J’ai écrit un poème pour Asli
L’autre matin, j’ai écrit un poème pour Asli. C’était fin décembre et je ne suis pas poète, mais dans ma vie les poèmes sont au centre. Ceux d’Akhmatova, de Serge Pey et Marie Huot, de Brodsky ou Tranströmer. C’est avec leurs recueils que j’ai construit ma si petite zone, et avec ceux de Mandelstam aussi. Ça donne une cabane de traviole où on peut faire du feu, semblable à ces petites maisons chaleureuses que les Roms construisent au milieu de la zone.
Pendant qu’Anne s’habillait, je lui ai lu mon poème. La première ébauche, celle qu’il ne faut jamais lire. J’étais mal réveillé, j’avais le droit à l’erreur. Elle a trouvé que le mot foudre revenait trop souvent. Elle avait raison mais j’ai été grossier. Un provocateur qui ronchonne avant l’aube. Je lui ai demandé si elle préférait le mot foutre. Je l’ai dit, j’étais mal réveillé. Parce qu’en général j’aime plutôt bien marteler le même mot. C’est mon côté primitiviste qui revient à travers l’insomnie.
J’avais lancé un appel à écrire des poèmes, des phrases solidaires pour Asli. Et dans ma course contre la montre, je n’avais pas trouvé le calme pour écrire une seule phrase. Les poèmes étaient venus d’un peu partout, du Canada à la République tchèque, du Danemark à l’Afrique et j’adorais ça. Ce grand recueil rempli de messages, de cris du cœur et de colère. Ça pulsait dans les réseaux des poètes, entre romanciers et dramaturges énervés de ce qui arrivait là-bas, à Istanbul, la violence démesurée d’un État qui voulait faire taire une romancière.
J’aimais bien mon poème. Anne non mais j’avais pris l’habitude. Je l’aimais bien parce que j’étais resté plusieurs mois sans écrire ne serait-ce qu’une ébauche de poème, et d’un seul coup c’était venu dans la nuit, à l’intérieur d’une insomnie qui m’avait épuisé.
4 JANVIER 2017 / TIERI BRIET
À Asli
Sans la foudre
nous n’aurions pas su
toi et moi
être humains.
Mes amis, mes filles portent ta foudre maintenant,
tes livres dans leurs sacs,
tes phrases glissées au milieu des pensées
Samedi, au marché d’Arles,
Fred est venu depuis Nîmes
en apportant la foudre
du Bâtiment de pierre
à l’intérieur de ses paroles.
Hier Marie a emporté
la foudre blanche électrique
de tes Oiseaux de bois
dans sa maison de Geronimo
près de la mer.
Un peu avant
c’est l’aînée de mes filles qui ouvrait
à deux mains
la foudre d’exil
du Mandarin miraculeux.
Et puis revint
la foudre carcérale
du Bâtiment de pierre
dans la voix d’Aude
au milieu d’Avignon.
Tes mots de foudre
venus du gouffre turc,
les mots de toi
qu’un inconnu a traduits
dans ma foudre maternelle.
Et sans la foudre des langues,
Asli,
nous n’aurions pas su
toi et moi
demeurer humains
sur des terres
inhumaines.
Publié dans Un cahier rouge
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