RTS Eclats de Méditerranée
La mer qui ressemble à la vie, avec Vassilis Alexakis
En écoute :
émission de 30 mn
http://www.rts.ch/audio/la-1ere/programmes/eclats-de-mediterranee/6930979-la-mer-qui-ressemble-a-la-vie-avec-vassilis-alexakis-21-08-2015.html
La mer qui ressemble à la vie avec Vassilis Alexakis
Elle connaît tous les jeux, renferme tous les mystères, elle est très vieille et étonnamment juvénile, la mer de Vassilis Alexakis .
Qui raconte l'Egée, son île de Tinos, la danse et l’horizon.
La Méditerranée déchirée, la Méditerranée, devenue cimetière et nouvelle frontière, mais aussi la mer qui sait écouter. La mer qu’on peut manger comme un morceau de bleu. La mer qui est tout…
Je me suis demandé longtemps qui allait pouvoir faire écho aux éclats passionnés surgis pendant l’été. Quand Vassilis Alexakis m’a dit "venez donc", j’ai su que ce serait lui. Lui qui a parsemé ses derniers livres de réflexions politiques et poétiques, sur la crise grecque et la mer.
Comme dans "La clarinette", paru en 2015, au Seuil, où il dit que la mer fait parfois osciller le bateau tout doucement en prenant les passagers pour des enfants qu’il faut bercer.
Vassilis Alexakis, érudit et tendre, pertinent mais doux, qui a raconté dans plusieurs romans, son voyage intime du grec au français, puis du français au grec, et son amour des langues.
Vassilis Alexakis qui a surtout écrit "La clarinette" pour son ami et éditeur, qu’il appelle simplement Jean-Marc. Il l’a accompagné jusqu’à la fin et au-delà, puisque leur dialogue se poursuit au fil des pages. Et même d’une chambre d’hôpital à une autre, puisqu’il parle depuis un lit blanc.
Mais comme debout face à l’horizon, sur son île de Tinos. Ou comme quand il nage avec son masque et qu’il a l’impression de voler.
A lire aussi
Parmi ses nombreux et très beaux romans et récits:
"Paris-Athènes", "La langue maternelle" et "L’Enfant grec", parus chez Stock et en Folio.
Paru dans BIBLIOBS
© photo Vincent Nguyen / AFP Vassilis Alexakis et Jean-Marc Roberts, en 2005 |
Dans l’avion grec qui le ramène à Paris, Vassilis Alexakis est assis à côté d’une femme sujette au stress aéronautique. Elle lui demande ce qu’il fait dans la vie.
Lui : «Je suis équilibriste. »
« A votre âge ? », s’étonne la dame.
« J’évite les exhibitions périlleuses, dit-il pour la rassurer. Je ne fais plus les chutes du Niagara ni les tours de Notre-Dame. Je me produis dans les cimetières pour égayer les familles en deuil. Je croise les âmes qui montent vers le ciel. Elles montent très lentement, elles ne sont pas pressées de prendre congé du monde, on dirait qu’elles le regrettent déjà.»
Il faut prendre Alexakis au mot. Cet écrivain est vraiment un équilibriste. Malgré ses 72 ans et sa jambe récemment opérée d’un anévrysme, il avance, léger comme une plume, sur le fil tendu non seulement entre sa Grèce natale et sa France d’adoption, mais aussi entre les vivants et les morts. Avec «la Clarinette», cet exercice acrobatique touche au bel art et atteint le sommet de l’émotion.
Hiver 2012-2013. Son meilleur ami, son frère spirituel, son éditeur depuis quarante ans, est atteint d’un mal incurable. C’est Jean-Marc Roberts, qu’il entoure de son affection, visite dans son appartement du square Montholon ou à l’hôpital, qu’il apostrophe et tutoie à chaque page de ce roman-vrai.
A Jean-Marc, qui a trop fumé, Vassilis, qui tire comme un sapeur sur sa bouffarde, confie sa mélancolie. Il est fatigué de Paris, il se demande s’il ne va pas retourner vivre à Athènes, où il part provisoirement fêter son anniversaire et où son père, quand il était malheureux, se mettait au soleil.
Alors qu’il traduit son dernier roman en grec, qu’il se traduit en somme, il se sent également prêt à prendre congé de la langue française. Comme si la fin prochaine de Jean-Marc l’obligeait à un nouveau départ. Comme si, sans lui, la France ne serait plus la France. Alors, il se dépêche de lui dire qu’il l’aime.
Car, pour Alexakis, tout est bon dans le Roberts : ses femmes, ses enfants, ses romans (il les résume en une formule lumineuse et poignante: «Un petit garçon courant derrière un camion de déménagement»), ses habitudes, ses blagues, sa bravoure, son panache.
A son ami de cœur dévoré par le crabe, il adresse ce livre dont la forme emprunte à la démarche du crabe, tout en à-côtés, en diagonales, en digressions.
Il lui parle de la maladie qui frappe la Grèce, des SDF, des avantages fiscaux dont l’Eglise bénéficie et des menaces proférées par Aube dorée contre les immigrés. Il revisite Paris à partir des adresses de toutes les maisons d’édition où Jean-Marc a travaillé. Il lui fait entendre, au téléphone, la chanson de Dalida, «Bambino», qu’il adorait.
Il va même jusqu’à lui décrire, tel un spectacle qu’il aurait manqué, son enterrement au cimetière de Montmartre. Car, même après sa mort, Vassilis Alexakis continue de lui raconter sa vie. On voudrait que ce roman plein de rires et de larmes ne s’arrête pas. Et que son héros revienne.
Jérôme Garcin
La Clarinette, par Vassilis Alexakis,
édition du Seuil
Je viens d'apprendre la mort de Vassilis Alexakis, le 11 janvier 2021 Grande tristesse chez ses amis et chez ses lecteurs.
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