Cesare Pavese (1908-1950)
La mort viendra et elle aura tes yeux –
Cette mort
qui nous escorte
Du matin au soir, et jamais ne s'endort,
Aussi sourde qu'un remords ancien
Ou un vice absurde. Tes yeux
Seront une parole vaine,
Un cri étouffé, un silence.
Ainsi les vois-tu chaque matin
Quand sur toi seule tu te penches
Dans le miroir. Ô chère espérance,
Ce jour-là nous saurons nous aussi
Que tu es la vie et que tu es le néant.
Pour tous la mort a un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme répudier un vice,
Comme voir dans le miroir
Resurgir un visage mort,
Comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons au fond du gouffre, muets.
Traduit de l'italien par Joël GAYRAUD
PAVESE, Cesare - La mort viendra et elle aura... par Gilles-Claude
Le métier de vivre de Pavese, par Jean-François Foulon ICI
Poèmes
Je passerai par la place d’Espagne.
Le ciel sera limpide.
Les rues s’ouvriront
sur la colline de pins et de pierre.
Le tumulte des rues
ne changera pas cet air immobile.
Les fleurs éclaboussées
de couleurs aux fontaines
feront des clins d’oeil
comme des femmes gaies.
Escaliers et terrasses
et les hirondelles
chanteront au soleil.
Cette rue s’ouvrira,
les pierres chanteront,
le coeur en tressaillant battra,
comme l’eau des fontaines.
Ce sera cette voix
qui montera chez toi.
Les fenêtres sauront
le parfum de la pierre
et de l’air du matin.
Une porte s’ouvrira.
Les tumultes des rues
sera le tumulte du coeur
dans la lumière hagarde.
Tu seras là – immobile et limpide.
28 mars 1950.
Cesare Pavese
(Santo Stefano Belbo, Cuneo, 9 septembre 1908 – Turin, 27 août 1950),
in, le recueil Travailler fatigue.
Poème retrouvé sur la table de chevet de Cesare Pavese (9 septembre 1908 – 26 août 1950) après son suicide.
La mort viendra et elle aura tes yeux -
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu’au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. O chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.
La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir resurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.
Verrà la morte e avrà i tuoi occhi-
questa morte che ci accompagna
dal mattino alla sera, insonne,
sorda, come un vecchio rimorso
o un vizio assurdo. I tuoi occhi
saranno una vana parola,
un grido taciuto, un silenzio.
Così li vedi ogni mattina
quando su te sola ti pieghi
nello specchio. O cara speranza,
quel giorno sapremo anche noi
che sei la vita e sei il nulla
Per tutti la morte ha uno sguardo.
Verrà la morte e avrà i tuoi occhi.
Sarà come smettere un vizio,
come vedere nello specchio
riemergere un viso morto,
come ascoltare un labbro chiuso.
Scenderemo nel gorgo muti.
Article de Catherine Réault-Crosnier (1998), extrait
Cesare Pavese est plus connu comme romancier et auteur noir mais il s’est voulu d’abord poète : son premier et son dernier livre sont des livres de poésie, un peu comme si la poésie pouvait cerner toute sa vie.
On comprend très bien le pessimisme de l’auteur lorsque l’on sait qu’il a perdu son père quand il avait six ans, qu’il a été élevé par sa mère, femme très stricte. Cesare Pavese a toujours eu du mal à vivre et on retrouve cette tendance dans tous ses écrits.
Il aurait pu perdre son pessimisme s’il avait pu trouver l’amour de sa vie mais il a seulement cru le trouver en la personne d’une actrice américaine qu’il a rencontrée à Rome en 1950, Constance Dowling. Celle-ci l’abandonne et il se suicidera la même année, en 1950, après avoir écrit sa dernière œuvre, "La mort viendra et elle aura tes yeux", recueil poétique dont le titre est très explicite et Cesare Pavese ne fera pas que de dire qu’il veut mourir ; il mettra son projet à exécution.
Son premier livre publié "Travailler fatigue", est paru en 1936. C’est une sorte d’autobiographie stylisée où les silences eux-mêmes nous parlent. Pour l’auteur, il faut travailler pour vivre mais il n’est pas sûr de tenir à la vie. Il assimile le travail à une tâche ingrate qui fatigue.
Ses œuvres poétiques :
Avant la parution de ce livre, Cesare Pavese avait déjà écrit des poèmes à l’âge de 21 ans (1928-1929). Ce sont des poèmes du désamour. Il a choisi d’abord d’écrire en vers libres puis il façonne son propre vers, à sa manière (13 syllabes, 4 accents).
Il publie ensuite "Le métier de poète" en 1934 puis "Travailler fatigue" en 1936 puis un recueil qui s’échelonne sur dix ans (1930-1940), "Le métier de vivre".
Son dernier recueil "La mort viendra et elle aura tes yeux" sera publié à titre posthume, un an après sa mort, c’est-à-dire en 1951. Ce livre n’a été écrit que pour Constance Dowling.
Comme je l’ai déjà signalé, Cesare Pavese est surtout romancier. Il a en particulier écrit "Le bel été" (1940), "Le diable dans les collines" (1948), "Entre femmes seules" (1949). On retrouve aussi dans ses romans, l’importance des paysages, l’enfance révolue et le pessimisme latent.
Catherine RÉAULT-CROSNIER a obtenu pour cet article, le prix international de l’essai Cesare Pavese de l’Union Mondiale des Écrivains Médecins, en 1999.
.Voir l'article entier ICI
Très beaux poèmes. Merci pour cet article qui me fait approcher cet auteur dont j'ignorais tout ! (comme d'hab !)
RépondreSupprimerTu sais Serge, il y a tant et tant de poètes que l'on ignore ou que l'on connaît mal !L'essentiel est de les croiser un jour et de les apprécier ! Merci de ton passage !
SupprimerFéderico :
RépondreSupprimermagnifique poème et merveilleusement mis en chanson par ce singulier génie qu'était Léo Ferré .... le plus poétique de tous nos chanteurs...voir les images de Godard avec la merveilleuse et si tragique Jean Seberg sur ce poème de Pavese avec le chant de Ferré = je crois qu'on frise la perfection du 7ème art... voici le lien : https://www.youtube.com/watch?v=B3OzxLSeWWU