mardi 27 septembre 2016

Verlaine d'ardoise et de pluie, de Guy Goffrette (éditions Folio Gallimard, 1996)







"La route est bonne et la mort est au bout" (Verlaine)

"Parce que, tout de même, un homme, c'est bien autre chose que le petit tas de secrets qu'on a cent fois dit. Bien autre chose, en deçà et au-delà de l'histoire qui le concerne, comme un pays sans frontières, et l'horizon ne tient la longe qu'aux yeux.
C'est un pays rêvé quand on ne rêvait pas encore, et c'est le rêve d'un pays qui vous mène quand tout dort, quand on est soi-même endormi. Au réveil, ça vous colle à la peau. Ca vous remplit et ça vous vide tour à tour. La plénitude et le manque, systole, diastole, flux, reflux, qui font aller l'homme comme la mer, d'un bord à l'autre de lui-même. L'égarent, le renversent, le relèvent.
Parce qu'un poète, c'est toujours un pays qui marche, boiteux parfois, cassé, cagneux, tanguant, tout ce qu'on voudra, mais debout, en avant, dressé comme une forêt, même si c'est son ombre toujours sur la terre qu'on voit, ou son reflet. L'illusion est complète pour qui croit le comprendre. Lui-même n'y comprend rien. Se laisser porter deçà, delà, / pareil à la feuille morte. Va, vit, vibre, hirsute, ivre de jouir. Fait la nique à son image ou s'y noie. Insatisfait toujours, quoi qu'il arrive, traînant dans sa langue un pays d'exil, un paradis d'échos.
Et tout le reste est littérature."
Guy Goffette in, Verlaine d'ardoise et de pluie
éd Gallimard 1996, Folio p 30-31


"Paul a dix-sept ans, de gros sourcils, un nez à la retroussette et une tête carrée au large front dégarni.
Dans la fumée du cabaret parisien où il boit attablé parmi les filles, on le prendrait sans peine pour le frère jumeau d'Henry-Joseph.Il vous lève le coude comme s'il avait fait cela toute sa vie, et vous épingle de ses petits yeux chinois comme un papillon.

C'est à peine pourtant s'il a entendu parler de l'aïeul. Il dira seulement Ma famille paternelle est de vieille souche ardennaise. C'est tout. Son capitaine de père, orphelin de trop bonne heure, ce qu'il lui en a dit tiendrait dans un dé à coudre. Et pour cause, ses seuls souvenirs sont des cris et les pleurs de sa mère.
La famille d'adoption a fait le reste : motus et bouche cousue, la grand-messe, les vêpres et le salut, amen. Et du sirop d'orgeat dans les grandes occasions. Avec ça, taiseux comme un Ardennais nature, le capitaine, on ne peut pas trouver meilleure école.

Heureusement d'ailleurs qu'il y avait des loups pour colorier les récits de la veillée, car le soir vient tôt sur l'Ardenne de schiste, et les soirées sont longues.
Des loups, il en courait aussi dans les bois autour de Paliseul. D'eux seuls, Paul se souviendra, et c'est peu dire qu'il en voit encore les ombres tourner autour de son lit d'agonie.
L'autre, le loup gris de la bergerie, le grand-père Henry-Joseph, est purement et simplement passé à la trappe. On le croyait mort et enterré : que nenni, il est ressuscité, et le revoilà, assis derrière la vitrine du Café du Gaz, à siroter sa verte en regardant la lune tanguer sur les arcades de la rue de Rivoli." p 70-71



"De plus en plus solitaire à mesure que les années passent, de plus en plus gauche et timide et laid, Verlaine s'enfonce dans la mélancolie, recherchant les lieux écartés, les sous-bois propices à la rêverie, et les demi-teintes des jours de brume et de pluie fine fréquents dans ces contrées du Nord et de l'Est, aux marches de l'Empire. Les eaux dormantes où le clair mêle à l'obscur toutes les nuances du vert, du bleu, du rouge, et l'or des feuilles déjà tombantes et embrasant les reflets du jour qui s'en va, voilà ce qui l'attire.
Ni le blanc criard ni le noir désolant, mais ce gris qui n'en finit pas d'être bleu. Ô les toits d'ardoise de l'Ardenne encalminée dans ses brouillards, et ces routes sous la bruine infiniment comme des lisières qu'on pousse devant soi.

Dans son exil parisien, parlez-lui donc de l'herbe, moite comme une main de femme, et luisante comme une promesse, parlez-lui de ce vert qui roule dans son nom et qu'il cherche en vain dans la lumière de l'absinthe, et tout en lui, en un instant, redevient doux comme la laine." p 129-130





Guy Goffette interviewé à Prague par Václav Richter

Radio Prague

Guy Goffette : «Verlaine apporte un petit supplément d’âme dont tous les êtres humains ont besoin.»


C’est grâce à la foire, Le Monde du Livre, que nous avons eu l’occasion d’accueillir à Prague Guy Goffette. Ce poète et romancier mais aussi enseignant, libraire et éditeur, est lauréat de nombreux prix littéraires dont le Grand Prix de poésie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Grand admirateur de Verlaine, il a écrit une biographie imaginaire de ce poète intitulée «Verlaine d’ardoise et de pluie». Ce livre ainsi que le rapport entre la poésie et la vie de Verlaine sont les thèmes principaux d’un entretien que Guy Goffette a accordé à Radio Prague.

Qu’est ce qui a été plus important pour vous quand vous avez décidé d’écrire un livre sur Verlaine, la poésie ou la biographie ? Les vers ou la légende de la vie de Verlaine ?

 «C’est d’abord la poésie. Il faut dire que pendant quarante-sept ans je n’ai pas connu Verlaine. A l’école on m’avait parlé de Verlaine et de Rimbaud, mais comme j’étais dans une école catholique et, comme vous le savez, à dix-sept ans on n’est pas sérieux comme disait Rimbaud, j’ai choisi plutôt Rimbaud que Verlaine. Et c’est ainsi que pendant des années, je n’ai pas lu Verlaine. Et puis à quarante-sept ans, au Québec, j’avais besoin d’entendre la voix, la poésie française et j’ai lu Verlaine. J’ai entendu à la radio un poème de Verlaine, je l’ai appris par cœur, et après, j’ai appris la biographie, je me suis passionné pour le personnage qui est meilleur qu’on ne le dit. On le présente toujours comme un vieil alcoolique violent. Et pourtant c’est un homme très bon, sauf quand il a bu.»

C’est justement ce que je voulais demander. Qui est-ce ? Qui est Verlaine pour vous. Est-ce ce poète lyrique, charmant et doux ou un poète maudit, un homme violent, un vieux satyre qui n’a reculé même pas devant la pornographie?

 «D’accord avec Jorge Luis Borges, je dirais que c’est un poète français par excellence. Ce n’est pas Victor Hugo, ce n’est pas Baudelaire, ce n’est pas Rimbaud, c’est Verlaine qui a su traduire dans la langue française avec une délicatesse de dentellière la beauté de la langue française. Il a inventé l’impair, il a rendu sa mélodie et sa musique à la langue française qui commençait à être lourde avec l’alexandrin qu’on connaissait depuis Racine. On dit que Verlaine est le poète le plus musical. Donc Verlaine pour moi c’est d’abord un poète. Sa vie vient après. Verlaine, poète érotique, est un mauvais poète. Dans les recueils ‘Hombres’ et ‘Femmes’, il n’y pas de très bons poèmes. C’est le poète de la fin, le poète alcoolique qui a perdu sa voix. Le grand Verlaine, c’est le Verlaine du début, des ‘Poèmes saturniens’, des ‘Romances sans paroles’.»

‘C’est un oeil avant toute chose,’ dites vous au début d’un des chapitres de votre livre, est c’est une évidente allusion au vers de Verlaine ‘De la musique avant toute chose’. Pouvez-vous expliquer cela ? Pourquoi l’œil?

 «Paul Claudel disait que l’œil écoute. C’est le titre d’un de ses livres. Effectivement, chez Verlaine il y a d’abord la perception visuelle avant la perception auditive. Et cette perception visuelle, le fait de voir, le fait entendre. Il entend la musique du paysage. Vous voyez des collines et vous les entendez dans ses poèmes. Par exemple ces vers : ‘Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L’inflexion des voix chères qui se sont tues.’ On entend le vallonnement. Verlaine écrivait en marchant. Il écrivait en regardant, parce que dès qu’il étais assis, il buvait et ne pouvais plus écrire. Donc c’est vraiment un poète qui voit d’abord. Et je crois que les poètes sont d’abord les gens qui regardent avant d’entendre parce que ce qu’ils entendent, n’est pas ce que tout le monde entend. Ils entendent ce qu’ils voient. C’est pour moi la poésie : entendre ce que l’on voit.»

Quand on dit Verlaine, on dit aussi Rimbaud. Cette rencontre avec Rimbaud, cette liaison avec Rimbaud, a-t-elle joué vraiment un rôle si important dans sa vie?

 «Je crois que cette rencontre a été très importante pour Verlaine. Elle a été même catastrophique puisqu’il a quitté sa femme, il a tiré sur Rimbaud, il s’est retrouvé en prison. Mais pendant quelques années, Verlaine est sorti de la petite vie qu’il menait à Paris, une vie d’employé à la Mairie de Paris, et il est allée sur les routes. Je crois que c’était son destin, c’était quelqu’un qui devait marcher sur les routes. Donc en rencontrant Rimbaud il a rencontré son destin, ce qu’il devait faire, ce qu’il devait être. Est-ce que Rimbaud a influencé Verlaine ou Verlaine Rimbaud ? Je pense que c’est Verlaine qui a influencé Rimbaud. Je crois même qu’il existe quelque part un texte d’un ami de Verlaine qui s’appelait Ernest Delahaye et qui dit qu’un jour Verlaine a demandé à Rimbaud pourquoi il était avec lui. Et Rimbaud lui a répondu : ‘Moi, je sais ce qu’il faut écrire, et toi, tu sais comment il faut l’écrire.’
Donc la différence entre Rimbaud et Verlaine c’est que Rimbaud est un visionnaire. Ayant beaucoup lu, il a le sens d’une vie qui est courte, il a une sorte de génie de précocité. Il doit tout dire tout de suite et sait ce qu’il doit dire, comme Mozart qui savait se qu’il devait écrire, tandis que Verlaine est plus l’homme du ‘comment écrire les choses’. D’ailleurs vous savez, on a peu de manuscrits de poèmes de Rimbaud, on a beaucoup de manuscrits de poèmes de Rimbaud écrits de mémoire par Verlaine vingt ans après. Donc dans quelle mesure les poèmes de Rimbaud ne sont-ils pas récrits par Verlaine? Je crois que cela a été une rencontre très importante mais très brève puisqu’elle a duré un peu plus d’un an. Je crois qu’elle les a marqués tous les deux. Je crois que Rimbaud a fait ce qu’il avait envie de faire. C’était un cancre, une espèce de voyou - même si j’aime Rimbaud. Et Verlaine était un lâche, un grand garçon, un grand gamin, un grand enfant, pas vraiment un homme. Et il a suivi l’autre qui était la mauvaise voie. »

Nous sommes au début du XXIe siècle. Lit-on Verlaine encore aujourd’hui ? Et pourquoi faut-il lire Verlaine ?

 «Si l’on le lit encore? Je pense qu’on le lit beaucoup. Même si Verlaine n’a pas une grande place à l’Université parce que Verlaine est impalpable. C’est très difficile de parler de Verlaine à l’Université. (…) Je pense que Rimbaud c’est James Dean de la poésie. C’est fulgurant et puis c’est fini. Tandis que Verlaine c’est quelqu’un qui a quand même écrit de bons poèmes pendant très longtemps. Il a tenu malgré tout. Je pense qu’il a le génie lent. Donc il est toujours lu.
Pourquoi devrait-on le lire aujourd’hui ? Il a le génie de la grâce, il a quelque chose de tellement important pour les gens. Quand il dit ces choses simples : ‘Le ciel est par-dessus les toits, si bleu, si calme…’, ces mots sont les mots de tous les jours, les mots les plus simples et il réussit à leur donner une musicalité qui fait du bien au cœur. Et vous savez, dans une société comme la nôtre, une société où seul l’argent est important, la vie de Verlaine et son oeuvre apportent ce qu’on appelle le petit supplément d’âme dont tous les êtres humains ont besoin.»




http://rebel.radio.cz/mp3/podcast/fr/literature/080503-guy-goffette-verlaine-apporte-un-petit-supplement-dame-dont-tous-les-etres-humains-ont.mp3




Article sur le site de Catherine Réault-Crosnier 




VERLAINE D’ARDOISE ET DE PLUIE



de Guy Goffette



aux Éditions Folio Gallimard, Paris, 1996, 158 pages





Guy Goffette, lecteur aux éditions Gallimard, a publié de nombreux livres de poésie dont « Verlaine d’ardoise et de pluie ». Quel titre poétique ! Il crée déjà à lui seul, l’ambiance de ce recueil.

La mémoire du poète fait ressurgir les souvenirs un peu à la manière de Marcel Proust. Ici l’ardoise, la pluie, les chemins sont des points de repère qui nous permettent d’avancer sur la route et de partir à l’aventure avec Verlaine.

Nous sommes tous en route vers un ailleurs et Guy Goffette a choisi de citer un vers de Verlaine, juste avant de débuter le premier chapitre intitulé « Un pays sur la route » :

« La route est bonne et la mort est au bout. » (p. 15)

Cette citation n’est pas anodine ; elle est la ligne directrice du cheminement du poète. Ici tout parle de grisaille, de mort. Verlaine a vécu avec l’empreinte indélébile de la mort à ses côtés. Guy Goffette sait très bien nous faire partager cette atmosphère par exemple dans le chapitre « Les bocals ». Verlaine est partagé entre la voix apaisante de sa mère à sa naissance et la voix des morts qui l’ont précédé, trois fœtus nés sans vie avant lui et qui le suivront toute son enfance puisque sa mère les avait conservés dans des bocaux posés sur une étagère ou rangés dans un placard. Sa mère qui l’a nourri, était hantée par la mort de ses trois autres enfants. Comment Verlaine ne pourrait-il pas lui aussi en être imprégné ? Guy Goffette nous fait partager le cri d’un enfant qui se sent perdu parmi tant de choses qu’il ne comprend pas ; c’est le cri du cœur du poète :

« Et qu’est-ce qu’une goutte de lait dans le sein d’une mère, si ce n’est pas déjà l’enfant qui appelle et qui crie ? » (p. 36)

« Il a perdu son prénom sur les routes comme Poucet ses cailloux de pain blanc. L’enfance lui a durci le cœur comme un poing et ses yeux sont de l’azur qui coupe, comme les vers qu’il a laissés. » (p. 50)

Oui, nous avons tous une mémoire, un chemin tracé qui se déroule et la vie ici bas a toujours une fin. D’avoir été trop choyé par sa mère, il a été étouffé. D’avoir vécu à côté des morts en bocaux, il a souffert et s’est senti responsable d’avoir pris la place dans le cœur de sa mère d’où l’émergence de son mal d’être :

« (…) Paul, l’enfant trop attendu et trop gâté, oubliera vite la cadence, et ses chemins à lui iront tout de travers à jamais. » (p. 67)


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