Conteuse pour les petits, alphabétisatrice pour les grands, membre de la société des écrivains ardennais, je suis publiée régulièrement dans plusieurs revues belges et françaises.
a. s.
L'Ardenne…
J'habite
où les pierres ont manière d'hommes,
où les murs précaires en savent long.
La source prend très haut son cours
au delà des êtres privés d'enfance..
Ici,
la peau est folle d'un rien
d'une visite d'insecte
d'un gonflement de pulpe,
ni heurts ni prières
ne pourrissent les fruits par le centre.
Tout est instant
tout est attendu
et nous allons, aveugles souvent,
étreints par tous nos morts.
C'est ici que j'habite
à l'écoute des choses,
cri des argiles
ou éclatement des mousses.
Ici , le poème vient de peu :
d'une glissade du soleil
de la sourdine des mousses
qui rongent.
Ici , le poème se vit :
il naît
du babillage des sources
et de l'imperceptible souffle
des chemins nus.
Ici , le poème est matière :
il est dans toutes les plissures
dans le tragique des arbres
si tortueux
que le promeneur s'arrête
curieux du mystère.
Ici , le poème se déchire :
de l'oubli de l'eau
à la tension extrême
des rives
il se voile de pluie
et s'alourdit
de l'invisible.
Dans mon pays
les poètes viennent
d'une respiration d'herbe
d'un soupir de fougère…
Ils en savent les racines
et se perdent
dans chaque déroulement.
Leur verbe
grandit dans le silence.
Il s'insinue
jusqu'à la limite du mystère
et enserre la conscience.
On les croise
sans les reconnaître
et ce n'est pas
la moindre blessure !
Alors
leur regard glisse
et atteint la mollesse des fleuves
comme pour s'y reposer.
Une fenêtre s'ouvre.
De grandes étendues
d'arbres et d'eau,
y chercher l'oubli
ou l'absence de soi.
Puissant constant
l'invisible s'installe
sur la page où rien
ne sera écrit.
La vie palpitante
dans le remous d'orage
ou dans la sève
qui inonde soudain,
la vie s'éparpille
tout est illisible.
C'est un monde singulier
de terres érodées
un monde étrange de courbes et de poids
d'ombres et de gestes usés.
Il fallait vers l'indicible
tendre
ses nœuds
ses rêves épuisés…
Il fallait mêler
la boue à l'infini
et tout défricher
et tout arracher à la confusion.
Il fallait taire l'élan
qui jaillissait d'un jour à peine visible,
taire surtout
l'angoisse obstinée
qui marquait chaque passage.
Il fallait se libérer…
Il fallait choisir
l'indifférence
ou l'âpreté
il fallait creuser…
Forêt
unifiée
primitive
peuplée de mythes
et de souvenances
et de destins anonymes
trop portés par le hasard
masqués par l'habitude
et les nuits sans réalité,
tout était proche
encerclant
écrasant.
Il fallait se dégager
et partir
oser partir…
© Agnès Schnell
Déméter
Extrait de « Flâneries mythologiques » Inédit
Jouissance,
en étroit contact
l'argile fraîche et ma peau.
Chemins ouverts
sources bavardes
résineux et térébinthes
désordre d'herbes,
c'était jouissance...
Un stylet
a pris place en mon âme.
Maintenant sans mâture
tout a goût de cendres
tout m'est étranger
indifférent.
Jambes fantômes
usées par trop d'errance
jambes griffées
ensanglantées...
Mémoire d'un autre sang
d'une hémorragie primitive
plaie épaisse ouverte
lochies lambeaux d'images
qui s'égarent et que je perds
lentement.
Mémoire d'un cri de délivrance
et de cet autre
plus pénétrant
ma vie en une autre
incarnée.
Perséphone...
À peine nubile
déjà convoitée,
mon étoile en souffrance.
Par l'avidité de l'homme
ma fille courbée.
Mains mêlées,
mes mots recueillaient ses mots
mon souffle entourait son souffle.
Il ne me reste de son nom
que syllabes
sonores encore
pour combien de temps ?
Voler vers ses tournoiements
vers sa joie sa lumière
courir à son chant
danser dans ses pas
me fondre en son ombre.
Papillon noir démesuré
j'arpente rocailles grèves
et jardins clos,
papillon noir desséché
de ténèbres
je marche je dérive
inutile répétition
d'une recherche avortée.
Quelle ironie le fugace
quelle torture la finitude...
Tant me reste à parcourir !
La terre noire étouffe les germes
et les racines retiennent
leur puissance.
Tout se rétrécit tout s'éteint
tout se meurt
ceps et yeuses
oliviers et orangers.
Voici un blé qui ne lèvera pas
des feuilles mortes avant d'être
et la faim terrible
pour cette engeance aveugle.
La faim fouaillera
leurs entrailles
comme l'absence noue
les miennes.
La rumeur qui m'accompagne
est incantation de mort.
Lignes chevauchées
images floues inversées
sons étouffés
ombres multiples
sans cesse plus denses
et mes yeux aveuglés
et mes mains inutiles.
Perséphone !
Je cherche ta voix
tes traits sous les masques.
J'imagine je crains,
sauvage solitude
noyade.
Plus pierre que ce roc
plus froide
ma voix sombre
n'a plus d'écho.
Ce point à trouver
ce lieu terre stérile
à laquelle je refuse
ardeur et vitalité
sève asséchée ou figée
ce lieu s'éloigne s'obscurcit..
Sous l'écume sous les pierres
j'ai cherché.
Le vent déserte
mon errance.
Mon fruit ravi,
il ne reste que voile parfumé
rides sur l'eau calme
mouvement évanescent
et cette image qui tremble
en mon image.
Mon cri ne déchire que moi
ne défait que moi.
Seule.
Mon pas sur la glèbe nue
mon pas brisé.
J'aimerais
mes os blanchis par la vague
coquille vide
bois mort
sillage unique presque effacé,
mes pas
traces éphémères.
Sans elle ?
La mort seule, lénifiante
et que tout meure
avec moi !
Vague unique sans ressac
sans retour
je suis portée
au delà des mes pas
plus loin encore.
En creux son poids
en mes bras tannés
en creux son rire.
Ma vie sa vie
désaccordées
ma vie sans elle mutilée.
Jours incendiés
nuits de vertige
tout m'exile.
La terre abandonnée
stérile soudain.
Poussière...
nulle incandescence
pour la réchauffer.
Me voici rompue
inapaisée
poing tendu
pierres récoltées
pour frapper.
Qui ?
09 02 04
© Agnès Schnell
Il arrive
qu’on ne possède plus
qu’une force enlisée
qu’on ne discerne que le passage
vide déserté…
Alors on cherche
les mots humains
à dire…
Mais, rien.
On s’égare on se défait
on se dilue.
Rien ne reste
qu’une buée un étouffement.
On n’atteint plus
on n’entend plus
sinon le bruit des mains affolées
le froid d’une déchirure.
Sinon, rien.
On sait que tout sera
à reprendre
qu’il faudra porter
notre inertie ou l’ignorer.
On sait l’à peine frémissant
de notre existence.
On sait. On ne répond plus.
On sait l’appel
lointain inaccessible
infiniment résonnant
infiniment blessant.
On sait l’irréalité
l’absence insupportable
où une prière seule pourrait…
Mais, rien.
http://lapoesiequejaime.net/a_schnell.htm
Lente traversée
De l’autre rive des voix.
Sur l’autre bord
l’illusion de racines emmêlées
partage d’humus et de sucs
au-delà des portes murées
des frontières en abyme.
Mythes des souffles
qui n’accompagnent plus la marche
mythe de l’âme jumelle
dans l’éternel enlacement.
Sur l’autre rive un plissé déplié
mue douloureuse d’un infime
anonyme.
Défaillance du souffle
épis de foudre soudains
vagues de boue
et sous la moisson rapace
la doublure flétrie de l’impossible revenir.
https://poesiemuziketc.wordpress.com/2013/04/10/agnes-schnell-poemes/
.En mon pays
En mon pays
suis en terre lointaine…
François Villon
Ce qui a été fermé
scellé dans la violence
ce qui a été poussé
enfoncé enfoui
doit remonter parfois.
Ce qui a été masqué
pour se soustraire
aux invisibles fissures
à l’invasion des pensées termites
doit aborder parfois.
Sur la peau l’abrasion
des jours de barbarie
des méandres du sang
rouge amarante
sur la peau les sillons
le vague…
Ce qui a été conçu
dans la violence
doit s’étioler s’anéantir
comme les songes
et se défaire
doucement
hors de nous.
Ce qui nous a manqué
doit se planter droit
dans nos angles
ce qui nous a manqué
doit poindre soudain
crevant l’horizon
et grandir en nous
et danser en nous
contre l’effroi du vide
contre les peurs
dans l’infini du geste
sans cesse espéré.
© Agnès Schnell
Présentation du nouveau recueil de poésie « En filigrane… » d'Agnès Schnell
CHARLEVILLE MEZIERES
Proposée par la Société des Écrivains Ardennais - A 20h - Entrée libre. Dans le cadre du Printemps des Poètes
Dans le cadre de ses causeries du mercredi, la Société des Écrivains Ardennais vous propose une rencontre-lecture autour du nouveau recueil de la poètesse Agnès Schnell : « En filigrane… », dans la
collection « Le chant litorne » des Éditions de la SEA. Des portraits fragmentés de l’Ardenne dans sa splendeur la plus naturelle.
Lecture d’extraits de son livre et débat avec l’auteur autour de l’écriture poétique, suivie par la présentation et le lancement de la nouvelle mouture de la revue de la SEA, « Au chant de la grive ».
Langue d'accueil : français.
Agnès SCHNELL
jeudi 01 janvier 2015
Agnès SCHNELL | A mezza voce | Editions Le Serpolet
http://la_cause_des_causeuses.typepad.com/comp/2015/01/agn%C3%A8s-schnell-a-mezza-voce.html
Légende
INDECISO
Nous
voyageurs
à l'amble imprévisible
nous nageurs
luttant contre l'ombre
d'un ciel absent
nous errants
dans l'éloignement
n'avons que nos chimères
pour nours haler...
Une flamme
aussitôt cendre
et ces mains toujours lasses
d'un corps embrasé.
On craignait l'arythmie
de cet autre
qui incendiait nos mots.
Sur la morsure
de longs échos reviennent
déformés
grimaçants
On craignait son regard
d'écorché
son ignition
et sa bouche
dans l'imposture
d'un sourire crissant.
Le rêve clos
nous lasisse nus
le coeur naufragé.
Agnès SCHNELL, Mezza Voce,Editions le Serpolet, 2012, p.22-23
Peinture de couverture de Juliette BEAUDROIT
Un cri vrille
d’autres se morcellent
que renvoie un écho surpris.
Entre lointain et réel
une colline dérobée
cernée de cormorans en vol…
L’hiver dévoile
des ossatures chaotiques
plus rageuses
que chemins de ronces.
Profonde pulsation
battements de la nature
chant du végétal
de l’eau grondeuse…
et nous, tout éperdus.
Agnès Schnell, En filigrane, l’Ardenne…, poèmes, Éditions de la Société des Écrivains Ardennais, Collection Le chant Litorne, Charleville-Mézières, 2014, pp. 58-59.
Décès d'Agnès Schnell
Publié le 24 décembre 2015 par la freniere
Tous ces mots dont on avorte par rage, par colère ou dégoût, tous ces mots qui nous brisent de l’intérieur, sournoisement, sans éclats, sans rien laisser paraître sinon peut-être une soudaine matité du regard, une lenteur du geste, tous ces mots inquiétudes taraudantes qui minent insensiblement…
Tous ces mots que l’on crache par dérision, par rejet.
Un semblant de détachement qui ne laisse que sable et cendres dans la bouche, amertume, morosité, nostalgie qui racle et creuse parce qu’on veut plus encore, parce qu’on veut jusqu’au bout.
La tête saturée, les mains déjà vidées à peine remplies, il faudrait donner sans cesse et recevoir quoi ? Le vide des autres, leurs masques usés ou difformes, leur cœur atrophié de trop d’amour d’eux-mêmes… A donner tant, on reçoit quoi ? Courants d’air, asphyxie, remontées d’aigreur, caresses à rebrousse-poil, aspirations brutales, irrésistibles et blessantes…
Tous ces mots qui empoisonnent et qu’on se jette et se lance de l’un à l’autre par crainte d’être brûlé, sans craindre l’incendie pour les autres.
Ces mots qui devraient nous porter, nous haler, nous tracter vers les angles, puis vers la lumière, tous ces mots deviennent poison, venin, ciguë par dépit, par crainte d’un abandon, par désespoir. Ces mots, que l’on voulait caresses, se rebiffent, se redressent et crachent de leur gueule reptilienne des salves de violence, de barbarie.
On s’asphyxie, comprends-tu ? On s’asphyxie avec nos mots-amours toujours larvaires. On suffoque, on étouffe, on s’étrangle, on se noie quand l’autre nous assomme de mots fossiles, creux, inutiles, quand l’autre nous bombarde de mots contondants, durs, anguleux, rebelles. On a mal, tu sais. On a mal à l’âme.
Alors, on n’a plus envie d’entendre, d’écouter, de comprendre. On se ferme, on se clôt, on se mure. On est sourd, aveugle, muet, insensible. On boucle son cœur à double tour, on se cloître, on s’isole.
On est de pierre, de marbre, de basalte. On est minéral. On ne perçoit plus rien si ce n’est la palpitation obsédante de notre cœur qui bat pour l’autre, pour les autres et qui attend le moment où il va se donner encore et encore… Au risque de s’épuiser.
Agnès Schnell
Publié dans Les marcheurs de rêve
http://lafreniere.over-blog.net/
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