samedi 29 novembre 2014

Pablo Neruda, La lettre en chemin

Pablo Neruda, La lettre en chemin
Au revoir, mais tu seras
présente, en moi, à l’intérieur
d’une goutte de sang circulant dans mes veines
ou au-dehors, baiser de feu sur mon visage
ou ceinturon brûlant à ma taille sanglé.

Accueille, ô douce,
le grand amour qui surgit de ma vie
et qui ne trouvait pas en toi de territoire
comme un découvreur égaré
aux îles du pain et du miel.

Je t’ai rencontré une fois
terminée la tempête,
La pluie avait lavé l’air
et dans l’eau
tes doux pieds brillaient comme des poissons.
Adorée, me voici retournant à mes luttes.

Je grifferai la terre afin de t’y construire
une grotte où ton  Capitaine
t’attendra sur un lit de fleurs.
Oublie, ma douce, cette souffrance
qui tel un éclair de phosphore
passa entre nous deux
en nous laissant peut-être sa brûlure.

La paix revint aussi,
elle fait que je rentre
combattre sur mon sol
et puisque tu as ajouté
à tout jamais
à mon cœur la dose de sang qui le remplit
et puisque j’ai
à pleines mains ta nudité,
regarde-moi,
regarde-moi,
regarde-moi sur cette mer où radieux
je m’avance,
regarde-moi en cette nuit où je navigue,
et où cette nuit sont tes yeux.
Je ne suis pas sorti de toi quand je m’éloigne.

Maintenant je vais te le dire :ma terre sera tienne, je pars la conquérir,
non pour toi seule
mais pour tous,
pour tout mon peuple.
Un jour le voleur quittera sa tour.
On chassera l’envahisseur.

Tous les fruits de la vie
pousseront dans mes mains
qui ne connaissaient avant que la poudre.
Et je saurai caresser chaque fleur nouvelle
grâce à tes leçons de tendresse.

Douce, mon adorée,
tu viendras avec moi lutter au corps à corps :
tes baisers vivent dans mon cœur
comme des drapeaux rouges
et si je tombe, il y aura
pour me couvrir la terre
mais aussi ce grand amour que tu m’apportas
et qui aura vécu dans mon sang.
Tu viendras avec moi, je t’attends à cette heure,à cette heure,
à toute heure, je t’attends à toutes les heures.

Et quand tu entendras la tristesse abhorrée
cogner à ton volet,
dis-lui que je t’attends,
et quand la solitude voudra que tu changes
la bague où mon nom est écrit,
dis-lui de venir me parler,
que j’ai dû m’en aller
car je suis un soldat
et que là où je suis,
sous la pluie ou le feu,
mon amour, je t’attends.

Je t’attends dans le plus pénible des déserts,
je t’attends près du citronnier avec ses fleurs,
partout où la vie se tiendra
et où naît le printemps,
mon amour, je t’attends.
Et quand on te dira « cet homme
ne t’aime pas « , oh ! souviens-toi
que mes pieds sont seuls dans la nuit, à la recherche
des doux petits pieds que j’adore.

Mon amour, quand on te dira
que je t’ai oublié, et même
si je suis celui qui le dit,
même quand je te le dirai
ne me crois pas,
qui pourrait, comment pourrait-on
te détacher de ma poitrine,
qui recevrait
alors le sang
de mes veines saignant vers toi ?

Je ne peux pourtant oublier
mon peuple.
Je vais lutter dans chaque rue
et à l’abri de chaque pierre.
Ton amour aussi me soutient :
il est une fleur en bouton
qui me remplit de son parfum
et qui, telle une immense étoile,
brusquement s’épanouit en moi.
Mon amour, il fait nuit.

L’eau noire m’environne
et le monde endormi.
L’aurore ensuite va venir,
entre-temps je t’écris
pour te dire :  » je t’aime. « 
Pour te dire « je t’aime « , soigne,
nettoie, lève,
protège
notre amour, mon cœur.

Je te le confie comme on laisse
une poignée de terre avec ses graines.
De notre amour des vies naîtront.
De notre amour on boira l’eau.
Un jour peut-être
un homme
et une femme
A notre image
palperont cet amour, qui aura lui, gardé la force
de brûler les mains qui le touchent.
Qui aurons-nous été ? quelle importance ?

Ils palperont ce feu.
Et le feu, ma douce, dira ton simple nom
et le mien, le nom que toi seule
auras su parce que toi seule
sur cette terre sais
qui je suis, et nul ne m’aura connu comme toi,
comme une seule de tes mains,
que nul non plus
n’aura su ni comment ni quand
mon cœur flamba :uniquement
tes grands yeux bruns,
ta large bouche,
ta peau, tes seins,
ton ventre, tes entrailles
et ce cœur que j’ai réveillé
afin qu’il chante jusqu’au dernier jour de ta vie.

Mon amour, je t’attends.
Au revoir, amour, je t’attends.
Amour, amour, je t’attends.
J’achève maintenant ma lettre
sans tristesse aucune : mes pieds
sont là, bien fermes sur la terre,
et ma main t’écrit en chemin :
au milieu de la vie, toujours je me tiendrai
au côté de l’ami, affrontant l’ennemi,
avec à la bouche ton nom,
avec un baiser qui jamais
ne s’est écarté de la tienne.

Pablo Neruda
-Les Vers du capitaine
Poésie - Gallimard , traduction Claude Couffon

                                                                                      *****


                                                     La carta en el camino



ADIÓS, pero conmigo 
serás, irás adentro
de una gota de sangre que circule en mis venas
o fuera, beso que me abrasa el rostro 
o cinturón de fuego en mi cintura. 
Dulce mía, recibe
el gran amor que salió de mi vida 
y que en ti no encontraba territorio 
como el explorador perdido
en las islas del pan y de la miel. 
Yo te encontré después 
de la tormenta, 
la lluvia lavó el aire
y en el agua 
tus dulces pies brillaron como peces.

Adorada, me voy a mis combates.

Arañaré la tierra para hacerte una cueva 
y allí tu Capitán
te esperará con flores en el lecho. 
No pienses más, mi dulce, 
en el tormento 
que pasó entre nosotros 
como un rayo de fósforo 
dejándonos tal vez su quemadura.
La paz llegó también porque regreso.
a luchar a mi tierra,
y como tengo el corazón completo
con la parte de sangre que me diste
para siempre,
y como
llevo
las manos llenas de tu ser desnudo, 
mírame,
mírame, 
mírame por el mar, que voy radiante, 
mírame por la noche que navego, 
y mar y noche son los ojos tuyos. 
No he salido de ti cuando me alejo. 
Ahora voy a contarte:
mi tierra será tuya, 
yo voy a conquistarla, 
no sólo para dártela, 
sino que para todos, 
para todo mi pueblo.
Saldrá el ladrón de su torre algún día. 
Y el invasor será expulsado. 
Todos los frutos de la vida 
crecerán en mis manos 
acostumbrados antes a la pólvora. 
Y sabré acariciar las nuevas flores 
porque tú me enseñaste la ternura. 
Dulce mía, adorada,
vendrás conmigo a luchar cuerpo a cuerpo 
porque en mi corazón viven tus besos 
como banderas rojas,
y si caigo, no sólo
me cubrirá la tierra
sino este gran amor que me trajiste
y que vivió circulando en mi sangre. 
Vendrás conmigo, 
en esa hora te espero, 
en esa hora y en todas las horas, 
en todas las horas te espero. 
Y cuando venga la tristeza que odio 
a golpear a tu puerta, 
dile que yo te espero 
y cuando la soledad quiera que cambies 
la sortija en que está mi nombre escrito, 
dile a la soledad que hable conmigo, 
que yo debí marcharme 
porque soy un soldado, 
y que allí donde estoy,
bajo la lluvia o bajo 
el fuego, 
amor mío, te espero, 
te espero en el desierto más duro 
y junto al limonero florecido:
en todas partes donde esté la vida, 
donde la primavera está naciendo, 
amor mío, te espero.
Cuando te digan  "Ese hombre 
no te quiere", recuerda
que mis pies están solos en esa noche, y buscan 
los dulces y pequeños pies que adoro. 
Amor, cuando te digan
que te olvidé, y aun cuando 
sea yo quien lo dice, 
cuando yo te lo diga, 
no me creas, 
quién y cómo podrían 
cortarte de mi pecho 
y quién recibiría 
mi sangre
cuando hacia ti me fuera desangrando? 
Pero tampoco puedo
olvidar a mi pueblo. 
Voy a luchar en cada calle, 
detrás de cada piedra. 
Tu amor también me ayuda:
es una flor cerrada
que cada vez me llena con su aroma 
y que se abre de pronto
dentro de mí como una gran estrella.

Amor mío, es de noche.

El agua negra, el mundo 
dormido, me rodean. 
Vendrá luego la aurora 
y yo mientras tanto te escribo 
para decirte: "Te amo". 
Para decirte  "Te amo", cuida,
limpia, levanta, 
defiende
nuestro amor, alma mía. 
Yo te lo dejo como si dejara 
un puñado de tierra con semillas. 
De nuestro amor nacerán vidas. 
En nuestro amor beberán agua. 
Tal vez llegará un día
en que un hombre 
y una mujer, iguales 
a nosotros, 
tocarán este amor, y aún tendrá fuerza
para quemar las manos que lo toquen. 
Quiénes fuimos? Qué importa? 
Tocarán este fuego
y el fuego, dulce mía, dirá tu simple nombre 
y el mío, el nombre
que tú sola supiste porque tú sola
sobre la tierra sabes
quién soy, y porque nadie me conoció como una, 
como una sola de tus manos,
porque nadie
supo cómo, ni cuándo 
mi corazón estuvo ardiendo:
tan sólo
tus grandes ojos pardos lo supieron, 
tu ancha boca, 
tu piel, tus pechos, 
tu vientre, tus entrañas 
y el alma tuya que yo desperté 
para que se quedara 
cantando hasta el fin de la vida.

Amor, te espero.

Adiós, amor, te espero.

Amor, amor, te espero.

Y así esta carta se termina
sin ninguna tristeza:
están firmes mis pies sobre la tierra,
mi mano escribe esta carta en el camino, 
y en medio de la vida estaré
siempre
junto al amigo, frente al enemigo, 
con tu nombre en la boca
y un beso que jamás 
se apartó de la tuya.

Los versos del capitan







 Voici un extrait d’un recueil qui n’est pas le plus connu de Pablo Neruda, Les vers du Capitaine, et pourtant tout aussi beau que les autres. Le livre est bien longtemps resté sans auteur, ouvrant la portes aux hypothèses les plus extravagantes, mais pour comprendre les raisons véritables pour lesquelles Neruda ne signa pas immédiatement son ouvrage, je lui laisse la parole que je traduis avec grand plaisir. Voici donc l’explication telle qu’elle apparaît dans J’avoue que j’ai vécu, mémoires publiées de façon posthume qui fut traduit par mon ami Claude Couffon pour le compte des éditions Gallimard.


                 « … je vais vous raconter l'histoire de ce livre, l'un des plus discutés que j'ai jamais écrit. Ce fut durant longtemps, un secret. Durant longtemps mon nom n'apparut pas sur sa couverture, comme si je le reniais ou comme si lui-même n'avait pas su qui était son père. De même qu'il existe des enfants naturels, des enfants de l'amour naturel, Les Vers du Capitaine était un livre naturel. Les poèmes qui le constituent furent écrits ici et là et jalonnent mon exil en Europe. Ils furent publiés à Naples de façon anonyme, en 1952. L'amour pour Mathilde, la nostalgie du Chili, les passions civiles emplissent les pages de ce recueil dont un certain nombre d'éditions demeurèrent sans nom d'auteur. Pour la première édition, le peintre Paolo Ricci se procura un papier somptueux, des polices de caractères Bodoni, anciens, et des gravures dont les motifs étaient empruntés aux vases de Pompéi. Avec une ferveur fraternelle, il établit également la liste des souscripteurs. Et le beau volume parut bientôt, tiré tout juste à cinquante exemplaires. Nous célébrâmes longuement l'événement : table fleurie, frutti di mare et vin transparent comme de l'eau — un cru qui était le fils unique des vignes de Capri. Sans oublier l'allégresse des amis qui aimaient notre amour. Quelques critiques méfiants attribuèrent des raisons politiques à l'anonymat du livre. "Le parti s'y est opposé, le parti ne l'approuve pas", dirent-ils. C'était faux. Par bonheur, mon parti ne s'oppose pas à l'expression, quelle qu'elle soit, de la beauté. La vérité est que je n'ai pas voulu pendant longtemps, que ces poèmes blessent Délia, dont je me séparais. Délia del Carril, très douce passagère, fil d'acier et de miel qui lia mes mains dans les années sonores, avait été pour moi pendant dix-huit ans une compagne exemplaire. Ce furent là les raisons profondes, personnelles, respectables — et les seules — de mon anonymat. Plus tard le livre, même sans nom et sans prénom, se fit homme, un homme naturel et courageux. Il se fraya un chemin dans la vie et je dus, finalement, le reconnaître. »


© Traduction Pierre Clavilier


2 commentaires:

  1. L'amour et le devoir! Comment choisir l'un sans dénaturer l'autre. Très beau et poignant.
    Cristian

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  2. Plus je relis ce poème et plus je l'aime... il m'émeut, me bouleverse

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