Michèle n’aura eu le temps d’écrire, de 1996 à 2005, qu’une dizaine de livres, si l’on compte ceux qu’elle a achevés avant sa mort et qui vont paraître bientôt. Est-ce assez ou n’est-ce pas assez pour faire une « œuvre » ? C’est assez, je crois, d’autant qu’elle s’inscrit dans la tradition très française du roman ou du récit court, et qu’il est des noms dans notre littérature dont la survie méritée est due à moins de pages encore. Dans ce tournant du siècle où nous sommes, auquel elle restera liée, dans ce temps où tout n’est que bruit, publicité, propagande, rumeurs et slogans, l’œuvre de Michèle Desbordes s’impose par sa formidable puissance de silence. Le titre du livre de poésie que j’ai cité le dit, c’est une œuvre dont la plupart des personnages, des femmes surtout, mais quelques hommes aussi, se taisent, et qui tourne autour de ce silence intérieur que notre temps a plus qu’aucun autre besoin d’apprendre à écouter.
Au fil des conversations, des rencontres – de quelques brouilles aussi, car Michèle Desbordes était une personne entière et il n’était pas toujours facile d’être à la hauteur de son exigence – une complicité s’est tissée, et je voudrais dire, à l’heure où cette voix vient de se taire, que cette complicité entre nous était fondée sur une passion commune de la poésie. Bien sûr, Michèle était une lectrice passionnée de Faulkner, de Pavese, de Virginia Woolf et de bien d’autres : mais justement, ces écrivains-là, romanciers, romancières, sont de celles et de ceux qui ont aboli les frontières sottement dressées par les critiques et par nos habitudes de lecture entre le « roman » et la « poésie ». On le vit bien quand Michèle Desbordes, pour un numéro du Nouveau Recueil que je dirigeais sur un thème qui m’est cher, celui de la frontière, revint à la poésie et écrivit un récit sur le voyage de Hölderlin à Bordeaux qui était un poème narratif, et qui devint l’un de ses plus beaux livres (Dans le temps qu’il marchait), un texte brisé de grandes trouées de silence.
Hölderlin était l’une des grandes passions de Michèle Desbordes. La connaissance intime qu’elle avait de son œuvre était impressionnante. Elle en savait par cœur des poèmes entiers, des lettres entières. C’est des lettres de Hölderlin à sa mère que sort le roman qu’elle avait porté le plus longtemps en elle, Le Commandement, qu’elle publia chez Gallimard en 2001 et qui est dédié à la mémoire du romancier Jacques Desbordes, son mari, dont elle assumait de bien des manières l’héritage, à commencer par la décision de reprendre son nom. Le Commandement ne fut pas un succès comparable à La Demande ni même à La Robe bleue, parce que le sujet en est âpre, la phrase tourmentée, et la vérité, comme celle de L’Habituée, dure à entendre. Vingt ans avaient été nécessaires, à ce qu’en disait Michèle Desbordes, pour écrire ce livre, vingt ans de silence et quelques mois d’écriture. Vingt ans à chercher comment écrire, à s’interdire peut-être de s’y risquer, à lire passionnément en attendant l’heure de se sentir prête. Je crois que finir ce livre fut pour Michèle une victoire sur elle-même, mais je ne sais pourquoi, je la devine chèrement payée. Dès le moment où elle était en train de l’achever, elle se sut atteinte d’une maladie dont elle avait peu de chances de guérir. Le jour où elle me l’apprit, nous étions sur le parking d’une gare ; j’étais allé lui rendre visite chez elle à Baule, au bord de la Loire, j’allais reprendre le train pour Paris. Elle me parla de sa maladie d’une voix très douce, qui ne tremblait pas, avec une grande sagesse, en me disant que son désir était modeste et qu’elle souhaitait seulement encore achever quelques livres avant de s’en aller. Les propos qu’elle avait tenus ce jour-là se sont alors éclairés pour moi : en me montrant la Loire qui passait au fond de son étroit jardin, ce grand fleuve français par excellence qui aura été le sien, elle m’avait dit qu’elle souhaitait que ses cendres y soient un jour dispersées.
Je pense à cette dispersion des cendres, avec laquelle je n’arrive pas, aujourd’hui, à me sentir en accord, quoique je connaisse bien cette phrase si frappante de Hölderlin qui évoque la disgrâce de ces temps de peu de lumière où nous sommes, où nous quittons la vie, dit-il, dans des boîtes hideuses, alors que l’homme antique se livrait au bûcher. Il faudrait, précisément, un bûcher, comme ceux qu’a décrit Josef Winkler dans son livre terrible et sublime sur l’Inde ; il nous faudrait des rituels, et même ces pleureuses que Rilke réclame dans le Requiem, ou ces Plaintes qui accompagnent les morts pour la traversée du pays d’Egypte à la fin de la Dixième élégie. De tous ces textes, de ces œuvres que nous aimions, de cette passion qui était la nôtre pour la poésie, nous avons souvent parlé au fil de nos rencontres ! Une amitié est faite de cela : de paroles et de silence.
Avec son livre sur Camille Claudel, Michèle Desbordes s’est approchée encore plus près, à travers la fiction, des raisons du silence sur lequel était conquise toute son œuvre : le silence des femmes qui n’ont jamais eu droit à la parole. Un silence pétrifié d’amour et de terreur, face à la douce violence de tous les pouvoirs, maternels, paternels, fraternels ou conjugaux. La Robe bleue m’est dédié parce que Michèle avait décidé d’abandonner ce livre qui, littéralement, tombait en fragments, et qu’après avoir lu ces fragments, je lui ai suggéré, pour ainsi dire, de « coudre la robe » : d’écrire un texte continu au lieu de laisser le destin de Camille en lambeaux. Il fallait pour cela un point de vue, et ce fut ce moment où, dans cet hospice en Provence, elle attend les visites si rares de Paul : en partant de ce point de vue – de ce silence – et en trouvant un point d’appui narratif qui était, encore une fois, une « demande » capable d’aimanter le récit, tout devait s’organiser de soi-même. Du coup, avant de finir son livre sur Faulkner, Michèle reprit les fragments rédigés autour de Camille Claudel et achevé La Robe bleue dont l’écriture atteint à l’intensité du poème comme bien peu de textes de prose.
Nous écrivons des livres. Nous les lançons dans l’abîme du temps. Nous les jetons comme des bouées pour ne pas nous noyer, comme des bouteilles à la mer qui en appellent à l’amitié du lecteur à venir, qui saura les décrypter. Ou pas. Il y avait au fond de l’écriture de Michèle Desbordes un secret, plusieurs peut-être, qu’elle a soigneusement cachés, dont je sais que je les ignore, dont je n’ai pas reçu la confidence, au milieu de tant de plus petites confidences qui me furent faites – toujours avec l’ordre de les taire. Quelqu’un, je le souhaite, décryptera plusieurs de ces secrets à force d’interroger ses livres. Ils sont, me semble-t-il, de ceux qui résisteront à la relecture, une fois qu’ils auront pris de l’âge. Il y avait dans l’œuvre de Michèle quelque chose d’analogue à cette moitié droite de son visage qu’elle n’aimait pas montrer et qu’elle dérobait au regard, tout en vous regardant avec un air où pouvait passer tout d’un coup une gaieté folle. Michèle aimait la vie : le bon vin, les fromages, les fruits bien mûrs, les poires des jardins de la Loire (ces fruits tellement français, comme dit Roland Barthes) et les fruits de la Guadeloupe où elle avait vécu. Elle savait s’étonner des choses. Elle aimait les chats et les livres. Elle aurait voulu que sa maison au bord de la Loire conservât, après sa mort, quelque chose de sa présence, et que des écrivains puissent venir y travailler comme elle y avait elle-même travaillé. Cela, malheureusement, ne se fera pas, aucune institution n’ayant accepté le legs ; mais il sera toujours possible à ceux qui aimeront cette œuvre d’aller regarder la Loire à Baule, emprès d’Orléans, ou de penser à elle depuis le pont de Beaugency. Son œuvre est celle d’une femme qui a mérité, je crois, d’être considérée comme un poète, et si je mets ce mot au masculin ce n’est pas pour faire injure à sa féminité, mais en me souvenant qu’en latin poeta est un mot masculin de forme féminine comme, nauta, le marin.
Poète donc, je lui donne ce titre : parce que la poésie est, entre mille définitions qu’on peut en donner, cette tension de la langue quand elle parvient au point où elle se tisse de silence. Des générations de femmes vouées au silence, ses ancêtres muettes derrière leurs pas de portes qui ressemblent tant à mes taciturnes aïeules des vallées d’Auvergne, avaient accédé à la parole à travers leur descendante, cette héritière amoureuse des livres qui osa écrire après avoir voué sa vie aux livres, en dirigeant des bibliothèques. Michèle Desbordes tissa ses propres livres sur la trame de ses lectures, qui étaient immenses et passionnées. Elle avait le don le plus rare, qui est la force d’admirer. Le destin semble avoir décidé qu’elle ne pourrait garder longtemps cette parole chèrement conquise : et Dieu sait de quels nœuds était faite la maladie qui l’a forcée au grand silence définitif. Mais le jour où tous ses livres seront réunis en un seul volume – ce jour viendra –, je crois qu’on verra la cohérence et la beauté de ce parcours arraché à la nuit, celui d’une œuvre où écriture et lecture sont nouées l’une à l’autre, non par amour de l’érudition, mais par le souci essentiel de chercher les mots dans lesquels puiser, jusqu’au dernier, la force de vivre encore un jour.
Jean-Yves Masson
©Jean-Yves Masson
Parue le 8 mars 2006 dans la revue Poezibao
Michèle Desbordes (1940-2006)
photo Vincent Fournier |
Originaire d’un village de Sologne, Michèle Desbordes grandit à Orléans. À l’issue d’études littéraires en Sorbonne, elle devient conservateur de bibliothèques. Elle exerce d’abord dans des universités parisiennes, puis en Guadeloupe en lecture publique. En 1994, elle est nommée directrice de la Bibliothèque de l’université d’Orléans. Elle décède en janvier 2006 à Beaugency, en Sologne.
Sur le site des éditions Verdier
Esquisse d’une approche des émotions
Hommage de Gérard Bobillier (Salon du Livre, mars 2006)
En 1986, à 46 ans, Michèle Desbordes, sous le pseudonyme de Michèle Marie Denor, publie chez Arcane 17, dirigé alors par Christian Bouthémy : Sombres, dans la ville où elles se taisent, un recueil de poésie, comme l’on dit. Dès lors, Michèle Desbordes pointera, en poète, le signifiant dans sa mélancolique opacité. En effet, le poète est libre et peut choisir son mode pour décliner la véracité. Pour Michèle Desbordes, ce sera le narratif.
C’est aux Temps Modernes, à Orléans, chez Catherine Martin-Zay, que Gabriel Bergounioux, frère de Pierre, me présentera une dame vêtue d’une robe simple, blanche, comme l’écriture que je découvrirai plus tard.
Michèle Desbordes me dit qu’un texte d’elle circule tout à fait négativement dans diverses maisons d’édition, me propose son envoi, que j’accepte. Quelques jours passent et je reçois L’Habituée. Je lis, m’enthousiasme et cherche – c’est un dimanche –, son numéro de téléphone à La Baule. En vain. Je finis par la joindre. Commence alors entre nous une aventure éditoriale. Dans L’Habituée, ce qui prévaut, c’est d’avantage l’effacement que le silence. C’est aussi le texte le plus complexe de Michèle Desbordes au regard de ses architectures narratives. Il ressort de cette complexité qu’une dimension méta-existentielle semble garantir le lecteur de l’idée d’être en trop, pour moitié, devrait-on dire.
Puis, c’est La Demande, vous connaissez l’objet de cette demande, que je crois fortement inspiré par un texte de Silvio d’Arzo, Maison des autres, que nous avons publié dans la collection italienne « Terra d’altri », et qui avait fortement marqué Michèle Desbordes. La Demande est un succès. Prix France Télévision, prix Jean Giono, etc. Un succès tout à fait légitime.
Michèle nous présente ensuite, le temps passe, Le Commandement. Je ne suis pas sans réserve à la lecture de ce nouveau texte. J’en fais part à Michèle qui le prend mal, c’est humain, trop humain. Michèle est devenue un auteur couronné. Rupture, rupture au profit du père, je veux dire du porte-drapeau de la littérature française – Gallimard. Michèle a donc conclu provisoirement que les fraternités sont difficiles. Voyons à l’ombre du grand Œdipe.
Elle publiera rue Sébastien Bottin Le Commandement, et au salon de Pontalis, Le Lit de la mère. Mais le succès, comme l’océan, se retire doucement. Que s’est-il passé rue Sébastien Bottin ? Je ne sais.
Sous le charme actif de Jean-Yves Masson, elle reviendra à Verdier avec La Robe bleue, un texte offert à Camille Claudel, qui guerroie avec les grandes chimères, celles-ci s’employant à la jeter au puits de la déraison. Le succès revient. Et, sur les joues de Michèle aussi, les bonnes traces que donne la reconnaissance tentent une coloration que la maladie déjà lui dispute.
C’est tard pour Michèle. Il lui faut impérativement s’attaquer au « père du texte », pour dire Michon, à Faulkner. Ce sera Un été de glycine. Faulkner a-t-il trop résisté à Michèle Desbordes, trop cédé, je ne sais. Ceux qui font l’opinion littéraire ont-ils accepté loyalement le fait qu’une femme se coltine Faulkner – je ne sais – bref, ce titre est un échec de librairie et nous avons certainement notre part dans cet échec. C’est avec cela que doit faire maintenant Michèle Desbordes, contre la maladie qui gagne. Elle écrira encore, et ce seront des éditions posthumes. L’Emprise, qui sortira en septembre de cette année, est bien dans la veine de La Demande. C’est l’histoire d’un pacte générationnel – ou comment se construisent nos fondements dans un temps, celui de son enfance, qui n’est pas posé sur le substrat du langage. Viendra ensuite Les petites terres, autobiographie radicale du poète-narrateur qui nous réunit ce jour.
Ces éditions à venir et celle qui paraîtra chez Laurence Tepper seront assurément la cérémonie de la renaissance pour Michèle. En janvier, la maladie a décidé d’éteindre la lumière. Et c’est le 30 de ce mois de cette année 2006 que ses cendres furent confiées aux eaux glorieuses de la Loire, au pont de Beaugency. À portée de regard de Baule, ce bord de Loire cher à Michèle.
Libération, jeudi 26 janvier 2006, par Jean-Baptiste Harang
Michèle Desbordes est morte mardi, à Baule, près de Beaugency (Loiret), dans sa maison, où ses chats regardaient par la fenêtre monter la brume de la Loire qui nimbait parfois ses livres. Elle est morte du noir qu’on devine au fond du tunnel des longues maladies. Elle n’en disait rien, on la croyait ailleurs, aux antipodes de nos jours, lorsque les soins trop lourds qu’on devine maintenant la confinaient dans sa douleur. Elle ne disait pas son âge et cachait dans son écharpe son profil droit qu’elle n’aimait pas. Michèle Desbordes est morte à 65 ans, nous aimons ses livres. Nous l’aimons.
Taiseuse. Maintenant qu’on sait qu’elle naquit en août 1940, on se souvient autrement de cette page du dernier livre, salut à Faulkner, où une femme enceinte trébuche et souffre sur la route de l’exode. Michèle Desbordes ne parlait jamais d’elle-même dans ses livres, ou plutôt nous ne le savions pas. Elle parlait d’ailleurs peu, elle écrivait. Ce sont des livres d’écriture, des mots pour se taire, roulés dans la tête ou sur les doigts luisants des chapelets plus que dans le gueuloir, des mots pour dire du silence, dire la vie de ceux qui ne disent rien. Ainsi on parlait peu dans L’Habituée(Verdier, 1997), on entendait un fleuve, du vent sur le fleuve, une maison, dans La Demande(Verdier, 1999), la servante Tassine et son maître, manière de Vinci dont le nom n’est pas dit, près du même fleuve, échangent plus de regards que de mots. Même la « demande » du titre n’était pas prononcée. Puis, parmi peu d’autres livres parut La Robe bleue (Verdier, 2004), histoire d’une femme taiseuse : assise dans une maison de santé, elle attend trente ans un homme, attend son frère Paul, elle s’appelle Camille Claudel et ne le dit pas.
Seule. Michèle Desbordes a passé son enfance à aimer les livres, à guetter dans les travées de la bibliothèque d’Orléans le pas lourd du directeur, Georges Bataille. Plus tard, après avoir traversé les océans, elle deviendra elle-même directrice d’une bibliothèque à Orléans. Plutôt qu’écrire trop tôt, elle épousa un écrivain, Jacques Desbordes, le quitta sans divorce et plus tard fit de son nom de veuve un nom d’écrivain. Elle vécut huit ans un autre amour à la Guadeloupe, et revint seule. Elle dit longtemps tout ce qu’elle savait d’elle à son psychanalyste, et garda le don du silence pour ses livres, pour parler des autres. Elle disait : « J’ai abordé le roman lorsque j’ai compris qu’on pouvait raconter une absence d’histoire. » Aujourd’hui restent l’absence et une dizaine d’ouvrages à relire dans la lenteur du fleuve, elle voulait que l’on disperse ses cendres sur la Loire. Dans le silence reposée.
Le Monde, vendredi 27 janvier 2006, par Xavier Houssin
Discrétion et silence sont les maîtres mots de son œuvre.
La romancière Michèle Desbordes est morte, mardi 24 janvier, à l’âge de 65 ans, dans sa maison de Baule, dans le Loiret, au terme d’un long combat, courageux et discret, contre la maladie.
Discrétion et silence sont les maîtres mots de l’œuvre de Michèle Desbordes, écrite comme on effleure, en images non installées. Réflexive, ressentie. Le public l’a véritablement découverte en 1999 avec La Demande (Verdier), qui obtiendra le prix France-Télévisions. Elle y met en scène un troublant huis clos entre un maître italien de la Renaissance vieillissant venu sur les bords de Loire à l’invitation du roi de France et sa servante sans âge. Pudeur d’une relation qui s’apprivoise dans l’économie de la parole et l’écoulement lent du quotidien. Phrases en miroir posé. Au rythme gris et bleu du fleuve.
Née en août 1940 en Sologne, Michèle Desbordes a passé son enfance et sa jeunesse à Orléans. Dévoreuse des livres de la bibliothèque municipale, elle y croise presque chaque jour, sans savoir qui il est, le directeur, un certain Georges Bataille. Elle lui succédera à ce poste bien des années après. Ces hasards nécessaires… « Les mots, disait-elle, mis les uns avec les autres, ne peuvent que Vous conduire vers l’inconnu. » Elle est taraudée tôt par le désir d’écrire, mais garde ses phrases à distance. Après ses études en Sorbonne, elle travaille longtemps dans des bibliothèques universitaires à Paris, puis est nommée en Guadeloupe. Elle y restera huit ans.
Une parenthèse féconde, envahie d’océan. Le temps d’apprivoiser les battements profonds de sa mer intérieure. Juste avant son départ en 1986, Michèle Desbordes s’était décidée à publier ses premiers textes. Sombres dans la ville où elles se taisent (Arcanes 17, puis Verdier) rassemble ses poèmes sur le silence. Ce thème récurrent, absolu, venu d’un grandir où l’affection et la tendresse ne rencontraient jamais les mots, elle le reprend dans L’Habituée, son premier roman (Verdier, 1997). Il y est question déjà du rôle du regard. Ce qui se pressent ainsi, malgré les lèvres closes. Seule la mort libère la parole. Un peu…
Après La Demande, suivront Le Commandement (Gallimard, 2000), La Robe bleue (Verdier, 2004), sur les dernières années de Camille Claudel, Un été de glycine (Verdier, 2005), autour de la figure de Faulkner, à qui elle voue une absolue admiration. Chaque fois, Michèle Desbordes écrit dans la distance. Paradoxe d’un recul qui permet une indicible proximité avec des personnages qu’elle laisse au lecteur le soin d’approcher lui-même. Pour parvenir, elle s’impose une épure. « Quand je trouve que c’est trop “beau”, trop “bien”, expliquait-elle, je casse, j’élimine, je rogne, les mots, les adverbes, les adjectifs, jusqu’à ce qu’il ne reste presque plus rien. » On est alors emporté dans une compassion sans réserve. Immédiate. C’est saisir l’inaccompli. Y apporter une suite.
Michèle Desbordes a publié aussi des proses poétiques Le Lit de la mer (Gallimard, 2001) et Dans le temps qu’il marchait (Laurence Teper, 2004), long poème narratif sur le voyage de Hölderlin de Bordeaux à Nürtingen, histoire de frontières, de souffrances en éclats. Elle avait rédigé aussi le texte de Carnet de visite (Nathan, 1999), de photographies de Hien Lam-duc sur le vécu à domicile des personnes âgées. Un pas sur le côté. Donner voix au silence. Savoir rester discret…
Hommage de Renaud Donnedieu de Vabres, 26 janvier 2006
J’apprends avec tristesse la disparition de Michèle Desbordes. C’est bien sûr La Demande, ce merveilleux récit évoquant la rencontre et le long commerce silencieux entre une servante française et un grand artiste italien du XVIe siècle, qui a suscité l’engouement et l’admiration de très nombreux lecteurs. Mais on retrouve dans tous ses récits et romans de L’Habituée au Lit de la mer en passant par Le Commandement, la même alliance de mystère et d’intensité, de ferveur et d’exactitude, de noblesse et de proximité, de hauteur d’inspiration et de cœur.
Elle a su, mieux que personne, exprimer le silence de l’exil intérieur, tel celui de Camille Claudel dans La Robe bleue. Ces extrémités de l’âme, ces sombres pays enfouis, Michèle Desbordes a réussi à les transcrire grâce à un très lent travail sur les mots, à la patience ardente avec laquelle elle suivait sa vision intérieure. Sa force intuitive, sa sensibilité fraternelle lui ont permis d’entrer, dans des textes lumineux qui vont bien au-delà du commentaire, en empathie avec William Faulkner dans Un été de glycine ou Holderlin au fil des pages de Dans le temps qu’il marchait. Elle a rejoint leur nuit avec la discrétion poignante qui caractérise toute son œuvre.
Quelques-unes de ses oeuvres
in, La robe bleue, éd Verdier p101
J'ai lu plusieurs oeuvres de Michèle Desbordes, découverte il y a quelques mois. La beauté de son écriture, l'originalité dans la construction de ses récits, la poésie inhérente à chacun de ses livres...me donnent envie de tout lire ! J'aimerais citer tant et tant d'extraits ! Sans doute le ferai-je peu à peu, afin que les lecteurs de ce blog tombent en amour eux aussi ! Je compléterai cet article au fil des jours.
FRuban
Tu me donnes envie, ce sera mon prochain cadeau que je me ferai, un livre d'elle, merci Satine!!!
RépondreSupprimerJe t'encourage vivement à lire cette auteure hors du commun. Pendant un mois, elle ne m'a pas quittée et je l'emmenais partout avec moi. Tous ses livres sont beaux, bouleversants, poétiques. Merci de ta présence ici chère Martine !
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