lundi 4 août 2014

Lettre de Gaza ( Salma Ahmed )

http://blogs.mediapart.fr/blog/elisabeth-chaudansonhttp://blogs.mediapart.fr/blog/elisabeth-chaudanson/020814/tous-les-gazaouis-ecrivent-des-poemes-damour-pour-lelectricite-qui-les-abandonnes-salma-ah

TOUS LES GAZAOUIS ÉCRIVENT DES POÈMES D'AMOUR POUR L'ÉLECTRICITÉ QUI LES A ABANDONNÉS. SALMA AHMED

" Voici un autre lettre de Salma Ahmed, professeur de français à Gaza, qui nous raconte sa vie sous les bombes, avec ses enfants. Ses récits poignants nous arrachent des larmes, et même au coeur de la détresse, Salma, comme tous les Gazaouis, ne perd pas son sens de l'humour. " M. Kacimi 

Chers amis,
Vous savez très bien que depuis des années, Gaza est devenue une grande prison à ciel ouvert.
Depuis le début de l’offensive sur Gaza, notre prison est devenue encore plus petite. Nous sommes prisonniers, chacun chez soi et on ne peut pas sortir facilement ! Imaginez cette vie de prisonnier pleine de peurs et de patience, ou peut-être d’impatience, je ne sais plus !
Hier soir, Israël a déclaré une trêve de 72 heures qui devait commencer vendredi à 8h00 du matin. Tout le monde était content mais aussi pas rassuré ! On parlait de 72 heures sans angoisse et sans peur, 72 heures de « liberté » dans la grande prison qui a beaucoup changé après la destruction de milliers de bâtiments. J’avoue que j’avais peur de sortir le matin et de voir « la nouvelle Gaza » qui pourrait me briser le cœur. Mais j'étais heureuse d'annoncer à mon fils, Tayssir, la bonne nouvelle :
- Oui, on va pouvoir sortir aujourd’hui, passer la journée chez tes grands-parents et tu vas pouvoir jouer avec tes cousins.
- Ils ont arrêté les bombardements alors, n’est-ce pas ?
- Oui mon chéri !
- Alors demain, on ira acheter les jouets et les vêtements pour les enfants comme on en a parlé. Je peux acheter un jouet pour moi ? Je jouerai avec Ahmed.
Tous les mots ne peuvent décrire la joie que j’ai vu aux yeux de mon fils.
Mais, vers midi, c'est la catastrophe, Israël annonce la fin de la trêve.
On est de nouveau déprimés. Tous nos projets partent en fumée. On ne va pas encore pouvoir voir le ciel de Gaza, la seule chose qui n’a peut-être pas changé.
Tayssir ! Que puis-je lui dire ? comment lui expliquer les raisons qui nous empêchent de sortir ?
J’ai besoin de vos conseils, mes amis. Dites-moi ce que je peux dire à un enfant de 4 ans s’il vous plait !
Dois-je lui expliquer toute la situation ?
Lui avouer qu’il y a des gens dans ce monde qui nous détestent et qui tuent nos enfants partout où ils sont ?
Lui dire que ces gens ne sont pas palestiniens comme nous ? Lui qui ne sait même pas que veut dire « palestinien » !
Lui qui connait les couleurs du drapeau palestinien sans savoir que veut dire un drapeau !
J’étais bien sûr obligée de lui dire qu’on ne pouvait plus sortir parce que les bombardements ont recommencé.
Il a pleuré et m’a demandé d’arrêter immédiatement tous ces avions qui nous bombardent !
Moi, arrêter les avions ! Comment ? Une maman est capable de beaucoup de choses, mais les F16 !
Il fallait l'occuper d'urgence, je lui ai donné des crayons et du papier, il a dessiné : ma mère, mon père, leur maison, leur rue et ses cousins.
Quant à mon papa qui attendait notre visite avec impatience, il a dû m’appeler pour me demander ne pas sortir à cause de la fin de la trêve.
J’ai deviné les larmes dans ses yeux qui nous attendaient.
Mes parents habitent à 2 km de chez moi et je ne peux pas les voir. Alors, quel est le sentiment des gens dont les familles habitent loin de chez eux ? Quel est le sentiment des gens qui ont perdu leurs familles sans pouvoir les revoir ?
Depuis ce matin, l’armée israélienne commet des massacres indescriptibles à Rafah. Beaucoup de civils sont les victimes de ces criminels. Ils continuent à raser la bande de Gaza.
Chers amis,
Nous avons de l'électricité deux heures par jour au maximum. J'ai la chance d’avoir un générateur à la maison pour charger nos portables, nos ordinateurs, les lampes chargeables, pour quelques heures alors que le carburant est très cher et rare ! Je ne mets plus rien au frigo car tout pourri très vite.
Il y a des quartiers où il n’y a pas de courant ni d’eau depuis 24 jours, oui 24 jours !
Il est même très difficile d’acheter l’eau potable aujourd’hui.
Les Gazaouis font la queue durant trois heures pour acheter le pain, les boulangeries n’arrivent pas à assurer l'approvisionnement à cause des coupures d’électricité et du manque de farine.
Tous les Gazaouis écrivent des poèmes d’amour pour l’électricité qui les a abandonnés !
Salma AHMED ELAMASSIE - Gaza le 2 août 2014 -

1 commentaire:

  1. Il conviendrait de dire à l'enfant que les grandes personnes qui ont été comme lui, des petits enfants, deviennent parfois des monstres. (Je ne lui dirais pas "souvent", ce que je crois pour lui laisser une lueur d'espoir). Je lui dirais qu'il doit absolument orienter sa vie pour rester ce qu'il est et ne pas devenir un jour ou l'autre, à son tour, un monstre par une haine non maitrisable, une peur irraisonnée ou un fanatisme obscurantiste. Et je m'appliquerais tout le temps qu'il faut pour bien lui expliquer car c'est vital pour lui, pour sa famille, pour nous tous et pour la vie elle-même.
    Cristian Ronsmans

    RépondreSupprimer