mardi 6 septembre 2016

François Laur, poète (1943-2016)



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photo Revue Texture



Dans Revue Texture


François Laur :
« La beauté gifle comme un grain ». 







C’est une ode au désir (sous toutes ses formes) que donne à lire François Laur dans son récent recueil, « La beauté gifle comme un grain ». Non pas parce qu’il cite en exergue Annie Le Brun qui écrit merveilleusement ce qu’est le désir : « La puissance du désir est de sans cesse relier l’imaginaire et la réalité, en exaltant l’une par l’autre ». C’est tout simplement parce que dans ces petites proses ciselées comme jamais, François Laur dit le désir qui refuse de s’éteindre, bien qu’à chaque instant « s’en vienne un bruit de cloches sombres ».
Ce n’est pas égoïsme érotique car les échos du monde sont présents : « femmes de Kobanê arme à la main pour être libres », « les no pasarán », « au Kurdistan syrien, démocratie directe, autonomie des femmes », les oiseaux, le paysage, « À chaque page du journal, une escalade dans l’atroce, horreur à n’en plus finir » ... C’est que « le désir est notre existence », désir du monde comme désir de la femme. La préciosité de la langue sert aussi bien à chanter la femme aimée et son corps qu’à fabriquer du texte. Car l’important pour le poète, c’est l’écriture.

Mais il n’y a pas que la préciosité ; les poèmes de François Laur regorgent de mots rares : vésanie, nycthémère, organsin, tussor, lucques, culmen, soulas, fluence, éburnéen… L’allitération n’est pas absente : « pantelants, replis pulpeux et palpitants »… Les références à l’écriture sont nombreuses et délibérées : mot, calligraphie, écrire, livre, jambage, boucle, vocable, formule, texte, stylet, lettre, graphie, page, bâton, odelette, cantilène, laisse, verset, rythme, hymne, compte, rime… L’exergue est fréquente, la citation est revue et corrigée : « la barque de l’amour ne se brisera pas contre la vie courante » (d’après Maïakovski) ou utilisée « l’échange sans marché où la valeur d’usage ne serait que l’échange du don » (on reconnaît le vocabulaire marxiste). L’écriture est désir qui fonde l’écriture. Si l’angoisse saisit François Laur, le désir du monde est toujours là, tout comme le désir d’écriture. Le poète suggère un monde « guéret d’horreurs » pour mieux le refuser, comme il refuse les banalités, les clichés : s’il franchit un pont roman, c’est pour ajouter aussitôt qu’il ne rejoindra pas Compostelle !

Écriture plurielle donc, la femme aimée tisonne les mots charnus. Le corps amoureux écrit de multiples façons, François Laur écrit le corps. Le monde du produire et du marché est l’immonde. Comment s’étonner alors que cette plaquette se termine par cet alexandrin « En allant vers ton risque, tu écris le mien » ? Car, finalement, de la dichotomie entre le désir et l’horreur à n’en plus finir, c’est le désir qui sort vainqueur.

Lucien Wasselin.



François Laur


Éditions Rafael de Surtis
collection Pour un Ciel désert. 56 pages, 15 €.
En librairie ou sur commande chez l’éditeur : 7 rue Saint Michel. 81170 Cordes sur Ciel.

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François Laur, La Beauté gifle comme un grain
éd. Rafaël de Surtis, 2016, 56 pages, 15 €
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François Laur
Une trentaine de poèmes en prose composent La Beauté gifle comme un grain, le dernier recueil paru de François Laur. Outre que c’est un bel objet, cousu, avec une mise en page de qualité, jamais gifle n’a autant caressé celui qui, pour la recevoir, la parcourt comme l’amour se lève. Impossible en effet de s’imprégner autrement de cet auteur si discret qu’il n’élève jamais la voix. Ajoutez à cela un exergue d’Annie Le Brun : « La puissance du désir est de sans cesse relier l’imaginaire et la réalité, en exaltant l’une par l’autre. » Ce pourrait être, en résumé, l’art poétique de François Laur. C’est dire la force d’attraction de ce recueil. Il est de ces livres « tissés de flammes du soleil, ceux qui se dansent, qui enivrent, qui font somptueusement tituber ». Trouvère de notre temps, dont rien n’est occulté, ni les rues qui ressassent la tristesse, ni les grèves, ni les migrants qui se noient, François Laur chante, par-dessus tout, l’amour. « Mon sang rit s’emporte feule, s’enivre de toi tisserande en accueil. »

La femme aimée est ici célébrée. On a trop perdu la grâce de le faire. Elle est l’égale absolue, voire la suzeraine des troubadours, non perchée à la fenêtre inaccessible, au cœur du verger, de la maison, du lit nuptial. Elle respire, odore par tout son corps, ordonne le jour et la nuit dans un naturel qui chamboulerait bien des existences si leurs titulaires pouvaient subodorer que cela se peut. « Malheur à qui est sans désir », écrit à raison François Laur. Le bonheur ? « Contre moi, sentir le lilas sur tes seins le velours de ton ventre le pli profond où je te touche. Ne rien oublier. » L’étreinte, l’orgasme ? Les voici dans les deux seuls vers à proprement parler de ce recueil « Tu me maintiens sur la plus haute vague, / en m’insufflant un peu d’éternité. » Sa prose est infiniment rythmée, et musicale à la fois, et surtout truffée, presque au sens propre pour la narine, de trouvailles multipliées. « Le cœur tambour, je bois ta soif surgie sur le bout de ta langue, à ton ventre le vin du rêve ; ta voix se tresse de galets qu’entre-heurte le flot, de contralto et d’abandon poignant. »

L’amour, écrit François Laur, écarte un peu les horreurs du monde. « La caresse de ta voix me rend le cœur plus léger […] Avec toi, tes ritournelles, oubliés – tout merveilleusement ! – extorqueurs de désirs, trafiquants de peur fabricants de tristesse furieux de dieu bombes humaines. » Il offre tout le contraire de cette écriture décharnée, queue de comète de Tel Quel, qui fait les pâmoisons des ayatollahs que l’émotion fait vomir, qu’ils récusent. Lui, nous emporte dans son souffle. « Nous nous savions mortels, mais je n’y croyais pas. Sous l’impact du crabe fouisseur, j’ai appris ce que vivre l’instant veut dire : auprès de toi, avec et par toi rayonnante, continûment reprendre haleine dans l’affection et le bruit neufs. » Lire François Laur, c’est se préparer « à manger des burlats cueillis sur le sourire » de l’aimée. C’est s’ouvrir comme un fruit pour le partage. C’est se préparer à la délicatesse : « La chaleur de ta voix a eu raison de mon manque d’oreille. L’aigue-marine de tes yeux a laminé ma cataracte. » Et encore : « Les mouillures à tes lèvres m’ont appris les senteurs d’exister ; tu m’as ouvert ton lit, guidé en toi pour me faire franchir l’horizon. »

Pierre Perrin, note inédite du 25 août 2016



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Dans Recours au poème


J'ÉCRIS TON NOM CHAQUE JOUR

de :
François Laur


AS-TU OUBLIÉ LE SUSPENS DE TES MAINS ?

Que de fois, tes mains ont guidé. Elles venaient, doigts et paume rêveurs, sans trop connaître leur pouvoir, tes doigts frôlaient un peu comme hésitants comme oublieux se glissaient se frayaient passage doucement très doucement griffaient et les choses se taisaient, un temps. Sous ta main, tel baignant dans la verdure à l'accord reconnu, le laps factuel croissait en incessant avènement. Haut feuillage (ciel de lit fastueux), herbe tiède et tendre comme un ventre savaient que c'est de toi que vibreraient mes veines.

Nous nous explorions lèvres à peau langue à lèvres, ainsi qu'on fait d'un fruit pulpe jus dans la bouche, qu'on savoure leurs justes noces. Il y avait des cris ravalés, des gémirs de pariade. Nous exultions.

Tes mains vouaient à l'ici fragile, ici précaire ; elles disaient repas, elles disaient fontaine, cruche, agora, verger. Elles tentaient une calligraphie politique, rejouaient Marx. Elles disaient : « Risque-toi dans même la confiance que rien ne prouve ». Extase propagée d'un frisson, c'est ainsi qu'elles nous ont hissés sur la vague, fait garder pied complètement à nous exister.
                                                         François Laur



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Sur TESSELLES, le blog de François Laur


CES LIENS QUI DÉLIVRENT

Longtemps, pour tenter de sourire, j’ai dû brinquebaler en nocturne tardif, m’abreuver d’alcools et de charivari, cavalcader jusqu’aux aubes blêmes où j’allais m’engloutir dans un sommeil peuplé de spasmes nauséeux.

Mais, éveillées les haleines tièdes, je t’ai vue cheminer nue. Tu étais nue en blouse roumaine, et tes mains tes reins, leur puissance de source a répandu ses baumes après ces longs mois saturés de fiel. Tu as donné au jour une harmonie du soir, un nuage blanc au bleu trop dur, la pénombre aux chambres d’été, le vin des rêves à la vie. Sur de riches herbages ou les draps froissés, tu m’as passé au doigt l’anneau de ta confiance, au cou tes cuisses en collier.

Quand je tombais de vide en vide comme un qui tombe pour mourir, tu auras été celle qui est venue, porteuse d’une joie d’exister contagieuse, sève ardente et senteurs d’humus, feu de la saint-jean au cœur. Tu es venue comme les sept couleurs après fracas et trombe d’eau. Tu auras été promesse de vibrer, de palpiter selon l’air des saisons.

Ton sang à fleur de peau rosit la douceur des choses.

Carcassonne, 24-26 juin 2016.



CE QUE JE DOIS AU FROISSEMENT DU THYM

Les choses sont là et je suis à elles, absentes ou sous mes yeux. Ainsi je nais au chèvrefeuille en plein soleil, à l’escargot sous une acanthe un jour de pluie, au figuier dans la pénombre. Et dans les plis ombre et lumière jaillit comme un défaut, un manque ; l’air vibre, l’horizon, tout soudain, c’est l’absence de toi, de toi à l’instant si lointaine. Le sang cherche à régler son pouls, le paysage que tu enrobes se déploie, inflexions bombements buissons sillons rivière, les remuements du cœur dans les frissons du frêne, ciel lavé, large plage mouillée. Sans doute, le cosmos ne s’ordonne-t-il plus au tintement de l’angélus, mais le sillage de ton parfum comble mes mains du somptueux de tes reins, et mon regard de toi, dénudée yeux fermés. À vue perdue, la nuit esseule, tant que l’aube de ta chair ne luit pas comme, de temps à autre, aux confins de l’espace aimanté, le silencieux essaim de galaxies opales.

Alors, les mots éclosent à nos lèvres pour agréer le vivre, conjurer sa fêlure et dire ses baisers ; ses saveurs de miel de sel de houblon et de fraise, celle des algues fouet des sorcières ; ses sourires de fontaine, ses voyages d’encre ; sa précaire profusion.

Je reprends pied dans le réel.

Carcassonne, 10-15 juin 2016



DANS LE VŒU DES REGARDS

D’où m’est venu ce désir de quêter, cet unique désir de m’adonner à ta recherche ? Toi, t’aimais-je avant de t’avoir vue, étais-tu déjà là parce que tu étais mon unique pensée, par chance toi la teneur de mes rêves ? Quelque heureux coup de dés t’avait-il inventée pour moi, à chaque fois vivante et fragmentaire, à chaque fois aussitôt dérobée, à chaque fois plus obsédante ? Je savais que, sans toi, exister me serait désastreux ; le monde, sylve équatoriale dont les branches grifferaient mes yeux, forêt puante humide obscure où j’essaierais de m’enfoncer pour esquiver toute clairière.

Et nous nous sommes parvenus. Tu n’étais pas copie de la chimère des hantises. C’était au bord d’un étang, tu venais d’y nager, tu consentais à sa lumière et avais construit ton jardin ta maison prêts à l’accueil sur le dévers, au beau milieu des ceps. L’eau, en surface, avait le bleu de tes iris, mais le fond luisait noir, du même noir que tes pupilles, de ce noir qu’est l’excès du réel sur tout traité des passions aussi bien que sur nos paroles où, constamment, foisonnent des appeaux, braises, bribes, brises et dérives.

20 juin 2016




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Sur  P / oésie, le blog d'Alain Freixe


RAYON VERT

Bromure de chrome, véronèse, verdaccio, et voilà que paraissent vergers, bosquets, prairies, frondaisons où ramage comme une écriture – vocables arborescents, paroles en pléiades.

Permets à ma langue de couler s’étaler te joncher te vêtir comme une averse feuillée sur nappe de flocons neufs comme liane enlaçant un buste de marbre comme graphisme sur ce feuillet

tes épaules tes flancs tes reins tes seins à embraser l’écorce tendre de la nuit ton ventre frais de houle lente toison dorée comme l’automne lèvres ourlées tel un sillon

ta peau s’étoile de promesse plus qu’amandier en fin d’hiver. Le ciel verdit, tatoué d’astres tombés du nid et qui se prêtent à l’empennage.

© François Laur















3 commentaires:

  1. L'amour est une chose bien complexe. On peut et on l'a fait et on le fera encore longtemps, écrire sur l'amour. Mais en parler est une autre chose. Car pour en parler il faut être deux. Sauf à soliloquer et le risque de devenir fou.Or c'est à deux, dans le dialogue que se posent les problèmes. Pour que le dialogue aboutisse dans la compréhension l'un de l'autre, l'autre de l'un, il faut, je crois, au delà de l'écoute mutuelle, la capacité de s'ouvrir pour chacun à des sphères métaphysiques qui nous font sortir du dialogue dual, frontal, oppositionnel aussi nocif que celui de la fusion des atomes crochus. C'est donc très complexe l'amour. Non sur le papier mais dans le corps dans sa plénitude, soma, psyché, pneuma et l'oralité que cette plénitude engendre, cette plénitude la seule chose à partager. CR.

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    1. Ce que tu écris est très juste Cristian, sauf que les poètes ont ce pouvoir, cette capacité à sublimer l'Amour. Sont-ils pour autant heureux en amour, je ne le crois pas. Vivre à deux une passion amoureuse au quotidien, partagée et durable, voilà une autre affaire ! Les mots comme la musique ou la peinture, sont précisément là pour palier certaines difficultés à vivre l'Amour, donc à le transcender.
      Quant à François Laur que j'ai découvert ici ou là, sans bien le connaître encore, j'ai cru comprendre qu'il a beaucoup célébré la femme aimée. Ce qui me plaît chez ce poète c'est son écriture (rarement des vers) si riche, si chargée d'émotions. Il me touche, me donne envie d'aller plus loin dans ma lecture de son oeuvre.
      Il vient de nous quitter (le 5 septembre). Je crois qu'il avait encore à dire.
      Merci à toi mon fidèle lecteur ! Et surtout, merci pour les mots que tu déposes !

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  2. Je suis heureux de pouvoir modestement alimenter par les contributions le dialogue sur ton magnifique blog, d'une élégance rare tant dans sa forme que dans con contenu. Merci Françoise pour toutes tes découvertes que tu nous fait partager. CR.

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