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26 juillet 1932
Anaïs,
Je continue — il est trop tard pour taper à la machine. Et puis je peux mieux dire certaines choses, quand le stylo court silencieusement sur le papier. Tu me manques terriblement. On dirait que je ne sais pas comment tuer le temps d’ici ton retour. Ton départ pour le Brésil est inimaginable pour moi. C’est impossible ! Rentreras-tu un peu avant Hugo — pourras-tu passer quelques jours avec moi, seule ? Je rêve si souvent (des rêves de jour) à ces dernières heures à Louveciennes. Je n’ai jamais connu d’heures plus précieuses. Ta façon de dire « Sapristi ! » était si drôle, et la manière dont tu te réveilles — qui ressemble à celle dont tu t’endors —, paisiblement, avec un étonnement émerveillé dans tes yeux endormis — mais si calme, si paisible, si doux. Et même ta façon d’enfiler et d’ôter tes vêtements. Sans bruit. Comme un chat. Et quelle joie de danser dans le hall — seuls dans la maison. Je pourrais passer des moments si précieux avec toi. Jamais je ne m’ennuierais avec toi, et toi avec moi ?
Je t’étais si reconnaissant de m’avoir montré ces photos. J’aimerais en posséder une. En fermant les yeux, je te revois parfaitement. Seulement maintenant je ne peux pas te revoir ailleurs que dans ce joli jardin — je te vois toujours devant le miroir, dans cette atmosphère dorée — avec cette lumière particulière qui tombait sur la pelouse, les arbres sombres, le silence et le parfum qui t’enveloppaient. Comme tu l’as écrit dans ton Journal le jour de Noël « je sacrifierais tout, etc. » — voilà ce que j’éprouve : je sacrifierais tout pour que tu puisses demeurer à ta place, dans ce merveilleux cadre qui te convient si parfaitement. Avec toi, Anaïs, je ne pourrais pas être égoïste. Je veux que tu sois toujours heureuse, en sécurité, protégée. Jamais je n’ai aimé une femme de manière si désintéressée.
Je ne fais pas grand-chose. Je suis nerveux. Je suis perdu sans toi — c’est vrai. J’ai été très ému par ta lettre, et par ta « suggestion ». Tu fais les choses les plus surprenantes. Je me demandais comment je pourrais aller au Tyrol, près de toi, même si je ne devais pas te voir — ou alors oui, te voir peut-être, pendant ta promenade, caché derrière un rocher ou un arbre. Mais j’ai beau penser, tout cela est hors de question.
Anaïs, il a suffi que tu t’éloignes un peu pour que je mesure la force de mon amour pour toi. Je me suis beaucoup retenu dans mes lettres par crainte des « accidents ». Mais maintenant je ne peux plus. Je te fais assez confiance pour que tu aies la discrétion de ne pas mettre ça sous ton oreiller. Je t’écrirais bien tous les jours, mais je sais que cela ferait mauvaise impression. Je suis dans un tel état de passion que n’importe lequel de mes mots brûlerait le papier. Je revis constamment dans ma mémoire tous les épisodes, depuis le café Viking jusqu’à la tondeuse à gazon. Je me demande si tu parles toujours dans ton sommeil. Je me demande à quoi tu penses, lorsque tu fais l’amour maintenant.
Parle moi de ça — franchement — si tu le peux, et dis-moi que je peux oser en faire autant.
Je ne peux pas écrire davantage parce que ma tête est trop pleine de tout cela. Je te vois dans mes bras, frémissante, et je me sens tout au fond de toi, pour toujours. Je suis brûlant de désir maintenant — tu n’es plus l’Anaïs à qui j’écrivais de Dijon. Tu n’es pas non plus l’Anaïs du Journal. Tu sais de quelle Anaïs je veux parler. Je suis tout à toi.
Henry
paru dans Deslettres. fr
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