses universitaires de Nancy 1993
- La mémoire de l'eau © Rougerie 1993
- L'instant du givre © René Bonargent, avec 5 gravures originales de l'éditeur 1993
- Le livre perdu © Rougerie 1997
- De la poussière et de la grâce © Rougerie 2000
- Si nous allions vers les plages © Rougerie 2003
- D'entrée de jeu l'été© Poésie en voyage 2004
- Le monde à l'endroit © Poésie en voyage 2006
- Le semainier © Cahiers Bleus/ Librairie bleue 2006
- Le prince des lisières © Rougerie 2007
- Le bonheur du jour suivi de Cantate des nuits intérieures, © Bruno Doucey, 2012 - réédition
Proses
- C'était hier et c'est demain © Éditions du Rocher 2000
- Une vie entière © Éditions du Rocher 2003
- La presqu'île guérandaise © Ouest France 2006
Sur Hélène Cadou
- Benoît Auffret. La signature d'une herbe. Hélène Cadou, poète © L'harmattan 2001
- Revue À contre-silence n° 25
- Revue Signes n° 12-13
- Sous le signe d'Hélène Cadou sous la direction de Christian Renaut, © Traict, 2010
Internet
Contribution de Roselyne Fritel
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