jeudi 24 juillet 2014

Dernière lettre de Stefan Zweig à Friderike, extrait de leur correspondance de 1912 à 1942

                                                                           Petrropolis, le 22 février 1942


Ma chère Friderike,


  Quand tu recevras cette lettre, je me sentirai bien mieux qu'auparavant. Tu m'as vu à Ossining, et, après une bonne période de calme, ma dépression m'a accablé de plus belle - je souffrais tellement que je ne pouvais plus me concentrer. Et puis la certitude - la seule que nous eussions - que cette guerre durerait des années, qu'il faudrait une éternité, avant que, dans notre situation, nous puissions retrouver notre foyer, cette certitude était trop décourageante. J'aimais beaucoup Petropolis, mais je n'avais pas les livres qu'il me fallait, et la solitude, qui avait eu d'abord un effet si bienfaisant, commença à me peser - l'idée que mon oeuvre capitale, le Balzac, ne pourrait jamais être terminée si je ne disposais pas de deux ans de vie paisible ni de tous les ouvrages nécessaires était très dure, et puis cette guerre, qui n'a pas encore atteint son point culminant. J'étais trop fatigué pour supporter cela. Tu as tes enfants, donc un devoir à accomplir, tu as de vastes champs d'intérêt et une énergie intacte. Je suis certain que tu verras des temps meilleurs, et tu me donneras raison de n'avoir pu attendre plus longtemps avec ma "bile noire". Je t'écris ces lignes dans les dernières heures, tu ne peux t'imaginer comme je me sens heureux depuis que j'ai pris cette décision. Embrasse tes enfants et ne me plains pas - rappelle-toi le bon Joseph Roth, et Rieger, et comme je me suis réjoui qu'ils n'aient plus à supporter ces tourments.
  Avec mon affection et mon amitié, courage - tu sais bien que je suis apaisé et heureux.

                                                                                                                                 Stefan

Stéphane Zweig devait se donner la mort avec sa nouvelle épouse Elisabeth Charlotte, née Altmann, le 22 février 1942

Cette lettre est extraite de " Friderike et Stefan Zweig, L'amour inquiet - Correspondance 1912-1942 

 
  Quelques liens pour en savoir davantage

http://www.alalettre.com/zweig.php

http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20130416.OBS8145/pourquoi-stefan-zweig-est-il-l-ecrivain-etranger-le-plus-lu-en-france.html

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